PhiloVIVE ! La philosophie orale et vivante

 

“Avoir une identité, est-ce s’identifier ?”

Pas commode d’être exceptionnel : on finit par abandonner sa singularité et se blottir, esseulé, dans les moroses tiédeurs de la conformité. Comme tout le monde…
Qui suis-je ? Un être social, un être-en-relation, intégré dans un système social où par identité on entend le caractère de ce qui est identique (de idem : la même chose) : seuls les gens similaires ont une identité. Un individu, c’est quelqu’un « comme tout le monde », un chat chez les chats, un chien chez les chiens. Mais une personne est irremplaçable : elle est supérieure à l’espèce (chacune, dès qu’elle envisage sa singularité, peut dire : “il manquera quelque chose à l’espèce quand je mourrai”).

« Vous n’êtes pas moi, je ne suis pas vous. C’est pour cela que nous sommes un. Car nous partageons, par le fait de notre irréductible séparation, par la grâce de notre différence, une expérience qui est celle propre de l’humain : être seul. Être soi. Être unique. »
Tariq Demens, Petit traité de sotériologie philosophique, à paraître en 2022, cité en exclu par Denis Marquet, "Père", Albin Michel 2003




La personne (de persona, "masque de théâtre”, puis “personnage”, et, dès le latin classique, “personne” -pronom négatif !) n’a aucune particularité, sinon par référence à une description générale, un “style” dans lequel elle se trouve rangée. Sans similitude, l’individu serait inclassable, impossible à identifier. La capacité à s’intégrer est donc cruciale, et fait toute la difficulté à arriver à une vision singulière de soi-même. Un individu est d’abord et avant tout conçu comme membre d’une catégorie. Autant dire que l’individu n’existe pas.



On voit l’enjeu moral : comment accorder une valeur à sa propre autonomie si l’on n’a de valeur qu’en se conformant aux autres ? Les jugements de valeur peuvent varier d’une personne à une autre, mais pour être comme les autres des individus font taire leurs principes, afin de partager les valeurs de ceux auxquels ils s’identifient : ce en quoi l’on croit se résume aux valeurs des “nôtres”. Alors apparaît toute la vanité de celui qui s’écrie “je suis quelqu’un !”
Chaque conscience est double : chacune effectue un travail de séparation, en trouvant sa singularité dans la différenciation -mais cette différenciation succède à l’identification, qui détermine l’existence même de tout un chacun. D’où l’importance des marques, des modes, intégrées dans les individus qui s’y reconnaissent. Il ne s’agit même plus de mimétisme quand l’identification détermine la personnalité même : au-delà du jeu consistant à suivre un modèle pour s’y assimiler, il n’y a personne. Derrière le costume, l’uniforme, le statut : rien.



Se donner un genre, c’est se donner une existence. L’ego, quoiqu’humilié à force de devoir se conformer aux autres, est d’autant plus fort qu’il est obligé de se redéfinir encore et encore dans quantité de conditions différentes, en jouant de nouveaux rôles. L’enfant assume le nom de son père, suit des règles dont chacun est une illustration, pour enfin devenir un “type” estampillé aux normes, certifié conforme. Je suis... ce dont je garde l’empreinte.

Il est bon d’avoir des repères, et la plupart sont déjà donnés... par les autres, auxquels il s’agit de s’identifier. Faute de savoir quoi faire en étant singulier, on joue la conformité. De là vient l’attachement à une morale se prétendant universelle pour tous les hommes qui se supposent identiques. En fait les individus ont peu ou pas de contrôle sur les comportements des groupes auxquels ils appartiennent ou sur les rôles qu’ils sont amenés à jouer. lls se trouvent cantonnés au rôle de simples spectateurs de leurs propres actions. Faute d’oublier que je est un autre et pas un même, on ne cherche plus que l’identité des uns aux autres -voilà le déni de l’altérité qui conduit au fascisme.

François Housset
www.philovive.fr

((/images/20000 nus.jpg



CITATIONS

«Tout respect pour une personne n’est proprement que respect pour la loi dont cette personne nous donne l’exemple.»
Kant. Fondements de la métaphysique des mœurs. II, alinéa 48

«Il n’est permis à personne de dire ces simples mots : je suis moi. Les meilleurs, les plus libres, peuvent dire : j’existe. C’est déjà trop. Pour les autres, je propose qu’ils usent de formules telles que “Je suis Soi-même” ou “Je suis un Tel en personne.”»
Sartre. Saint Genet comédien et martyr.

“Si l’on a fait quelque chose qu’on imagine affecter les autres de joie, on sera affecté d’une joie qu’accompagnera l’idée de soi-même comme cause, autrement dit on se considérera soi-même avec joie. Si, au contraire, on a fait quelque chose qu’on imagine affecter les autres de tristesse, on se considérera soi-même avec tristesse.”
Spinoza, L’Éthique, III,30

“Je n’existe que dans la mesure ou j’existe pour autrui. À la limite être c’est aimer.”
Mounier, Le personnalisme

“Je ne dis les autres sinon pour d’autant plus me dire”
Montaigne, Essais I, 26

“Aucune civilisation ne peut se penser elle-même si elle ne dispose pas de quelques autres pour servir de terme de comparaison” ; aucun individu non plus.”
Lévi-Strauss, Anthropologie structurale deux

“Physiquement, biologiquement, l'Homme, comme tout ce qui existe dans la Nature, est essentiellement plural. Il correspond à un «phénomène de masse». Ceci veut dire, en première approximation, que nous ne pouvons progresser jusqu'au bout de nous-mêmes sans sortir de nous-mêmes en nous unissant aux autres, de façon à développer par cette union un surcroît de conscience - conformément à la grande Loi de Complexité. - De là les urgences, de là le sens profond de l'amour qui, sous toutes ses formes, nous pousse à associer notre centre individuel avec d'autres centres choisis et privilégiés, - l'amour, dont la fonction et le charme essentiels sont de nous compléter."
Pierre Teilhard de Chardin, Sur le bonheur

“Annuler totalement l’individu, ne lui donner que la position d’un chiffre, lequel vient dans la série d’un nombre, c’est lui contester la valeur absolue qu’il possède, indépendamment de sa valeur relative. De même qu’un siècle influe sur un homme, un homme influe sur un siècle.”
Chateaubriand, Études historiques, Préface.

“La décomposition de l’humanité en individus proprement dits ne constitue pas qu’un analyse anarchique, autant irrationnelle qu’immorale, qui tend à dissoudre l’existence sociale au lieu de l’expliquer, puisqu’elle ne devient applicable que quand l’association cesse. Elle est aussi vicieuse en sociologie que le serait, en biologie, la décomposition chimique de l’individu lui-même en molécules irréductibles dont la séparation n’a jamais lieu pendant la vie.”
Auguste Comte, Système de Politique positive, II

“Tout, au-dehors, dit à l’individu qu’il n’est rien. Tout, au-dedans, lui persuade qu’il est tout.”
Ximénès Doudan, Pensées et fragments, Philosophie, morale, religion.

“Quand l’individu est si fort qu’il tend à tout absorber, c’est qu’il a besoin d’être absorbé lui-même, de se fondre et de disparaître dans la multitude de l’univers."
Élie Faure, Histoire de l’Art, l’Art moderne I, Introduction à la première édition.

“L’individu s’oppose à la collectivité, mais il s’en nourrit. Et l’important est bien moins de savoir à quoi il s’oppose que ce dont il se nourrit. Comme le génie, l’individu vaut par ce qu’il renferme.”
Malraux, Le Temps du mépris, Préface.

“La lutte communiste contre l’individualisme ne signifie pas autre chose que la lutte réelle pour le développement de l’individu.”
Samuel Beckett, Notes-programme sur la philosophie, les enfants de la lumière, 4.

“Les hommes éveillés n’ont qu’un monde, mais les hommes endormis ont chacun leur monde.”
Héraclite

“Il est certain que chacun a de soi la plus haute idée ; et qu’en conséquence on n’estime jamais dans autrui que son image et sa ressemblance.”
“L’esprit est une corde qui ne frémit qu’à l’unisson”
Helvétius, Traité de l’esprit




Liens internes :

Commentaires

Merci pour le dernier "gâteau philo" sur ce thème, je compte bien revenir au prochain et j'incite mes camarades de classe à faire de même!

Dans une Perspective historico-socio-politico-logique le sentiment d'identité individuel et le sentiment d'appartenance à une collectivité sont intimement mélangé ; chacun, chacune peut employer une vie entière à démêler le sac de noeuds de ses tenants et aboutissants, selon sa géographie, son histoire, sa trajectoire dans le temps et l'espace.
Par exemple, en 1936, les espagnols fuyant le franquisme n'étaient pas des sans-papiers en France, car l'Etat-civil ne reposait pas encore sur cette invention ; (la carte d'identité nationale a été instituée en 1941, par le gouvernement de Vichy).
Cet exemple pour nous faire souvenir de la brièveté historique de la notion d'"identité" garantie par un "Etat" comparativement à la profonde consitance de l'identité humaine, en soit, pour soit, à travers nous, un état ou une succèssion d'états bordés par les évenements :naissance, et décès.
A suivre

Mon cher Zill Zelub,
une faute d'accord et trois erreurs de ponctuation, soit vous êtes un peu approximatif du clavier, soit un peu trop hardi à cliquer su'l'mulot,
modérez-vos propos ,
à +

Ajouter un commentaire

Nouveau commentaire