Je ne sais pas d’avance, mais j’avance.
Par François HOUSSET | Les Textes #75 | 7 commentaires | |
Comment s’engager ? telle est la question que se pose l’aveugle avançant en terrain inconnu. La question posée n’est pas résolue qu’un nouveau pas vient d’être fait... C’est de l’inconscience, mais qui pourrait s’en empêcher ? Qui pourrait ne pas avancer, ne pas agir, quand bien même ce ne serait jamais en terrain connu ? Encore heureux celui qui sait qu’il ne sait pas : la plupart hélas ( ?), se persuadant de savoir où ils vont, se trouvent désappointés quand ils réalisent à quel point leur entreprise est une aventure.
Où aller ? pourquoi ? On ne sait pas. Pas suffisamment bien pour prétendre agir véritablement en connaissance de cause. Agir en conséquence, savoir ce que l’on fait et vers quoi on avance : le rêve!
Où aller ? pourquoi ? Peu importe : j’avance donc je grandis, et seul cela importe. Argument ingénieux pour se laisser faire, ou prétendre que les choses se font toutes seules. Comme un bouchon flottant sur les eaux et emporté au hasard des courants, l’homme qui se laisse aller ne maîtrise plus assez son existence pour donner un sens à sa vie, il n’avance pas de lui-même.
En pariant que l’on est sur une bonne voie, on suit cette plus fermement, ce qui évite de se détourner de ses objectifs. Le terrain dans lequel on s’avance est toujours inconnu, mais on se l’approprie joyeusement en allant de découvertes en découvertes, en se fabriquant des repères à mesure que l’on avance : la créativité n’est possible que si l’on a le goût de s’engager “pour voir”, sans savoir où l’on va.
La foi du charbonnier
Il faut donc y croire. Après tout, le scientifique lui-même commence par prendre une hypothèse pour bonne, puis décide d’“y aller”. Le plus rationaliste doit alors lui aussi avoir la foi pour avancer avec assez d’assurance vers... l’inconnu. Se dire que puisque l’homme a pu poser le pied sur la Lune, il sait que de nombreuse choses qui paraissent impossibles peuvent être réalisées si l’on a foi en ce que l’on fait et si l’on se donne les moyens d’arriver à ses fins. Foi sans fondement quand on prend conscience de tout ce qu’on ne peut absolument pas faire, et qui borne notre chemin. La foi du charbonnier mène-t-elle à l’irréalisme ? Question encore de confiance en la raison, déterminant la confiance en soi.
Où aller ? pourquoi ? Question d’angoissé, qu’il faut calmer : “laisse toi aller, écoute l’inspiration, ça vient tout seul...allez!” Si nous ne savons pas où aller, tous les chemins y mènent. Et nous y allons de toute façon. L’effort nécessaire pour aller vers quelque part est superflu, quand de toute façon nous ne sommes jamais immobiles, poussés que nous le sommes par notre existence.
Je suis obligé d’avancer, ne serait-ce que parce que je vieillis : j’avance au moins dans le temps, inexorablement. Je suis traversé par la vie aussi. Être présent, c’est déjà aller quelque part, en ce sens. Mais dire alors “j’avance” ne veut rien dire. Il ne s’agit que d’orgueil vain : en fait on piétine tant qu’on se laisse exister. Pour l’éviter, certains en arrivent à marcher au pas, heureux d’obéir à un “dictateur” (qu’il soit une voix intérieure ou extérieure -le général, le maître à penser...) leur donnant enfin des ordres. Car on a moins peur de se tromper quand on obéit à un ordre : le chef assume.
Jusqu’à quel point peut-on se laisser dicter sa conduite ? Combien de temps, sinon tant que l’on reste sous le charme du dictateur ? Et est-ce bien raisonnable ? Il peut être bon d’être un paisible esclave, mais à ce compte, choisissons nous de bons programmateurs, et soyons toujours prêts à zapper : empruntons d’abord leurs chemins comme en passant, puis, si leur itinéraire nous intéresse, suivons leur ombre, et nous irons bien quelque part -sur des traces. Entreprise hasardeuse : où cela nous mène-t-il ? Des rationalistes, des moralistes, des conseilleurs, des emmerdeurs, rappellent qu’il faut agir de soi-même, et méthodiquement : se choisir un objectif louable, puis se donner les moyens d’y parvenir. Difficile : partir d’un point A vers un point B suppose de connaître d’avance ce point B, et les différentes étapes se succédant entre ces deux points. Heureux celui qui saurait tout cela d’avance, et qui aurait assez confiance en sa propre raison pour ne pas se détourner d’un objectif.
La rationalité en prend un coup : plus question de trouver une adéquation entre les moyens et les fins, si les fins elles-mêmes sont en terrain inconnu. Un bon choix présent pourra se révéler stupide dans le futur -et comment TOUT anticiper ? qui sait s’il faut agir en bon ouvrier sachant quel geste adéquat accomplir, ou en magicien appelant à l’aide des esprits soufflant les bonnes impulsions ? L’action doit paraît-il être appropriée à la situation (on ne va pas essayer de se garer dans un espace trop petit), mais qui parle de pratique, quand le choix se fait d’abord en fonction de valeurs sans égard pour l’utilité ? Dès qu’il est enfin question de valeurs, la cohérence de l’individu vis-à-vis de ses idéaux prime, ce qui le fait avancer pour le “bien”, le “bon”... mais dans l’inconnu et l’imprévisible.
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“L’homme intelligent se mesure à ce qu’il sait ne pas comprendre.” Herriot, Notes et maximes
“Sachez que personne ne peut dire exactement ce qu’il veut.” Sartre, Lettre à Simone Jolivet, 1926.
«Qui veut voir parfaitement clair avant de se déterminer ne se détermine jamais. Qui n’accepte pas le regret n’accepte pas la vie.» Amiel. Journal intime
“L’entendement est limité... la volonté... infinie... De là vient que bien souvent nous donnons notre consentement à des choses dont nous n’avons jamais eu qu’une connaissance fort confuse.” Descartes, Principes de philosophie.
“J’attends des connaissances... je veux des garanties... je veux savoir, pas croire” Ingmar Bergman, Le Septième Sceau, 1957. Mais on s’écrie : “Les préceptes sont vains! Dans une situation tranquille, vous les étalez avec pompe; un revers vous les fait oublier.” Au ton tranchant avec lequel on décide que l’étude de la sagesse est inutile, il semble que les êtres frivoles qui nous entourent aient à regretter de lui avoir consacré des années. Le voyageur s’égare quelquefois après avoir demandé vers quel point de l’horizon il doit diriger ses regards et ses pas. Insensés! vous concluez de ses erreurs qu’il est inutile de connaître la route, et qu’il faut marcher au hasard! Joseph DROZ. L’art dêtre heureux (1806)
“Touchant des actions importantes de la vie, lorsqu’elles se rencontrent si douteuses que la prudence ne peut enseigner ce qu’on doit faire, il me semble qu’on a grande raison de suivre les conseils de son génie, et qu’il est utile d’avoir une forte persuasion que les choses que nous entreprenons sans répugnance, et avec la liberté qu’accompagne la joie, ne manqueront pas de nous bien réussir.” Descartes. Lettre à Élisabeth, nov. 1646 “L’utilité de la vie, le but suprême en vue duquel nous sommes de ce monde, je ne puis le comprendre. Mais accomplir sa volonté telle qu’elle est écrite dans mon cœur, cela est dans ma puissance et je sais que je le dois.” Tolstoï, Résurrection.
“Quand vous êtes sur le point de sauter un fossé, l’idée que vous allez tomber dedans peut être vraie ou fausse; mais toujours est-il qu’elle vous nuit, si vous tentez le saut. ... PRENEZ POUR VRAIE L’IDÉE UTILE. Or l’idée utile, c’est celle-ci : “je passerai”. Plus profondément, messieurs, il n’est point question de savoir encore si cette idée : “je passerai” est vraie ou fausse; car elle est au futur; elle n’est encore ni vraie ni fausse; et on ne vous demande pas de penser qu’elle soit vraie, mais de faire qu’elle soit vraie.” Alain, Propos sur le pouvoir. 55.
“À force de se fixer des objectifs, à force de croire que sa volonté est bonne ou mauvaise, on perd énormément d’énergie. Il ne faut pas penser à l’objectif à atteindre, il faut seulement penser à avancer. On avance et puis on modifie sa trajectoire en fonction des événements qui surgissent. C’est ainsi, à force d’avancer, qu’on atteint ou qu’on double l’objectif sans même s’en apercevoir.” Bernard Werber. La révolution des fourmis.
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