Que peut faire un philosophe pour les cadres d'un C.H.U. ?
Par François HOUSSET | Les Textes #158 | 1 commentaire | |
Connais-toi toi-même : on oublie souvent que cette injonction placée sur le fronton du temple de Delphes était suivie de …et tu connaîtras les dieux : vaste programme !
La reconnaissance est l’enjeu des pages qui suivent. Ce qui est en jeu : votre valeur. Ce que vous valez, voire combien vous valez, aux yeux d’autrui comme aux vôtres. Vaste programme…
Vous reconnaissez-vous vous-même(s) ? Comment faites-vous ? Comment peut-on se reconnaître ? Être reconnu ? Posons encore et encore la fameuse question philosophique : qui suis-je ? Et qui est l’autre ? Il s’agit de savoir ce qu’il reconnaît de vous, et ce que vous reconnaissez de lui.
Vous (re)connaissez-vous ? Permettez que j’en doute : je ne suis pas certain que vous ayez pris le temps de faire connaissance. C’est étonnant, scandaleux même. Ce temps vous manque, quand bien même il est indispensable. Vous, qui prenez soin d’autrui, manqueriez pourtant de temps pour être en relation (c’est-à-dire être humain) !? Je n’en crois pas mes mots : comment puis-je avoir l’audace de vous dire cela du haut de mon incompétence (de philosophe grassement payé pour vous provoquer) : ne travaillez-vous pas ensemble, ô soi-niants ?
Accordez vous le droit d’être ensemble : par exemple celui-qui-soigne et celui-qui-compte doivent se serrer la main, cesser de se tourner le dos en répétant qu’ils n’ont pas les mêmes valeurs. Ils sont Hommes, partie prenante d’un même organisme qui doit se reconnaître lui-même. Il est temps de faire se rencontrer tous ces beaux mondes, main-tenant.
Posons enfin le problème de votre rôle (donc de votre existence, rien que cela : on est ce qu’on fait), viiiite, parce que faute de vous présenter respectueusement vous commencez à geindre : « je bosse comme un malade et je ne suis pas reconnu » hurlez-vous !? Irrecevable : vous n’avez pas le temps d’être malade, vous avez trop de travail !
Mon laïus d'ouverture du colloque "RECONNAISSANCE DES CADRES" au CHU de Rouen :
Bonjour !
Le thème de cette matinée, c’est la reconnaissance. Ce thème est un enjeu. Ce qui est en jeu : VOTRE reconnaissance.
Comment peut-on se reconnaître ?
Être reconnu ?
Ce n’est pas la même chose : savoir qui l’on est (première question philosophique : qui suis-je ?), et savoir qui est l’Autre, être reconnu par lui, c’est peut-être aussi être valorisé, savoir ce que je vaux (combien je vaus ?) à ses yeux.
Vous vous reconnaissez ? Pas tellement : peut-être tout simplement parce que vous n’avez pas encore eu le temps de faire connaissance ?
Vous n’avez pas encore fait connaissance ?
Peut-être que vous n’en avez pas eu le temps ?
En aurez vous le temps ?
De vous reconnaître les uns les autres, et de vous reconnaître chacun dans un miroir, et de vous faire reconnaître -chacun devant les autres, et tous-ensemble-tous-ensemble-yesssssss ?
Et savez-vous ce que vous valez ?
N’y a-t-il pas deux mondes qui se rencontrent (ou tentent de se rencontrer) quand celui qui soigne rencontre celui qui compte ? Peuvent-t-ils bien se reconnaître , ne vont ils pas dire “nous n’avons pas les mêmes valeurs” et rester chacun dans leur monde ? Et quand les deux sont en une seule et même personne, qui soigne et qui compte à la fois : cette personne se reconnaît elle elle-même ?
Nous sommes là, vous êtes tous venus, parce qu'il est urgent de reformuler VOTRE problème : celui de votre rôle (donc de votre existence : on est ce qu'on fait) perçu comme vain (“je bosse et je suis pas reconnu”) oblige à rassembler une table ronde sur le malaise des cadres. Pour changer de regard, quitter le plaintif (d'où l'appel au philosophe, mais aussi au sociologue, et aux multiples compétences qui vont s'adresser à vous ce matin), conduire vers une vision claire et positive des cadres.
J'ai eu l'honneur d'animer cet évènement, à la fois utile, joyeux, pertinent. J'ose le dire, le crier du haut de mon immense modestie, parce que c'est le travail de toute une équipe, que ça n'était pas gagné, et que des réussites de ce genre sont assez rares pour mériter d'être présentée comme des modèles du genre. Alors communiquons, donnons les recette de ce succès pour qu'il se reproduise : heureux qui communique !
Comment cet évènement a-t-il été organisé ?
Voici un aperçu d'un travail de sept mois (et encore, je n'ai rejoint cette belle équipe qu'en septembre 2009) : les beaux discours ont eu lieu oralement le 23 mars 2010 (j'invite tous les intervenants à publier ici leurs textes). Je tiens ici à montrer que j'ai été utile par mes capacités à animer, reformuler, questionner, être médiateur... ces compétences ne sont pas celles d'un "communiquant" mais d'un philosophe : il ne s'agissait pas d'organiser une èniemme journée sur la communication pour des cadres déjà hyper formés, mais de penser ensemble.
Attention : ceux qui cherchent un article sur l'éthique médicale sont invités à aller voir d'autres pages de ce site (cf liens en fin de page). Je m'adresse ici aux "pros" coutumiers de ces genres d'événements.
Ce qui suit peut intéresser tout collègue qui se préparerait à vivre pareille aventure, ça n'est qu'un exposé (un justificatif, écrit justement parce qu' on m'a demandé de justifier mon salaire) de tout ce qu'il a fallu faire pour "monter" une demie journée de formation de 200 cadres hospitaliers, trois heures "seulement", mais décisives !
Vous ne trouverez là que l'expérience que j'en ai vécu, au sein d'une formidable équipe : merci et bravo au Collège Cadre du CHU de Rouen, à l'ARACT (j'invite là aussi chacun à témoigner dans cette page : il peut importer à tous de savoir comment ce "moment de grâce" a été rendu possible !)
Qu'est-ce qu'un philosophe est venu faire là-dedans ?
• Réunion du 4 septembre 2009 Prise de contact, premières clarifications, appréhension des concepts : Première approche du projet du Collège Cadre Premières questions : __Comment créer un sentiment d’appartenance qui ait du sens ? Le problème est-il simplement de rassembler des cadres si différents ? L’objectif est-il “seulement” de briser des tabous, détendre, créer de la cohésion ? Faut-il, “bousculer un peu” les cadres, les obliger à clarifier, synthétiser et structurer des approches contradictoires ?__
• Étude du Rapport final (et des propositions) de la mission Cadres Hospitalier du ministère de la santé.
• Réunion 18 septembre 2010 Interrogations philosophiques : “qui suis-je ? qu’est-ce que je fais là ?” Questionnements sur l’identité, le rôle, la place de chacun. Injonctions à dessiner l’organigramme qui donne à chacun sa place : constat d’incompétence obscur, pas logique. Quelle est la place du cadre, de tout cadre ? Reconnaissance d’une évidence paradoxale, celle d’une « guéguerre » : le pouvoir médical s’oppose à tout cadre, il n’est pas accepté. Sa place ? Pas la place !? Comment réclamer d’être valorisé quand on ne sait pas quelle est sa place ? Problématisation basée sur un paradoxe : le but du Collège Cadre est de les représenter au sein du CHU, au sein des professionnels de santé, pour améliorer la participation des cadres aux décisions. Or chaque réponse présente le problème comme plus insoluble : Le souhait affirmé est de voir les cadres participer aux décisions, communiquer entre eux, or ils en sont empêchés non (seulement) par le personnel de santé, mais (aussi et surtout) par “l’institution” : “On participe à des réunions sans savoir ce qu’on y fait” Reformulation de l’objectif : positionnement par rapport à l’institution, leur reconnaissance (entre eux et par les autres). Demande enfin formulée clairement, ( énorme, existentielle ) : “savoir qui on est, ce qu’on fait, pourquoi on le fait, représenter les cadres”. « Se (re)trouver », rien que cela : avoir une identité, c’est s’identifier. Accord sur le fait qu’il s’agit de préparer ensemble une journée organisée de telle sorte qu’on y pose la question de cette notion d’identité et de reconnaissance : “pas question de faire une énième journée sur la communication” Constat que l’accord n’est que formel, poli : ça n’est pas suffisant. Interrogation sur les données manquantes : surgit enfin l’élément de plus dans un problème déjà compliqué, mais qui peut finalement se révéler en donner la solution : l’aspect économique dans la fonction de l’hôpital : c’est aux cadres de la porter, de la mettre en œuvre. Reformulation du problème : il s’agit, pour les cadres (à supposer qu’ils forment un ensemble cohérent), de porter, comme une décision qui viendrait d’eux, ce qui en fait est une injonction « venue d’en haut », souvent mal comprise et refusée d’emblée car scandaleuse (“on va faire mourir les malades” ≠ “il FAUT économiser”)
Reformulation du problème : un rôle (donc une existence) perçu comme vain (“je bosse et je suis pas reconnu”) oblige à rassembler une table ronde sur le malaise des cadres. Pour changer de regard, quitter le plaintif (d’où l’appel au philosophe), conduire vers une vision claire et positive des cadres.
Médiation des différentes interpellations de chacun, sur la portée et les limites du cadre : cadrer ≠ avoir le pouvoir. Conception d’un espace de liberté : les ordre viennent d’en haut, le pouvoir médical est dans l’opposition, il FAUT évoluer, sans prétendre décider. Objectif : savoir pouvoir. Comment ? Peut-on éclairer le médecin “qui n’y connaît rien”, vivre sereinement une contradiction incessante ? Précision de l’enjeu : la santé du patient, réellement mis en danger, dont le cadre est responsable -la solution ne pouvant exiger aucun sacrifice. De cette nécessité surgit une éthique : cette responsabilité est énorme donc motivante (parce qu’énorme), grandiose, sublime : c’est la difficulté du rôle qui fait sa beauté, sa valeur.
Questionnements sur les valeurs Invitation à lister les considérations “négatives” puis “positives”, pour clôturer le terrain : -suppression des postes, personnels en nombre insuffisant > “obligés de faire des assassins” -perte confiance en soi -troubles psychologiques -société qui ne s’assume plus -image cadre = emmerdeur -fin, faillite, danger : “on n’a plus de roue de secours” -fatalisme (« celui qui s’oppose, on l’arrête, à cause de son refus » : pas le droit de s’opposer, voilà au moins une certitude solide !) -incohérence : gaspillage énorme, fatigue : efforts gâchés, découragement -refus du changement : amalgame entre “il faut changer” et “supprimer des postes” -sabotages, traîtrises, utilisation des hommes comme moyens à des fins douteuses (“il faut l’empêcher, l’interdire », voilà l’objectif salvateur) -dignité blessée : “on se fait baiser” -manque de confiance, d’honnêteté -sentiment d’injustice (“ce soir un service de nuit ne va pas avoir son effectif, quand d’autres services son “blindés” (4x plus d’effectifs pour une activité comparable)
Conséquences positives listées : -Plaisir de recevoir des retours positifs des équipes qui comptent sur leurs cadres et ont confiance -cadre = démerdeur -porter : porteur d’humanité, garant d’humanité -faire évoluer -Réponse de qualité pour le patient -transparence : savoir, voir, faire savoir, visibilité -communauté -Reconnaissance sinon du résultat, du moins de l’effort : un MERCI qui fait chaud au cœur -On s’appuie sur le cadre pour toute évolution de carrière -On sollicite le cadre pour ses avis -personne référente -service public > bonne conscience “quand je pars je sais que j’ai fait le mieux” -fierté d’appartenir à un groupe éminent, à la fonction publique -véritable prise en charge du patient
Nouvelle demande du groupe au philosophe : “dé-formater” ce qui structurellement et intellectuellement échappe à tous. “Formatés par la fonction publique”, les cadres.... cadrent leur “unité” singulière, spécifique (sont donc référents mais sans références). Ils ont à faire leur place entre les soignants et les administratifs : broyés entre ces deux forces, ils ne sont “plus” que”l’huile dans un rouage”. Esquisse d’une philosophie de la liberté du cadre écartelé : « tu chercheras la liberté dans la contrainte » Interrogations sur le contexte, les données qui précisent la situation présente. Pourquoi la place du cadre ne lui est-elle pas donnée ? Parce qu’elle évolue : ce “bon soldat” est en danger, on lui demande d’assumer une responsabilité morale qui l’effraie. Il est celui qui doit expliquer à une équipe que le budget est réduit, quand les soignants l’accusent de priver les malades des soins nécessaires. L’organisation du CHU ne donne-elle donc pas à chacun sa place ? Essai de synthèses dans un embarras gêné : “hyper complexe”, “ça rend fou”, “travail de malade”. Tentatives pour rendre compte de la structure hiérarchique : d’une complexité effarante. Comment collaborer sans se salir les mains ni perdre la raison ? Le vrai pouvoir, dans un hôpital, ne doit il pas être médical ? Le pouvoir du cadre met en question celui des autres. Y’a-t-il seulement une logique du chaos dans cette fourmilière où les fourmis font leur boulot, mais sans savoir ce que doit être (ou devenir) un bon boulot ? Qui répond de cela ? Formulation d’un but simple : être ensemble dans un même monde, même si ce monde ne tourne pas rond. Réhumaniser ce qui perd son sens, chercher / trouver ce qui fédère ces éléments disparates. “Qu’est-ce que vous avez en commun ?” Après une évocation de la fidèle amitié jaillit un cri comme d’un coeur de soldats : tous sont FIERS de travailler en hôpital.
Philosophie existentielle récupérée comme outil de manager : parce que ce monde est absurde on doit lui donner un sens. Parce qu’on ne me donne pas de place je peux / je dois m’en faire une.
• Étude des actes du Congrés de sociologie d’Ottawa (“La reconnaissance comme condition de la collaboration au sein de l’unité de soins : les cadres de santé entre intuition et raison”)
• Réunion du 23 septembre 2009 Identification du cadre et de son rôle : ex soignant (il a fait le deuil du métier précédent) en quête d’un projet, d’une fin : “Des moyens pour donner les moyens de soigner” “C’est ça qui nous anime” Mettre en œuvre, dans l’espoir de faire du bien à des personnes précieuses (elles sauvent des vies, elles en prennent soin. Constat de la nouveauté du problème : cette identité même est en danger : on va vers un recrutement de jeunes spécialisés, recrutés « en externe », formés à la fonction ailleurs qu’à l’hôpital. Le problème est dans cette extériorité qui empêche la reconnaissance : le cadre hospitalier devient un parfait étranger quand plus aucune formation du cadre ne se fait à l’hôpital. Identification du cadre comme « dévisagé » : regardé traditionnellement comme un soignant (ceux qu’on nommait autrefois “la surveillante” : on ne pense pas aux cadres administratifs…
Conception de la transversalité comme richesse. S’ouvrir aux autres pour faire avancer son projet : l’efficience est là. Le difficile est de nager quand on est noyé d’infos de toutes sortes et dans tous les domaines. Carburant du bateau : le plaisir de rencontrer. D’où l’importance de la reconnaissance. Mais de quoi parle-t-on ? D’une reconnaissance personnelle dans le meilleur des cas (“on me reconnaît physiquement”). Quid de la reconnaissance institutionnelle ? La réalité économique, déshumanisante : quelle est sa place quand on soigne ? Soigner. -A quel prix ? Enjeu : trouver une organisation qui corresponde à la dimension relationnelle (on ne peut pas diviser pour régner dans l’hôpital, où TOUS les services doivent converger vers la guérison du malade.
Organisation d’un premier déroulement thématique possible de cette journée sur la reconnaissance. Propositions de noms pour la table ronde, de thématiques organisées.
• Réunion du 2 octobre 2009 Identification des thèmes et de la façon dont il faudra les traiter (exemples : la reconnaissance : être reconnu, se reconnaître, reconnaître l’autre le travail invisible (chronophagie des activités qu’on ne voit pas) la personne ressource implication soutien Intérêt et intéressement formation, recrutements, outils autonomie enrichissement de compétences évolution pro/perso transversalité rester positif (dynamique constructive paradoxale : s’il est malheureux, un cadre ne peut être suivi -il doit remporter avec le sourire des victoire dans des combats qu’il ne cautionne pas !) identité création/stabilité cohésion, spécificité efficience optimisation pressions en jeu concept/pratique
Premier plan : (il y en aura cinq officiels) du "déroulé" de la journée.
• Réunion du 9 octobre 2009, avec le délégué à la communication. Conception de la publicité, de l’affiche, des moyens mis en œuvre pour prévenir tout cadre de l’événement et de son importance.
• Relation avec les différents intervenants et participants pour la « finalisation » (déroulement, plan, organisations, liens, synthèses) permettant à l’événement d’avoir lieu (jusqu’au souci des transports de chacun)
• Préparation du « chemin de fer », mises au point entre responsables divers, répétition générale.
• Animation de l’événement : présentation de chaque intervenant, liens, reformulations, interpellations sur scène.
• Organisation de la suite : « actes », bilans etc.
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Liens internes :
Soignants :
- Soin qualité de vie et bonheur
- Du soignant au soi-niant : identité et altérité
- Ethique médicale
- La meilleure des machines ne vaut pas une poitrine
- L'augmentation inquiétante du nombre de césariennes
- Alzheimer : permettre à l'Autre d'être là
Valeur-travail :
- Ciné-débat "Mondialisation : le travail a t-il toujours le même sens?"
- Ciné-débat "De bonnes conditions de travail : une affaire de culture ?"
Philo sur la reconnaissance :
- Avoir une identité, est-ce s'identifier ?
- La responsabilité
- Qu'est-ce qu'un étranger ?
- Je ne sais pas d'avance mais j'avance
- Le sens a-t-il un sens ?
- Peut-on se passer de maître ?
- "Je" est un autre
- Un seul peut-il avoir raison contre tous ?
- La création naît-elle forcément d'un chaos de la pensée ?
- Suis-je le mieux placé pour savoir qui je suis ?
- Maîtrise de soi et des autres
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