Pourquoi s’habille-t-on ?
Par François HOUSSET | Les Textes #54 | 2 commentaires | |
On prétend se couvrir pour se protéger (du froid, du soleil, etc.), parce que tout naturellement notre fragile corps de “singe nu” réclame des peaux artificielles. Voilà bien une pensée née tout habillée ! Allez la soutenir quand il fait quarante-cinq degrés et que l’on n’ose pas “tomber la veste”, encore moins la chemise !
S’habiller, c’est se donner une identité, adopter la tenue correcte exigée pour être identifié. On ne porte pas une cravate, des Nike ou une fourrure parce que c’est utile, mais parce que notre image en dépend. Notre corps est un ceintre, un moyen de présenter une identité sociale conforme aux attentes des autres : on s’habille pour être présentable. Car il est plus aisé de présenter un costume qu’un corps nu, le notre surtout.
©DARIO LOPEZ-MILLS/SAP/SIPA
Le 6 mai 2007 Place Zocalo à Mexico, 20 000 personnes posent nues en faisant le salut au drapeau sous l’objectif du photographe américain Spencer Tunick
La pudeur est une réaction à la réprobation extérieure (réelle ou supposée) devant notre nudité. Nous sommes gênés d’avoir un corps et répugnons à le dévoiler : nous n’en montrons le plus souvent que le visage et les mains. Nous dénuder serait nous réduire à de la chair, de la viande, c’est-à-dire une chose. Nous préférons être quelqu’un. Avoir à se déshabiller peut être la pire des humiliations : les prisonniers devant se mettre à nu devant leurs gardiens se sentent déshumanisés. Dépouillé de ses masques, l’homme se trouve pareil aux bêtes. Il ne veut pas être un corps, il se veut d’abord esprit.
Emma Hack
Nous n’évoluons pas dans une nature brute. Nous habitons un système de signes d’appartenance sociale (ou de refus d’appartenance sociale : le “bobo” qui va à l’opéra en jeans se veut marginal, mais se trouve paradoxalement tout aussi “normé” que le “costard-cravate”). L’habit fait le moine. Il est tout à fait normal de se vêtir parce que nos classes sociales ont leurs indispensables normes.
L’habit est un code, un langage permettant de faire passer des messages autour de soi : “je suis quelqu’un d’important”, “je suis aimable”, “j’ai la haine”... Dès que nous sommes habillés nous sommes marqués. Tout uniforme est un support pour être identifié, et nous donne un rôle en déterminant un comportement : on ne peut s’imaginer qu’un homme “habillé en Monsieur” soit irresponsable. Le vêtement rend prévisible : il promet.
“Qui suis-je ?” chacun de mes vêtements répond à cette question, et sans eux la question ne serait plus : devant mon corps je me demanderais seulement : “que suis-je ?” Parce que nos vêtements nous déterminent, nous y attachons autant d’importance qu’à notre existence. On se fait beau, à proprement parler. Notre apparence est notre œuvre, on peut parler d’esthétique éthique ou sociale. Le vêtement est là pour cacher et pour montrer tout à la fois. Il faut mettre en valeur une gorge en la laissant deviner, faire qu’une jambe ne soit dévoilée qu’au “hasard” d’une jupe fendue. L’artifice rend divin le désir le plus bestial quand bien même on s’habille pour se déshabiller : “les jupes sont conçues pour être troussées”, disait Voltaire. En jouant à nous faire beaux, nous touchons la grâce. Ce charme est encore pur artifice. Avoir “du naturel” ce n’est le plus souvent qu’avoir trouvé “son look”.
Ceux qui ont la chance d’avoir différents vêtements de rechange, donc plusieurs personnages au choix, ont plusieurs rôles à jouer dans le théâtre du monde. Ils montrent leur spiritualité en habillant leur âme et leur cœur.
François Housset
www.philovive.fr
ILS ONT DIT...
“Le moi se compose d’une âme, d’un corps et d’un vêtement.” James
—Que penses-tu de ce garçon, Socrate ? me demanda-t-il. N'a-t-il pas une belle figure ?
—Une figure merveilleuse, répondis-je
—Eh bien, reprit-il, s'il consentait à se dévêtir, tu ne ferais plus attention à sa figure, tant ses formes sont parfaites.”
Et comme les autres confirmaient les éloges de Khairéphon : “Par Hèraclès, m'écriai-je, comment résister à un pareil homme, s'il possède encore une seule petite chose?
—Laquelle ? demanda Critias.
—S'il est bien doué du côté de l'âme, et l'on doit s'y attendre, Critias, puisqu'il est de votre maison.
—Il est, dit-il, également bel et bon de ce côté-là.
—En ce cas, dis-je, pourquoi ne déshabillerions-nous pas son âme pour la regarder, avant de contempler beauté de son corps ? A l'âge où il est, il doit déjà être disposé à discuter.
Platon. Charmide 154d
“La pudeur qui est un refus spontané de se laisser saisir comme chair touche â l'hypocrisie. Mais surtout, le mensonge auquel on condamne l'adolescente, c'est qu'il lui faut feindre d'être objet, et un objet prestigieux, alors qu'elle s'éprouve comme une existence incertaine, dispersée, et qu'elle connaît ses tares.”
Simone de Beauvoir, Le Deuxième sexe
La communauté, dites-vous, tombe sur les choses, non sur les personnes. C'est là, permettez que je le dise, un tour d'escamotage. La communauté ou communion des personnes a lieu par l'intermédiaire des choses : à moins que les hommes ne se mangent, la communauté s'établit entre eux par l'usage des mêmes objets. Ainsi la communauté de ma chambre, de mon lit, de mes vêtements, obtenue malgré ma volonté, rend ma personne commune, c'est-à-dire dans le langage de la Bible, la souille et l'opprime.
Proudon, Système des contradictions économiques ou Philosophie de la misère
“Car nous ne sommes même pas des comédiens qui, derrière leurs personnages feints, existeraient malgré tout, seraient eux-mêmes.”
Comte-Sponville, Le mythe d’Icare
Liens internes :
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