La création naît-elle forcément d’un chaos de la pensée ?
Par François HOUSSET | Les Textes #70 | 1 commentaire | |
Nous sommes partis de la souffrance de l’artiste, et nous n’en sommes pas revenus. Un artiste ne peut vivre sans créer, comme un homme ne peut vivre sans passion. C’est dans la fièvre de l’émotion que surgit l’esprit créateur : Victor Hugo par exemple ne pouvait faire de la belle poésie que quand il avait de fortes émotions.
Premier truc pour créer : ne plus penser, mais s’émouvoir. Le brain storming ou remue-méninges se doit d’être bouleversant, dans tous les sens du terme. Qu’importe si l’artiste ne pense pas : il ne s’agit justement pas de penser, mais de créer, et l’on peut très bien créer sans être lucide, les débordements étant même conseillés. Vivent l’enthousiasme, l’entrain, l’inspiration, la passion : sans même faire l’effort de penser par soi-même, avoir des révélations, sentir un dieu en soi, ou tout au moins une énergie créatrice telle que les idées nous viennent sans que nous fassions l’effort de les élaborer, quoi de plus stimulant ? Jubilants dans cette profusion, nous nous soucions moins de la vérité, de l’esprit critique et du soucis de méthode. La méthode est toute trouvée : se laisser impressionner, et donc quitter au plus tôt la froideur du scientifique ou du philosophe qui prétendraient parvenir à quelque nouveauté en s’efforçant de penser sans se faire manipuler les neurones. “Mentez, mentez, il en restera toujours quelque chose” !
Le chaos n’est pourtant que la confusion, le néant précédant la création du monde. Les géologues parlent de chaos pour désigner l’amoncellement désordonné de blocs rocheux que l’érosion a isolés de terrains hétérogènes. Il s’agit bien de désordre, et même d’une confusion extrême -qui prendrait fin, dans nos mythes, avec l’intervention d’un esprit ordonnant enfin tous les éléments, en mettant un peu d’ordre dans tout cela. Nous avons assimilé l’homme au système physique qui régit l’univers : un beau big-bang, c’est-à-dire une entropie, qui tend à s’organiser, puis à se refroidir... le meilleur moment parait celui de la création, le pire celui de sa contemplation. S’il exista ou existe, Dieu n’aurait jamais du s’arrêter pour voir si son travail était bon, de même l’homme ne doit se satisfaire et se contenter de ce qu’il a déjà fait : après le chaos et la fièvre créatrice, vient la froideur du confortable profit d’un monde déjà donné -où il n’y a plus rien à faire.
Mais à chacun son univers : tout homme se représente le monde à sa façon, qu’il se crée pour lui-même. Chacun peut à sa guise réaménager le monde : il suffit simplement d’en prendre conscience différemment. Recréer le monde, c’est simplement se restructurer soi-même. Alors on est tellement dans la création qu’on n’est plus soi : on se confond avec la matière. L’esprit créateur est comme un ordinateur dont la conscience de chacun établirait le programme : un big bang dans chaque tête, la genèse d’un nouveau monde dans chaque esprit. Dans notre envolée, ne nions pas notre réalité sociale avec ses carcans : la société forme des hommes programmés qui, au mieux, s’adaptent à ce monde comme s’ils avaient été conçus pour lui -s’ils ne s’aventurent pas trop dans cette aventure qu’est la création. Dans ce monde où les normes pullulent, les hommes se savent plus ou moins fous et tremblent de peur devant la folie qui les guette, quand pourtant ils avouent le plaisir qu’ils trouvent à ne plus penser tout à fait selon des règles préétablies (“la poésie, ça graisse ma tête”). C’est parce qu’il est sain de créer que nous cherchons le désordre; c’est même parce qu’il est vital de refaire le monde que nous rêvons de chaos. Il faut perdre quelque chose pour trouver -et se perdre aussi soi-même, puisqu’il ne s’agit plus de suivre des chemins déjà tracés, mais d’en trouver ou d’en inventer de nouveaux. Créer est donc nécessairement déroutant.
François Housset
www.philovive.fr
“Créer est le seul domaine où il faut se déposséder pour s’enrichir.” Malcom de Chazal. Penser par étapes
“Créer n’est pas un jeu quelque peu frivole. Le créateur s’est engagé dans une aventure effrayante, qui est d’assumer soi-même, jusqu’au bout, les périls risqués par ses créatures.” Jean Genet. Journal du Voleur.
“Créer, c’est tuer la mort.” Romain Rolland. Jean-Christophe
“L’unité de la pensée et de la vie est complexe : un pas pour la vie, un pas pour la pensée... Les modes de vie inspirent des façons de penser, les modes de pensée créent des façons de vivre... Au lieu de l’unité d’une vie active et d’une pensée affirmative, on voit la pensée se donner pour tâche de juger la vie, de lui opposer des valeurs prétendues supérieures, de la mesurer à ces valeurs et de la limiter, la condamner. Gilles Deleuze Nietzsche
“Pour mater mon caractère je me suis efforcé de le dissimuler.” “Je ne suis jamais vrai parce que je cherche toujours à modifier, à recréer : je n’aurai jamais le bonheur ( ?) de pouvoir agir spontanément.” Sartre, Lettre à Simone Jolivet (1926)
“Partout où il y a de la joie, il y a création. Le chef d’industrie qui voit prospérer son usine est-il joyeux en raison de l’argent qu’il gagne ? Cela lui apporte du plaisir plutôt que de la joie, et ce qu’il goûte de joie vraie, c’est le sentiment d’avoir monté une entreprise qui marche, d’avoir appelé quelque chose à la vie.” Bergson
“Les passions sont dans le moral ce que dans le physique est le mouvement, il crée ... anime tout et sans lui tout est morts... C’est l’avarice qui guide les vaisseaux à travers les déserts de l’Océan, l’orgueil qui comble les vallons, aplanit les montagnes, élève les pyramides de Memphis; l’amour tailla le crayon du premier dessinateur.” Helvétius. De l’esprit.
“La rencontre nous crée : nous n’étions rien -ou rien que des choses- avant d’être réunis.” Bachelard. Préface à Je et tu , de Buber
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