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LA HAINE

Etrange passion que ce désir de nuire jusqu'à faire disparaître ce qui pourtant nous est le plus précieux : l'Autre. C'est plus fort que tout, rien ne l'arrête, "ça éclate tout" au passage : la haine explose. Comme une bombe, qu'elle justifie, la haine détermine la course à l'armement : l'envie de faire le plus de mal possible à l'Autre ne connaît pas de limite. On ne peut plus se rassurer en évoquant "l'équilibre de la terreur" des grandes puissances : le déséquilibre des terrorismes donne à tout un chacun l'occasion de laisser exploser sa haine. Et chacun peut se trouver un jour ou l'autre à s'écrier "j'ai la haine", une envie de détruire cherchant sur quel objet elle va pouvoir se focaliser...

Il était trop facile de poser à ce débat des enjeux politiques et sociaux quand ils sont psychologiques avant tout. Nous connaissons tous la haine, nous l'avons éprouvée et l'éprouverons encore, même quand nous nous prétendons inoffensifs et guidés par le seul désir de bien faire : nous écrabouillerions bien Untel ou Unetelle pour le plaisir de lui nuire. Si nous n'avons pas tous des morts sur la conscience, nous savons tous que nous avons pu causer des torts : chacun a ses fantômes venant lui rappeler qu'il a pu exploser, et qu'il pourra encore nuire. Avec un haineux plaisir !

Plaisir ? Oui. Osons l'avouer. Il y a une jouissance dans ce sentiment pourtant négatif. Il y a une victoire qui se profile dans la tristesse de l'humilié, de l'homme brisé et pétri de ressentiment : il pense à sa revanche et s'y complaît.

La force de la haine vient de qu'elle se justifie elle-même : dans tout bon film d'action, un héros qui a morflé se trouve valorisé dans sa "légitime" violence. Il va faire le mal parce qu'il le vaut bien.

J'ai toujours raison de haïr ce qui me fait mal

Quand la raison devient spontanée, instinctive, l'envie de frapper qui survient paraît légitime. L'enfant qui vient de tomber martèle le sol de ses petits poings pour passer sa rage. Bientôt il visera les Autres, se persuadera qu'ils sont la cause de ses blessures.

Décomplexée, la haine se présente comme naturelle : je souhaite "évidemment" le malheur d'autrui. Oh ! je ne suis pas méchant, mais c'est l'Autre qui a commencé, il a fait le mal et il doit le payer : c'est juste !?

Voilà le mal objectivé. Je dis que l'Autre doit payer, c'est-à-dire souffrir, parce qu'il m'a offensé, mais cela n'est pas exact : la vérité est que je me sens offensé, ce qui est très différent. L'origine de ce "mal" est dans le rapport à soi-même plutôt qu'à l'Autre. On a vu toute l'ambiguïté du mal quand notre Parlement a voulu légiférer pour interdire les "incivilités" : le même homme qui sourit quand un ami le traite gentiment de "sale bougnoule de pédé gauchiste" ne supportera pas que son patron lui dise "Monsieur, vous êtes ridicule". Notre ego est la mesure du mal, et s'accorde le droit d'annihiler l'impudent qui le limite et le nie. Le profond dégout que l'on éprouve alors pour l'Autre n'est jamais que le cri de notre ego atrophié.

Nous sommes dans une logique paradoxale : il suffit d'y réfléchir un instant pour reconnaître avec Spinoza que

Rien ne peut être plus utile à l'homme pour conserver son être et jouir de la vie raisonnable, que l'homme lui-même quand la raison le conduit"

Je veux détruire l'Autre... qui pourtant est ce qui m'est le plus précieux !? ô raison, pourquoi m'as tu abandonné ?

Il faut accepter ce scandaleux paradoxe : la haine cherche à me faire détruire le plus précieux, l'Autre, indispensable pour l'être-en-relation que je suis. Peut-être parce que ma volonté a été marquée au fer rouge : le désespoir d'avoir échoué dans ma tentative d'harmonie avec autrui est excuse à tout méfait. Une fois la bonne relation avec l'Autre conçue comme impossible, surgit -explose le désir de lui faire sentir ma souffrance !

Haïr, c'est en quelque sorte inverser l'amitié : mon désir de reconnaissance se sublime, se déchaîne, dans le coté obscur de cette force (et je me plante en nommant "force" la capacité de nuire).
Vous avez échoué dans votre tentative de communication ? Cherchez un responsable ! Un autre que vous, que vous pourrez accuser, voir punir, avec la jubilation de la cruauté que plus rien ne retient. Sur ce bouc émissaire déferle votre rage d'exister. On voit ainsi la justice montrée du doigt : il faudrait qu'elle soit toujours plus dure avec ces méchants qui doivent payer, c'est-à-dire souffrir à leur tour, elle ne devrait avoir pour rôle que de satisfaire votre cruauté pour que revanche soit rendue !

Ainsi se justifie la spectaculaire perversité de l'Homme : il souffre donc il veut que le mal s'accomplisse sur d'autres, que tous ceux qu'il juge responsables de sa peine le rejoignent dans sa douleur. Comment expliquer autrement la complaisance dans le spectacle de la guerre terrifiante, qui devrait être insupporatble ? Comment expliquer tant de tortures, sinon en accordant aux bourreaux un malin plaisir à faire souffrir, donnant un semblant de sens à leurs existence vides, ne partageant plus que leur douleur ?

La douleur ne pense pas, et empêche de penser. Le ressentiment atteint les plus grands esprits. Même chez les gens les mieux instruits et affichant les desseins les plus humanistes, on trouve des coeurs sanguins avides de lynchages et travaillant ardemment à la défaite de l'Autre.

L'Autre n'y est pour rien, même s'il est l'auteur de l'injure qui a mis le feu aux poudres : les poudres étaient là, bien chauffées, à l'affut de la première étincelle.
On se hait soi en premier : la haine d' l'Autre surgit du défaut d'amour propre. Elle est une preuve de plus de notre déplorable incapacité à nous accepter tels que nous sommes. Nous nous voudrions tout-puissants, inattaquables, parfaits. Nous voudrions que l'Autre reconnaisse notre existence avec le respect dû à notre superbe perfection. Voilà la responsable : cette vanité de l'ego surdimensionné, affolé de n'être pas reconnu comme Dieu, se déchargeant de son dépit en prenant l'Autre pour ennemi. En l'Autre est pourtant le salut de toute existence : ce n'est pas lui qu'il faut vaincre, mais la haine qui bouillonne au plus profond de chacun de nous, haine qui ne se vainc pas par la haine, mais par l'amour.

François Housset
www.philovive.fr









CITATIONS

“La nature dit à tous les hommes : Je vous ai tous fait naître faibles et ignorants... Puisque vous êtes faibles, secourez-vous ; puisque vous êtes ignorants, éclairez-vous et supportez-vous.”
VOLTAIRE. Traité sur la tolérance. chap XXV (conclusion)

“Le maître d’un homme, c’est celui qui a le pouvoir de lui accorder ce qu’il désire, de lui enlever ce qu’il refuse ; celui donc qui veut être un homme libre, qu’il ne désire rien, qu’il ne repousse rien de ce qui dépend d’un autre ; sinon il est esclave, c’est inévitable.” Epictète. Manuel. XIV

“Tout, au-dehors, dit à l’individu qu’il n’est rien. Tout, au-dedans, lui persuade qu’il est tout.”
Ximénès DOUDAN, Pensées et fragments, Philosophie, morale, religion.

“S’il fallait tolérer aux autres ce qu’on se tolère à soi-même, la vie ne serait plus tenable.” Georges COURTELINE

“J’ai le droit de vous persécuter car j’ai raison et vous avez tort.”
BOSSUET

“La manière la plus profonde de sentir quelque chose est d’en souffrir."
Gustave Flaubert



“A l'égard de celui qui vous prend votre femme, il n'est de pire vengeance que de la lui laisser."
Sacha Guitry

“Celui qui s'applique à la vengeance garde fraîches ses blessures."
Francis Bacon

“La haine sans désir de vengeance est un grain tombé du granit."
Honoré de Balzac

"En relisant ce livre, je me suis apercu que je me contredis : d’un coté j’appelle à l’émancipation et de l’autre coté je reconnais que je reste le fils de cet homme quoi qu’il arrive, et que je n’en sortirais probablement jamais. Le danger de la haine, c’est de vous maintenir attaché à l’objet de votre colère. Si je n’avais été qu’un enfant haineux, je n’aurais jamais pu quitter mon père, ou en tout cas je n’aurais pu le quitter qu’en le détruisant. Ce qui m’a sauvé, c’est qu’avec les livres j’ai pu partir. Dès que j’ouvrais un livre, je n’entendais plus les hurlements et les disputes (…) ça m’a permis de prendre des distances avec cette haine, qui ensuite n’avait plus de raison d’être. La rancune est extrêmement dangereuse : la rancune vous retient prisonnier de celui que vous haïssez.”
Pascal BRUCKNER, On n’est pas couché, 19 avril 2014.










Bouquins

Le discours de la haine, De André Glucksmann
C'est pour ton bien : racines de la violence dans l'éducation de l'enfant, de Alice Miller
La haine de soi. Difficiles identités, de Esther Benbassa, Jean-Christophe Attias
Footballsociologie de la haine, de Camille Dal, Ronan David
La Haine de L'Amour. La Perversion Du Lien de Maurice Hurni, Giovanna Stoll
Prisonniers de la haine les racines de la violence , Aaron Temkin Beck
Un portrait logique et moral de la haine, de Ruwen Ogie
Les niveaux de l'être, la connaissance et le mal, de Eliane Amado Lévy-Valensi



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Commentaires

Je travaille actuellement à l'élaboration d'un article sur la menace. Connaissez vous des cas de volonté de nuire qui s'affichent comme telles ?

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