PhiloVIVE ! La philosophie orale et vivante

Compte-rendu de Michèle FOIN

La Fondation 93 (1) mène des actions en partenariat avec le Conseil général de la Seine-Saint-Denis, avec le soutien du ministère de la Culture, de l'Éducation, de la Justice et de la Recherche, et de la Région Île-de-France. L'un de ses multiples projets de cette année, le Passeport Découverte "Évolution", consiste à inviter des collègiens à y voir plus clair dans le foisonnement de la nature, en rencontrant des chercheurs qui les aident à classer les organismes vivants. La séance décrite ici par Michèle FOIN relate l'intervention du philosophe, succédant celle de Mikaël Agolin, chercheur en biologie systématique.

Projet Evolution
Collège Jean-Lolive à Pantin
Classe de 5ème
Mardi 15 mai de 10h à 12h

Intervenant : François Housset, Philosophe
Enseignant : Michel Gardy
Compte-rendu : Michèle FOIN, journaliste

François Housset est philosophe. En partant de la classification des animaux faite par les enfants durant les séances précédentes, il souhaite les faire réfléchir à la théorie de l’évolution en regard de la création. Avec deux objectifs majeurs. Leur faire comprendre que l’idée de création de la nature par une puissance divine est incompatible avec toute approche scientifique de l’évolution et que dans un établissement laïque, la seule approche possible, reste l’approche scientifique, dans le respect des croyances de chacun.

C’est quoi un philosophe ?

- C’est ceux qui font des hypothèses
- C’est un psychologue
François : C’est quoi la différence entre un psychologue et un philosophe ?
- Un psychologue, c’est fait pour soigner. Un philosophe, il fait ce qu’il veut.

François : La philosophie est composée de deux mots : philo + sophie. Est-ce que vous connaissez des mots qui commencent par philo ?
- philosophie, philosophe
- fil de fer

François : « philanthrope », ça vous dit quelque chose ? C’est quelqu’un qui aime les Hommes. Phile, ça veut dire « qui aime ». Sophie, ça veut dire « sagesse ». Un philosophe, c’est quelqu’un qui aime la sagesse. Ca ne veut pas dire qu’il est sage.

- C’est quoi la sagesse ?
- Les prêtres ils sont sages.

François : il y a deux définitions de la sagesse. D’un côté les prêtres. Le prêtre bouddhiste par exemple va dire « Je contemple l’éternité et je suis heureux ». De l’autre côté, le scientifique qui dit : « 1+1=2 », « la terre est ronde ». La sagesse c’est, ici, le savoir. C’est ça le problème du philosophe. A un moment j’ai intérêt à penser que 1+1 = 42 parce que ça me fait rigoler, et à partir de ce moment là je récupère quelque chose qui est du délire. A un autre moment, pour traverser une route par exemple, j’ai besoin de savoir quelles sont les lois, sinon, je vais me faire renverser. Je suis sage en traversant quand c’est à mon tour, sur les passages cloutés. Un philosophe c’est quelqu’un qui hésite entre ces deux voies là, entre ces deux sagesses là.
Un philosophe, il n’est pas sage. Il est amoureux de la sagesse. On ne possède pas ce qu’on aime. Quand on veut être sage, on peut dire à un moment « j’ai envie de m’abandonner complètement dans une grande croyance qui va me remplir de bonheur ». Et à un autre moment, on peut dire au contraire « Je vais douter de tout ». Il y a des philosophes qui vont dire « Cette table, je ne crois pas qu’elle existe ». Ils vont même douter de ce qu’ils voient. Peut-être que je ne suis pas vraiment là. Vous avez vu Matrix ?
- Oui, moi aussi des fois je pense ça la nuit !

François : A un moment, le philosophe est dans le doute total. Il peut perdre toutes ses certitudes. A d’autres, il se rattache à des visions scientifiques. Je ne suis pas ici pour vous soigner, mais pour vous montrer quelle est votre responsabilité. A partir du moment où vous êtes conscients que vous êtes ici, que vous existez, vous êtes responsables de tout ce que vous allez faire. Au Moyen Age, on ne décidait pas de qui on était. On n’avait pas d’identité. On obéissait à un seigneur. En tant que paysan, mon rôle était de labourer ce champ, toute ma vie. Je n’étais pas libre.
- Comme des robots.

François : Maintenant, vous êtes libre. A tout moment, si vous n’êtes pas d’accord, vous pouvez m’interrompre. Mon but c’est d’aller dans plusieurs sens, et de vous montrer plusieurs logiques. Je peux dire à la fois que Dieu existe et que Dieu n’existe pas.
- C’est faux !
François : les deux sont faux ! Les deux sont vrais ! A vous d’argumenter et de dire « Voilà ce que je crois ». On a le monde à refaire ensemble.

Deux façons de voir le monde

François : il y a deux façons de voir le monde : une façon qui est évolutionniste, et une façon qui est créationniste. D’un côté, on a l’évolution. De l’autre on a quoi ?
- L’involution !

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François : l’évolution c’est quoi déjà ?
- Quand on a été des singes, on a évolué
François : vous croyez tous à ça ?
La majorité des élèves croient que l’homme descend du singe.

François : Les singes sont encore vivants ! Mes parents ne sont pas des singes ! Mes parents sont des homo sapiens. Nous avons un ancêtre commun avec les singes, mais on ne descend pas du singe.
- C’est une bactérie ?
François : d’où elles viennent les bactéries ?
- Des pierres, du monde, des roches !
- Grâce à ça on soigne !
François : elles peuvent nous rendre malade aussi. C’est le plus petit être vivant. D’où viennent-elles ?
- La pollution
François : elles existent depuis 3.5 milliards d’années.
- Comment elle est construite la terre ?
- En fait il y a eu le big bang. Une étoile a explosé !
François : notre univers est en expansion. Au départ, il y avait quoi ?
- Une étoile
- Un soleil
- Le vide
- Qui contrôle la galaxie vide ?
- Personne !
- Dieu !

François : Voilà : d’un côté il y a l’évolution qui dit : « c’est comme ça, il y a des lois nécessaires ». Regardez. Je lâche ce stylo, et il tombe. Il y a une loi, celle de la pesanteur.
- C’est la pesanteur ! Ca descend vers le noyau.
François : tout ce qui est lourd attire
- Pourquoi ça va pas vers le haut quand vous lâchez ?
François : si au dessus il y avait quelque chose de plus lourd que la terre, il monterait quand je lâche ce stylo.
- C’est pas le magnétique ?
François : Je sais que quelque chose de lourd attire quelque chose de plus léger, mais je ne sais pas forcément pourquoi. C’est comme les aimants : on sait comment ça marche, on ne sait pas pourquoi.
- C’est magnétique.
- Le plus attire le moins. Si on met deux moins ensemble, ils se repoussent.

François : On ne sait pas pourquoi. On sait comment on est passé de la bactérie au poisson, du poisson au singe, mais on ne sait pas pourquoi. On oppose d’un côté l’évolution, de l’autre la création. D’un côté, on dit qu’il y a eu un big bang sans l’aide de personne. De l’autre on dit qu’une volonté a guidé tout cela. D’un côté, on a l’évolution naturelle, de l’autre on a quelqu’un qui dirige cet univers.
- C’est qui ?
François : Dieu !
- C’est qui qui commande Dieu ?
- Pourquoi on peut pas voir Dieu ?
- Comment il s’est créé Dieu ?

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François : ceux qui croient en la création pensent qu’ils ne sont pas là pour rien, qu’il y a un but. Ils disent qu’il y a une intelligence derrière tout cela, qu’on ne peut pas expliquer comment les choses naissent, grandissent, et meurent. Pourquoi mon cœur s’arrête-t-il soudain de battre ?
- Il est trop vieux ! Il est pourri.
François : quand on ne sait plus répondre, on dit souvent que c’est Dieu qui l’a voulu.
- Oui, c’est vrai.
François : Donc, vous avez le choix de croire ou pas. Et c’est quelque chose de totalement nouveau. Jusqu’à il y a peu de temps, tout le monde croyait que le monde avait été créé
- Sinon on les tuait !
François : oui, on les brûlait sur la place publique !

François : Donc, d’un côté, ce qui se produit dans la nature est naturel, de l’autre c’est Surnaturel.
- Comme un magicien ?
François : oui, si je suis créationiste, je crois qu'il y a des miracles, que c’est la volonté de Dieu qui fait que je suis là. Je crois qu'il a créé le monde. A tout moment, tout peut arriver. Je peux me transformer puisqu’il n’y a pas une loi naturelle qui m’oblige. Quand je fais un geste, c’est Dieu qui calcule. Je pourrais disparaître. Tout est miraculeux.
De l’autre côté, l’évolutionnisme veut dire complètement l’inverse. A partir du 18ème siècle, Darwin nous arrive, avec la sélection naturelle.

- Quand c’est naturel, on peut se transformer en monstre, et quand c’est Dieu on peut pas se transformer.
François : pour les créationistes, c’est Dieu qui décide, ce n’est pas la nature. Avec Dieu, tout peut arriver. Avec la nature il y a des lois nécessaires...
Quels sont vos doutes et vos questions par rapport à tout ce que je viens de vous dire ?
- Qui a créé Dieu ?
- Est-ce que tout est vrai ?
- Dieu il existe ?
- Est-ce qu’il y a une fin à l’univers ?
- Avec le réchauffement, est-ce qu’on va tous mourir ?
- Est-ce qu’on est à la fin du monde ?
- Est-ce qu’il y aura encore de la nourriture ?
- Est-ce qu’il y aura bientôt l’apocalypse ?
- Les extra terrestres existent-ils ? Vont-ils venir sur terre ?
- Y a-t-il d’autres personnes dans les autres planètes ?
- Qu’y a-t-il après l’explosion de la terre ?
- Est-ce qu’on est des illusions ?
- Comment ça fait la fin du monde ?

Dessin : Geluck

Qu’est-ce que ça veut dire « laïque » ?

François : Aujourd’hui, j’ai le droit de croire de plusieurs façons. Nous sommes ici dans une école publique, laïque. C’est très important. Tout le monde y est accepté. Qu’est-ce que ça veut dire « laïque » ?
- Quand on est athée
- Qui accepte toutes les religions
- C’est quoi athée ?
- Athée, c’est quand on croit à nous même !
- La réponse de Samia elle est mieux, c’est quand on croit à toutes les religions.

François : l’école laïque, c’est les trois à la fois : c’est pour tout le monde, c’est pour toutes les religions, mais c’est pour les athées aussi.
- Ca ne me va pas. C’est que les religions.

François : mais alors, quelqu’un qui ne croit pas en Dieu, il va où ?
- Il va au Diable !

François : Est-ce que j’ai le droit de ne pas croire en Dieu à l’école publique ?
Plus de la moitié pensent que oui.

François : Mais ça c’est très nouveau. Depuis 1905. Avant, tous les scientifiques étaient d’abord des croyants. On n’avait pas le droit de contester. Ceux qui contestaient les textes sacrés étaient persécutés. Tous les scientifiques qui se sont éloignés des textes sacrés ont été condamnés. Jean-Paul II a admis que la terre était ronde, au 20ème siècle ! Depuis Galilée, c’était un blasphème de dire que la terre était ronde parce ce que ce n’était pas écrit dans les textes sacrés.

La sélection naturelle

Darwin est né en 1859. Au départ, il était très croyant. Il voulait devenir prêtre. Il a décidé de faire un voyage pour montrer la toute puissance de Dieu. Et puis il s’est rendu compte qu’à 500 Km, les escargots étaient différents, qu’ils s’étaient adaptés à leur environnement, à leurs prédateurs. Il s’est aperçu qu’il y avait des espèces qui vivaient mieux que d’autres, en fonction de leur milieu. Ainsi, dans le nord de la France, le paysage était noir, du fait des mines de charbon. Il y avait des papillons de toutes sortes. Mais on s’est aperçu, qu’avec le temps, seuls les papillons noirs ont survécus. Sur le paysage noir, ils étaient moins visibles que les papillons de couleur. Maintenant qu’il n’y a plus de mines, mais beaucoup de villes, ce sont les papillons blancs qui survivent le mieux, car ils se font moins voir que les papillons noirs sur des murs blancs. C’est ce que Darwin a appelé la sélection naturelle. - Pourquoi il y a des humains qui sont noirs et d’autres blancs ? C’est pour se cacher des prédateurs ?

François : je ne suis pas blanc POUR échapper aux prédateurs. Ca, c’est du finalisme. Ca voudrait dire que c’est Dieu qui a décidé. Qu’une volonté m’a créé noir ou blanc. Que dans chaque chose, il y a une volonté divine.
- Et oui, si on n’aurait pas de pieds, les chaussures, elles auraient servi à rien !

François : quels autres postulats pourrait-on faire comme ça ?
- Les femmes sont là pour les enfants
- Les yeux sont là pour voir
François : les hommes sont là pour les femmes ou les femmes pour les hommes ? Jusqu’au 18ème siècle, on pensait que le monde avait été fait par un grand horloger. Qu’il y avait des rouages que l’homme devait suivre.

Reprenant les arbres fait par les enfants, François énumère une série de questions : Pourquoi le chien a-t-il une queue ? Pourquoi l’araignée est-elle aveugle ? Pourquoi le poisson est-il rouge ? Pourquoi la langoustine a ses os dehors et pas dedans ?

François : Soit c’est Dieu qui l’a fait, soit c’est le hasard total. Qui croit au deux ?
La majorité des élèves lève le doigt.

- Pourquoi les grenouilles elles sont pas caméléons et ne changent pas de couleurs ?
- N’importe quoi !
- Eh, on est dans la philo, on peut dire ce qu’on veut !

François : pour les créationnistes, il existe un dessein intelligent, un but poursuivi qui explique toute chose. Dieu est un artisan, un mécanicien. C’est le principe de toutes les religions. Pour les évolutionnistes, on ne regarde que la nature. On suppose qu’il existe une immense diversité. Et plus il y a de générations, plus il y a d’évolution. Par exemple, un papillon éphémère va générer 365 générations en un an. Ce qui va lui permettre d’évoluer beaucoup plus vite que les humains qui ont en moyenne une nouvelle génération tous les 25 ans. Plus les conditions de vie sont difficiles, plus il y aura de sélection. Dans le confort, la diversité se maintient.

François : Aux Etats-Unis, je peux enseigner Darwin, mais il faut que je parle du dessein intelligent. Pire même, au Kansas, on a pas le droit d’enseigner Darwin !

- Les sectes, c’est comme Darwin, avec Tom Cruise

François : ici, à l’école publique, on ne peut pas vous enseigner comment croire. Vous êtes responsable de votre croyance. La création du monde peut être enseignée comme un mythe, mais c’est tout. Nous ne prêchons pas, nous enseignons. Un texte sacré n’a rien à faire dans une classe. Si mes enfants sont dans un collège où on enseigne que la terre est plate, je vais être très gêné car je suis sûr que c’est une erreur. Ils vont me répondre qu’au nom de Dieu, ils pensent que la terre est plate. Qu’est-ce que je fais ? J’ai la chance d’être dans un état laïque, je vais dire « Attention, vous ne respectez pas la loi française. ». Si la loi française ne fait plus la séparation entre l’Eglise et l’Etat, là je me retrouve obligé de laisser croire mon enfant que la terre est plate.

- Vous lui dites d’apprendre pour ses études et que c’est pas vrai !
François : oui, mais il ne croira plus jamais ce qu’on lui dit à l’école ! A partir du moment où je crois en une chose, j’ai du mal à croire à l’inverse.

François : un texte sacré n’a rien à faire dans une salle de classe. Comme ça, on ne le désacralise pas. Il reste dans le « temple ». Mais en même temps, il peut y avoir des bonnes choses dans ces textes. Jusqu’à quel point je peux réfuter tout ?
- Ca veut dire quoi « réfuter » ?
François : Je réfute par exemple ceux qui disent que la terre est plate.

Et Dieu, il ne peut pas s’associer avec la science ?

François : La science a des critères reconnus par tous. Même si je suis très religieux : 1+1=2. Il y a des preuves. Or, on n’a jamais prouvé qu’il existe un dessein intelligent. Quels sont les arguments des créationnistes ?
a) Tous les chercheurs qui travaillent sur Darwin, n’ont pas pu prouver tout. On manque de preuves.
b) Certaines de ces preuves qui manquent, montrent que la théorie de Darwin ne fonctionne pas, et prouvent donc que l’évolution est une mauvaise théorie.
c) Puisqu’il y a des éléments qui ne fonctionnent pas, puisqu’on manque de preuve, ça signifie qu’il y a un dessein intelligent. Un but poursuivi par un auteur intelligent.

Répondons maintenant à ces arguments.
a) On manque de preuves : c’est vrai. La nature est trop compliquée pour être expliquée dans ses moindres détails. Si on prend 10 feuilles d’un arbre, elles sont toutes différentes. On ne peut pas reproduire une expérience scientifique sur un être vivant. Car chacun est absolument unique.

- Et les jumeaux, les clones !
François : il y aura toujours des différences

François : b) c’est pas parce qu’on manque de preuves que la théorie est mauvaise. La météo par exemple : elle se trompe parfois. C’est tout de même une science ! C’est la même chose pour les espèces, la théorie est bonne. D’ailleurs, si quelqu’un avait réussi à prouver que la théorie de Darwin était mauvaise, il aurait eu le prix Nobel ! - Il aurait gagné beaucoup d’argent ?

François : c) ensuite, ce n’est pas parce qu’une science ne peut pas tout prouver que la théorie est mauvaise.
En conclusion, ce qu’il faut garder à l’esprit, c’est qu’à partir du moment où j’accepte l’idée de Dieu, il n’y a plus de science possible.

Propos recueillis par Michèle FOIN
michele.foin@neuf.fr

(1) Fondation 93
Association d’action culturelle & CCSTI d’Île de France
www.fondation93.org
70, rue Douy-Delcupe, 93100 Montreuil
Tél. 01.49.88.66.48 (LD)
contact@fondation93.org
Chargée de projet "Évolution" : pauline@fondation93.org

Liens internes :

• Morale et religion

• Science sans conscience

• L’homme est un mouton pour l’homme

• La création naît-elle forcément d'un chaos de la pensée ?

• La foi

Liens externes :

• Et Dieu créa Darwin
  

• Créationnisme : le Conseil de l'Europe veut-il enterrer Darwin ? Par Jean Etienne
  

• La mécanique universelle, philosophie se reconnaissant naïve du "Grand Horloger".