PhiloVIVE ! La philosophie orale et vivante

 

“Ma vie m’appartient”

“Ma” vie : le pronom possessif dit déjà tout. Oui, ma vie m’appartient, car moi seul la vis. En ce sens, même un esclave possède sa propre vie. Vivre, c’est mon affaire. Chacun se préserve autant qu’il peut, parce qu’il appartient à chacun de lutter contre la mort. Mais vivre ne suffit pas : il faut encore “vivre sa vie” : ce qu’on appelle “la vraie vie” n’est pas qu’un phénomène organique. Il nous faut encore diriger notre vie.









Observons l’aspect purement biologique du “moi” : un paquet d’organes assez bien organisés pour que “ça” respire, que “ça” mange, etc. Ces éléments permettent de donner une réponse objective à la question “ça va ?” civile. Voyons maintenant l’aspect sociologique de toute vie humaine : ce ne sont pas les individus qui vivent leurs vies (il n’y a pas d’individu), c’est une société qui les fabrique en série. La question philosophique “qui suis-je” en perd son sens, il faut la reformuler : “que suis-je ?” Toute conscience est façonnée par un environnement social, tout caractère est déterminé. Les faits sociaux sont des choses, rien que des choses. Et moi qui croyais être quelqu’un !

Il paraît inacceptable que “ma” vie se résume à des déterminismes ! J’ai une conscience, des sentiments, une volonté ! Mais tous sont produits d’un organe : le cerveau, donc dépendants de phénomènes déterminés. J’ai bien une volonté : il m’appartient de prendre des décisions, je fais ce que je veux bien. Mais par ce “bien” qu’entendre ? Un paquet de devoirs dictés par un conditionnement psychologique. Il ne suffit pas de couper le cordon du nouveau-né pour qu’il soit autonome. Dès sa naissance il est entre les mains de processus qui ne lui appartiennent pas. Formaté par sa famille, son école, sa Cité, il adoptera des comportements sociaux déterminés de sa naissance à sa mort. Avant même d’être “conçu”, l’enfant est “parlé” : il est le projet de ses géniteurs.

Nous ne sommes pas responsables de ce qu’on a fait de nous. Mais nous décidons de ce que nous faisons de notre vie préfabriquée. Notre vie nous appartient donc bien parce que nous avons une volonté. Que cette volonté doive faire avec des contraintes n’y change rien. Accepter sa vie comme elle est donnée, n’est-ce pas vouloir être un produit social, un maillon dans une chaîne ? Pour que ma vie m’appartienne, il faut bien que je sois réaliste : c’est en fonction des événements que je décide quoi faire. Événements dont ma vie dépend comme un bouchon flottant sur les eaux, emporté par le courant. Les choses sont ce qu’elles sont, et me déterminent. Être maître de soi nécessite d’accepter que certaines choses soient indépendantes de la volonté. Non seulement il faut l’accepter, mais il faut le vouloir, comme un bon stoïcien, pour se posséder enfin. Vouloir être comme je suis est le premier pas vers la maîtrise de soi.

Pour assumer son rôle il faut savoir n’assumer que lui. Ce n’est pas parce que je dépends du monde dans lequel je vis que je ne dépends pas de moi-même. Dans une vision panthéiste (où Dieu se confond avec la nature), le monde entier est un organisme dont nous sommes un simple élément. Nous n’y perdons pas nos vies, bien au contraire. Cet élément s’appartient, en tant qu’élément. Le monde entier agit sur lui, mais il réagit sur le monde entier : le monde et lui forment un système.

Nous sommes mis en jeu et joueurs à la fois. Chacun de nous peut être considéré comme un pion. Mais de la bonne volonté de ce pion peut dépendre toute une partie : il est à la fois créature et créateur.

Un astrologue dirait qu’une configuration des planètes détermine notre caractère et notre situation, mais pas notre volonté.
Un philosophe dira que les situations de chacun obligent à des choix de vie, mais que l’engagement de chacun reste déterminant.

François Housset

www.philovive.fr
















ILS ONT DIT...

«Ce colonel, qui va planter des choux, aurait bien voulu être général. Mais si je pouvais chercher dans sa vie, j’apercevrais quelque petite chose qu’il fallait faire et qu’il n’a point faite, et qu'il n’a point voulu faire. Je lui prouverais qu’il ne voulait pas être général.»
Alain , Propos sur le bonheur.

“Ce n’est pas seulement durant une partie limitée de son existence que les actions d’un homme dépendent les unes des autres, mais pendant toute la durée de sa vie, du berceau à la tombe ; et il est impossible de rompre un seul maillon, même menu, dans cette chaîne régulière sans affecter toute la série des événements qui suivent.”
Hume . Enquête sur l’entendement humain, Section III (GF 1983 p. 75)

“On cherche dans des considérations abstraites la définition de la vie ; on la trouvera, je crois, dans cet aperçu général : La vie est l'ensemble des fonctions qui résistent à la mort.Il y a surabondance de vie dans l'enfant, parce que la réaction surpasse l'action. L'adulte voit l'équilibre s'établir entre elles, et par là même cette turgescence vitale disparaître. La réaction du principe interne diminue chez le vieillard, l'action des corps extérieurs restant la même ; alors la vie languit et s'avance insensiblement vers son terme naturel, qui arrive lorsque toute proportion cesse. La mesure de la vie est donc, en général, la différence qui existe entre l'effort des puissances extérieures, et celui de la résistance intérieure. L'excès des unes annonce sa faiblesse ; la prédominance de l'autre est l'indice de sa force.”
Bichât , Recherches physiologiques sur la vie et la mort.

“L’ensemble des croyances et des sentiments communs à la moyenne des membres d’une même société forme un système déterminé qui a sa vie propre ; on peut l’appeler la conscience collective ou commune”
Émile Durkheim , De la division du travail social, Livre 1, chap. 2, 1.

“Il ne faut pas demander que les événements arrivent comme tu le veux, mais il faut les vouloir comme ils arrivent ; ainsi ta vie sera heureuse.”
Epictète . Manuel. VIII

”Et à supposer que votre impératif “vivre en accord avec la nature” ne signifie au fond que “vivre en accord avec la vie”, comment vous serait-il possible de ne pas le faire ?”
Nietzsche , Par delà le bien et le mal. 9.

Commentaires

Bonjour, je découvre votre blog si riche.
"Ma vie m'appartient" ? Oui et non. Elle m'est d'abord donnée, non ? Personnellement, c'est à partir de cette idée de don que je commencerais à traiter le sujet. Et donc, je ne vois pas comment on peut se dispenser de la question du "merci". Qu'en pensez-vous ?

Bien sûr je dois la vie à ceux qui me l'ont donné, et je n'ai qu'un mot à leur dire à ce propos, c'est "merci". Mais pour que ma vie m'appartienne je dois bien prendre garde à ne pas me mettre à leur merci ! Ne confondons pas la reconnaissance et la dette ! Merci, chers parents, de m'avoir permis d'exister : je compte en profiter pour vivre la meilleure existence possible. En toute autonomie. Oui, la vie m'est donnée, mais non, je ne la dois pas à mes parents au sens où je me retrouverais prisonnier de cette dette inouïe, me pourrissant ma vie sous prétexte de l'avoir eue en cadeau. Un cadeau ne réclame aucune compensation.

En tant que parent cela fait du bien de lire un tel article ,cela aide à accepter certaines situations et à réflèchir

je me suis pris la tête hier au soir avec une de mes amies.
je viens d'apprendre que je suis atteinte d'un cancer et lors de l'annonce de la nécessaire ablation totale de mon sein le chirurgien me fixe déjà rendez vous pour l'opération .
il a été subjugué quand je lui ai dit
"et si moi je ne veux pas me faire opérer?"combien de temps puis je espérer vivre correctement sans être amputée?
la réponse fut"ce n'est pas possible nous ne connaissons pas l'échéance mais le cancer va proliférer, il ne faut pas attendre"
c'est mon corps c'est ma vie qui peut décider pour moi
pourquoi ne pourrais je dire que je veux vivre moins longtemps mais pleinement
avec un corps qui me permet de vivre ma libido comme je l'entends et de me regarder en étant en accord avec ce que je suis, heureuse et dynamique parce que finalement bien dans cette peau là!
qu'en pensez vous?

Je comprends (non : j'imagine seulement) votre dilemme.
Que vous dire ?
Le médecin veut vous éviter la mort. C'est son boulot : empêcher les métastases de pulluler, du sein à tous les organes.
Et vous répondez que vivre ne vous intéresse pas à ce prix : être vivante n'est pas suffisant, vous voulez vivre "pleinement".
Bon.
Votre vie vous appartient, et ce que vous en faites : vous pouvez refuser de laisser la médecine faire son œuvre. Œuvre amputatoire mais salutaire si et seulement si elle est accomplie à temps.

C'est vous qui donnez le sens de votre vie. Le cancer est une formidable occasion de la repenser. Pardon de le présenter comme une aubaine quand le traumatisme est flagrant. Disons que c'est une contrainte et qu'il faut faire avec : chercher la liberté DANS la contrainte. Allez vous vivre avec un sein en moins ? Ou pas ?

Vous dites que vous êtes bien "dans cette peau là", j'en suis ravi pour vous. Et dans une autre ?
Vaut-il mieux le peu à vivre "dans cette peau là" ou davantage de temps, dans une nouvelle peau ? La transformation proposée est-elle acceptable ? Vous l'avez d'emblée refusée au médecin qui oubliait de vous demander votre avis, puis vous vous prenez la tête avec une amie et vous écrivez sur ce site : vous interpelez et vous avez raison de le faire. Ce qui signifie que cette décision n'est pas ferme, qu'elle est encore à questionner. Questionnons donc, c'est urgent et important : penser sa vie, vivre sa pensée. La philosophie est loin d'être inutile ! Même si moi qui philosophe depuis plus de vingt ans je me sens démuni face à votre interpellation. Face à toutes en fait. Philosopher, c'est sans cesse être confronté à ces vertiges. Mais franchement, quoi de plus important ?

Je me permets de reprendre une de vos expressions : "c'est mon corps c'est ma vie qui peut décider pour moi ", écrivez-vous. Or ce corps c'est vous, cette vie, c'est la votre : ils ne décident pas pour vous. La preuve, c'est que vous hésitez en ce moment même à décider d'eux. Vous POUVEZ dire que vous voulez vivre moins mais mieux. Rien ne vous est imposé. Juste proposé. On ne vous volera pas votre sein. On vous PROPOSE de supprimer ses métastases, ce qui implique de l'enlever. Et si le médecin l'a peut-être dit maladroitement, il n'en est pas moins vrai que votre corps vous appartient.

Je relis l'introduction d'un livre de Michel Onfray : Fééries anatomiques. Il y raconte le cancer du sein de sa femme. C'est bouleversant.
"Comment penser son corps dans pareil moment ? De quelle manière reconstituer un shéma corporel avec cette béance ? Que penser de sa propre chair qui nous donne l'impression de nous avoir trahi ? (...) Pendant que j'écoute sa respiration forte à cause de l'appareillage postopératoire, je conçois ma chance de partager sa vie digne et droite."

Beaucoup de personnes ayant hésité à choisir la mort plutôt qu'une vie amputée, m'ont confié qu'elles ont choisi la vie "à cause" de leurs relations : des proches avaient assuré qu'ils ne survivraient pas à leur suicide.
Nous sommes des être-en relation, et vivons souvent pour cela. Cet argument encore peut sembler pauvre face à ce qu'Onfray nomme "la vilenie des hommes", quittant leurs femmes dès qu'ils apprennent le cancer. Moi-même, les fois où j'ai rationnellement envisagé de cesser de vivre, ce sont mes proches qui m'en ont empêché, arguant que leur vie serait "foutue" sans moi. Je leur en ai voulu d'abord, puis, retrouvant le goût de vivre dans de nouvelles situations, je les ai finalement remercié de ces formidables jouissances que je n'aurais connues si j'avais cessé de vivre. C'est ce que j'ai dit récemment à une collégienne qui, au sortir d'un débat, m'a confié : "mon copain vient de me quitter et j'ai peur de faire une bêtise". Je ne pouvais lui donner un autre copain, comme je ne puis vous consoler de ce sein qu'"on" peut vous enlever. Simplement, quand bien même la douleur est immense, la vie peut receler mille et une jouissances.

Pour quoi, pour qui vivre ? C'est à vous, aujourd'hui, de répondre. Parce que c'est votre vie. Quelle que soit votre décision, elle vous appartient. Entièrement.
Je vous souhaite l'ardeur, la force, la lucidité qui s'imposent.

Merci de m'avoir interpelé. Pardon de ne pas répondre davantage. N'hésitez pas à partager vos considérations. Elles sont précieuses, pour moi comme pour tous.

Elle m'appartient... oui. Mais, bien souvent,la manière dont elle va être vécue - si j'ose dire ! dépend de la manière dont les géniteurs ou leur entourage façonnent le personnage que je vais devenir, de gré ou de force. J'ai dépassé la soixantaine, mais je "souffre" encore de manières de vivre que mes parents (forts gentils au demeurant), m'ont imposées. Comme ma soeur. Comme mon frère.

"Tais-toi, nous sommes des pauvres". J'ai entendu cela toute mon enfance...

Ajouter un commentaire

Nouveau commentaire