Suis-je le mieux placé pour savoir qui je suis ?
Par François HOUSSET | Les Textes #65 | 8 commentaires | |
Quand je pense à moi, à quoi je pense ? Peut-on se juger soi-même comme un autre, comme n’importe qui ?
Je ne suis pas n’importe qui. Je suis seul à connaître ma singularité, par exemple mes sens (personne n’a mal à mes dents) et mes mobiles les plus intimes, ceux que pour rien au monde je ne dévoilerais. Je suis seul juge ! Parce que je suis juge et partie, je me déclare compétent, en plein accord avec moi-même !
Qu’est-ce que ce “moi” qui se traîne au banc des accusés ? Un ego qui doute de lui-même, qui se remet en question, qui demande l’avis d’un juge -mais veut comme juge celui-là même dont il doute ! ? Et qu’est-ce que ce juge, qui a l’inconstance de l’accusé ? Une humiliation de l’ego, et le voilà qui se dévalue. Une récompense, et le voilà qui se surestime ! Par quel moyen saura-t-il parvenir à un jugement qui ne soit plus inconstant, pour se considérer tel qu’il est ? Qu’est-il ? ce je-ne-sais-quoi qui fait dire à quelques uns "je te reconnais bien là"... objectivement ?
L’objectivité ! Voilà le nœud du problème, qui fait l’enjeu du débat : quand je me considère je suis à la fois sujet et objet. Il faudrait que le “moi” qui scrute ne soit pas le “moi” observé. Que la connaissance de soi soit une prospection, pas une introspection. Justement, il y a des “moi” distincts. Le “moi” est composé de nombreuses “parties de moi” dissemblables : je suis le travailleur, le oisif, le conservateur et le révolutionnaire, le casanier et le nomade... Je peux bien être juge et partie, parce que je suis plusieurs.
Connaître ses erreurs, savoir lesquelles on a répété afin de les éviter à l’avenir, permet d’agir de mieux en mieux. On se juge pour parfaire sa conduite. À mesure que je me fréquente et me juge, je me corrige. Le but poursuivi est de parvenir à la plus parfaite maîtrise de soi possible par un examen critique. Si je décrète (encore une fois en plein accord avec moi-même) que je suis quelqu’un de bien, le jugement équivaut à un contrôle technique qui dirait que tout est OK, et voilà le sujet confirmé. Mais supposons que le verdict soit “coupable” : je peux voir ce qui convient d’être corrigé et tout faire pour m’améliorer... et je puis me “réparer”... ou me châtier, si je m’en veux ! En ce cas l’ego qui juge se prend pour un dieu rédempteur, et sévit ! Comble des paradoxes, me voilà maître et esclave à la fois, et maître châtiant l’esclave ! Joli manque d’objectivité !
Ma mauvaise foi m’abuse. Je suis mal placé pour me définir moi-même. Mieux vaut demander qui je suis à un observateur neutre. J’ai besoin des autres pour savoir objectivement qui je suis. Bien sûr moi seul sais subjectivement qui je suis (mon orgueil, ma vanité, mes désirs, que je cache à mesure que je connais mes tares), mais cela n’importe pas, et même si le passant qui passe n’a de moi qu’une vision fugitive et partielle, elle est objective et de fait plus concrète.
Que suis-je en dernière analyse ?
Un homme qui se connaît pour s’être rencontré de multiples fois ? On change les donnes avec le reflet du miroir déformant : juger c’est trancher, dans le vif du sujet, qu’on a chosifié ! À qui accorderais-je ce droit impudent, sinon à moi-même ? Mais quelle image ai-je de moi, sinon celle que me renvoient les yeux des témoins qui m’entourent ? Ils sont bien placés pour me voir. Je suis le mieux placé pour saisir leurs regards sur moi.
François Housset
www.philovive.fr
ils ont dit....
“La pensée qui se contemple seulement n’est qu’ennui ou tristesse. Essayez. Demandez-vous à vous-même : “Que lirai-je bien pour passer le temps ?” Vous baillez déjà. Il faut s’y mettre. Le désir retombe, qui ne s’achève en volonté. Et ces remarques suffisent pour juger les psychologues qui voudraient que chacun étudie ses propres pensées comme on fait des herbes et des coquillages. Mais penser c’est vouloir.” Alain, Propos sur le bonheur. (Cité par Sartre, Lettre à Simone Jolivet, 1926.)
“Eh ! considérons la faiblesse, l’inanité de nos jugements. Vous dites : Cet homme pense bien ; qu’en traduise ces mots, ils signifient : Cet homme pense comme moi.” Joseph DROZ. L’art dêtre heureux (1806)
“Tout, au-dehors, dit à l’individu qu’il n’est rien. Tout, au-dedans, lui persuade qu’il est tout.” Ximénès Doudan, Pensées et fragments, Philosophie, morale, religion.
“Quand l’individu est si fort qu’il tend à tout absorber, c’est qu’il a besoin d’être absorbé lui-même, de se fondre et de disparaître dans la multitude de l’univers. Élie Faure, Histoire de l’Art, l’Art moderne I, Introduction à la première édition.
“L’individu s’oppose à la collectivité, mais il s’en nourrit. Et l’important est bien moins de savoir à quoi il s’oppose que ce dont il se nourrit. Comme le génie, l’individu vaut par ce qu’il renferme.” Malraux, Le Temps du mépris, Préface.
“Il n’est permis à personne de dire ces simples mots : je suis moi. Les meilleurs, les plus libres, peuvent dire : j’existe. C’est déjà trop. Pour les autres, je propose qu’ils usent de formules telles que “Je suis Soi-même” ou “Je suis un Tel en personne.” Sartre. Saint Genet comédien et martyr.
“Pour mater mon caractère je me suis efforcé de le dissimuler.” “Je ne suis jamais vrai parce que je cherche toujours à modifier, à recréer : je n’aurai jamais le bonheur ( ?) de pouvoir agir spontanément.” Sartre, Lettre à Simone Jolivet (1926)
“Je me suis demandé soudain : “Comment me voit-elle ?” et j’éprouvai un sentiment aigu de supériorité : car je connaissais mon for intérieur, et elle l’ignorait ; trompée par les apparences, elle ne se doutait pas, voyant mon corps inachevé, qu’au-dedans de moi rien ne manquait ; je me promis, lorsque je serai grande, de ne pas oublier qu’on est à cinq ans un individu complet.” Simone de Beauvoir. Mémoires d’une jeune fille rangée.
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