“Ma vie m’appartient”
Par François HOUSSET | Les Textes #53 | 6 commentaires | |
“Ma” vie : le pronom possessif dit déjà tout. Oui, ma vie m’appartient, car moi seul la vis. En ce sens, même un esclave possède sa propre vie. Vivre, c’est mon affaire. Chacun se préserve autant qu’il peut, parce qu’il appartient à chacun de lutter contre la mort. Mais vivre ne suffit pas : il faut encore “vivre sa vie” : ce qu’on appelle “la vraie vie” n’est pas qu’un phénomène organique. Il nous faut encore diriger notre vie.
Observons l’aspect purement biologique du “moi” : un paquet d’organes assez bien organisés pour que “ça” respire, que “ça” mange, etc. Ces éléments permettent de donner une réponse objective à la question “ça va ?” civile. Voyons maintenant l’aspect sociologique de toute vie humaine : ce ne sont pas les individus qui vivent leurs vies (il n’y a pas d’individu), c’est une société qui les fabrique en série. La question philosophique “qui suis-je” en perd son sens, il faut la reformuler : “que suis-je ?” Toute conscience est façonnée par un environnement social, tout caractère est déterminé. Les faits sociaux sont des choses, rien que des choses. Et moi qui croyais être quelqu’un !
Il paraît inacceptable que “ma” vie se résume à des déterminismes ! J’ai une conscience, des sentiments, une volonté ! Mais tous sont produits d’un organe : le cerveau, donc dépendants de phénomènes déterminés. J’ai bien une volonté : il m’appartient de prendre des décisions, je fais ce que je veux bien. Mais par ce “bien” qu’entendre ? Un paquet de devoirs dictés par un conditionnement psychologique. Il ne suffit pas de couper le cordon du nouveau-né pour qu’il soit autonome. Dès sa naissance il est entre les mains de processus qui ne lui appartiennent pas. Formaté par sa famille, son école, sa Cité, il adoptera des comportements sociaux déterminés de sa naissance à sa mort. Avant même d’être “conçu”, l’enfant est “parlé” : il est le projet de ses géniteurs.
Nous ne sommes pas responsables de ce qu’on a fait de nous. Mais nous décidons de ce que nous faisons de notre vie préfabriquée. Notre vie nous appartient donc bien parce que nous avons une volonté. Que cette volonté doive faire avec des contraintes n’y change rien.
Accepter sa vie comme elle est donnée, n’est-ce pas vouloir être un produit social, un maillon dans une chaîne ? Pour que ma vie m’appartienne, il faut bien que je sois réaliste : c’est en fonction des événements que je décide quoi faire. Événements dont ma vie dépend comme un bouchon flottant sur les eaux, emporté par le courant. Les choses sont ce qu’elles sont, et me déterminent. Être maître de soi nécessite d’accepter que certaines choses soient indépendantes de la volonté. Non seulement il faut l’accepter, mais il faut le vouloir, comme un bon stoïcien, pour se posséder enfin. Vouloir être comme je suis est le premier pas vers la maîtrise de soi.
Pour assumer son rôle il faut savoir n’assumer que lui. Ce n’est pas parce que je dépends du monde dans lequel je vis que je ne dépends pas de moi-même. Dans une vision panthéiste (où Dieu se confond avec la nature), le monde entier est un organisme dont nous sommes un simple élément. Nous n’y perdons pas nos vies, bien au contraire. Cet élément s’appartient, en tant qu’élément. Le monde entier agit sur lui, mais il réagit sur le monde entier : le monde et lui forment un système.
Nous sommes mis en jeu et joueurs à la fois. Chacun de nous peut être considéré comme un pion. Mais de la bonne volonté de ce pion peut dépendre toute une partie : il est à la fois créature et créateur.
Un astrologue dirait qu’une configuration des planètes détermine notre caractère et notre situation, mais pas notre volonté.
Un philosophe dira que les situations de chacun obligent à des choix de vie, mais que l’engagement de chacun reste déterminant.
François Housset
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ILS ONT DIT...
«Ce colonel, qui va planter des choux, aurait bien voulu être général. Mais si je pouvais chercher dans sa vie, j’apercevrais quelque petite chose qu’il fallait faire et qu’il n’a point faite, et qu'il n’a point voulu faire. Je lui prouverais qu’il ne voulait pas être général.»
Alain , Propos sur le bonheur.
“Ce n’est pas seulement durant une partie limitée de son existence que les actions d’un homme dépendent les unes des autres, mais pendant toute la durée de sa vie, du berceau à la tombe ; et il est impossible de rompre un seul maillon, même menu, dans cette chaîne régulière sans affecter toute la série des événements qui suivent.”
Hume . Enquête sur l’entendement humain, Section III (GF 1983 p. 75)
“On cherche dans des considérations abstraites la définition de la vie ; on la trouvera, je crois, dans cet aperçu général : La vie est l'ensemble des fonctions qui résistent à la mort.Il y a surabondance de vie dans l'enfant, parce que la réaction surpasse l'action. L'adulte voit l'équilibre s'établir entre elles, et par là même cette turgescence vitale disparaître. La réaction du principe interne diminue chez le vieillard, l'action des corps extérieurs restant la même ; alors la vie languit et s'avance insensiblement vers son terme naturel, qui arrive lorsque toute proportion cesse. La mesure de la vie est donc, en général, la différence qui existe entre l'effort des puissances extérieures, et celui de la résistance intérieure. L'excès des unes annonce sa faiblesse ; la prédominance de l'autre est l'indice de sa force.”
Bichât , Recherches physiologiques sur la vie et la mort.
“L’ensemble des croyances et des sentiments communs à la moyenne des membres d’une même société forme un système déterminé qui a sa vie propre ; on peut l’appeler la conscience collective ou commune”
Émile Durkheim , De la division du travail social, Livre 1, chap. 2, 1.
“Il ne faut pas demander que les événements arrivent comme tu le veux, mais il faut les vouloir comme ils arrivent ; ainsi ta vie sera heureuse.”
Epictète . Manuel. VIII
”Et à supposer que votre impératif “vivre en accord avec la nature” ne signifie au fond que “vivre en accord avec la vie”, comment vous serait-il possible de ne pas le faire ?”
Nietzsche , Par delà le bien et le mal. 9.
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