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Nul n’est méchant volontairement

Tout le monde il est gentil ! Prenez la pire des brutes. Prenez son parti, défendez-la bien : vous lui trouverez de bonnes excuses. Vous arriverez à la comprendre, et justifierez son action. Prenez encore deux belligérants, demandez leur pourquoi ils se battent : chacun montrera l’autre du doigt. Car le méchant, c’est l’autre, chacun en est convaincu. Cette conviction amène le constat de Platon : personne ne veut faire le mal.




Dès lors, comment accuser quelqu’un qui commettrait les pires atrocités ? Nulle méchanceté là-dedans, si chacun ne cherche que le bien : c’est donc la faute à la société, à la famille, aux lois, aux circonstances, aux situations qui se sont enchaînées jusqu’à se précipiter... mais pas aux mauvaises volontés ! Il n’y a plus de mauvaise volonté !

Alors on explique le pire par de simples faits venant se conjuguer pour aboutir au pire comme au meilleur : puisqu’il n’y a pas de volonté de nuire, il n’y a plus d’assassinat, mais des coups qui partent tout seuls. Le méchant n’existe pas. Ne restent que de pauvres types qui croyaient bien faire, mais qui se sont simplement trompés. Qui n’ont pas su bien agir mais qui ne pouvaient que le vouloir.

Foin de bonne conscience et de mauvaise foi, qui présentent la volonté comme efficace dans la seule mesure où elle nous ferait pencher vers le bien : les malfaiteurs seraient de pauvres victimes voyant le meilleur mais faisant le pire, déterminés à nuire par quelque affect extérieur, mais jamais responsables, puisque tous de bonne volonté !

On reconnaît trop la grossière théorie des circonstances atténuantes. Nul n’est à l’abri de circonstances extérieures amenant à commettre un méfait, de ces circonstances qui en un clin d’œil vous transforment un ange en tueur. Notre volonté paraît dès lors minable : se paonnant quand tout lui sourit, elle crie “ce n’est pas ma faute !” à la première rafale. Facile...

Le problème est moral : il s’agit de juger l’Homme, rien de moins. Est-il bon ? Est-il mauvais ? Difficile de parler ainsi de l’Homme avec un H majuscule : personne ne le connaît, personne ne l’a jamais rencontré. Il se veut fondamentalement bon. Mais assez lâche tout de même, pour se faire esclave, pour être la cause du malheur d’autrui (en le regrettant !), pour agresser juste histoire de calmer ses nerfs. Et voilà le responsable : les nerfs. C’est que ça s’échauffe vite, “on n’y peut rien”... Nous voilà qui nous contemplons en train d’agir par forces forcées, pathologiquiement déterminés par des pulsions incoercibles !

Les nerfs, les passions, sont tellement plus efficaces que la meilleure des volonté, quand le sujet agit en disant “c’est plus fort que moi” ! Voilà l’inconscient qui nous pousse, nous meut, la bonne intention qui tourne mal... Non, il n’y a pas de méchant, puisqu’un méchant ferait le mal volontairement -et qui voudrait le mal ? Le bien n’est-il pas, par définition, préférable au bien ? Ceux à qui nous nuisons deviendront nécessairement pires, on ne vainc pas la haine par la haine, mais par l’amour, bref, ça fait mal de faire mal. Alors pourquoi l’Homme est-il encore le pire des maux pour l’Homme ? Il faut que l’Homme soit fou, maso, cruel malgré son propre intérêt, pour préférer le mal au bien ! Hypothèses inacceptables tant qu’on choisit l’humanisme : l’Homme est raisonnable... et le voilà bon, nécessairement, fondamentalement, quoiqu’il puisse être le plus barbare !

Une fois notre anthropocentrisme primaire étalé au grand jour, il nous faut reconnaître que l’homme est une sale bête : il ne devrait pas vouloir nuire à l’humanité, qui est son plus grand bien, et le voila qui la hache menu... L’homme ne devrait pas avoir le droit d’être en tort, et pourtant nous le sommes tous. Il nous faut, ô stupeur, accepter d’être faillibles. Difficile. On accuse l’inconscient derechef : c’est pas nous, c’est lui. On se reconnaît lâche enfin. Donc méchant : celui qui se ferme les yeux est le méchant, parce qu’il refuse de voir les conséquences de ses actes. La méchanceté ne nous concerne pas, seule l’erreur est humaine. Mais agir, c’est poursuivre, poursuivre c’est préférer, donc poser des valeurs. L’erreur est humaine, l’erreur est méchante !

François Housset
www.philovive.fr




Citations

“Nul n’est méchant volontairement.”
PLATON, Protagoras

“Lorsque quelqu’un te fait du mal ou dit du mal de toi, souviens-toi qu’il pense avoir raison d’agir ou de parler ainsi. Il ne lui est donc pas possible de suivre ta façon de juger, mais il suit la sienne, en sorte que s’il juge mal, c’est lui qui subit un dommage, puisqu’il se trompe. (...) Partant de ce principe, traite avec douceur celui qui te fait du tort. Dis-toi à chaque fois : “Il a cru avoir raison.”
EPICTETE, Manuel, XLII

“ ...pour être heureux dans ce monde, tout bien pesé, il n'y a rien de mieux à faire que d'être vertueux (....) il n'y a aucun vice qui n'entraîne avec lui quelque portion de malheur, et aucune vertu qui ne soit accompagnée de quelque portion de bonheur ; (...) il est impossible que le méchant soit tout à fait heureux, et l'homme de bien tout à fait malheureux, et que malgré l'intérêt et l'attrait du moment, il n'a pourtant qu'une conduite à tenir.”
DIDEROT L'Encyclopédie, “Irreligieux”

“...La véritable félicité et la béatitude d’un homme consistent dans la seule sagesse et la connaissance du vrai, nullement en ce qu’il serait plus sage que les autres (...) car cela n’augmenterait aucunement sa propre sagesse, c’est-à-dire sa vraie félicité. Qui donc se réjouit à ce propos, se réjouit du mal d’autrui, il est envieux et méchant, et ne connaît ni la vraie sagesse ni la tranquillité de la vraie vie.”
SPINOZA. Traité des autorités théologiques et politiques. Préface.

«Ceux d’entre les hommes à qui l’on fait du mal deviennent nécessairement pires.» «Par conséquent, ce n’est pas l’effet du juste de nuire».
PLATON, La République

“Notre volonté ne se portant à suivre ni à fuir aucune chose, que selon que notre entendement la lui représente bonne ou mauvaise, il suffit de bien juger pour bien faire.”
DESCARTESDiscours de la méthode III

“Il n’y a aucun bien au monde excepté le bon sens qu’on puisse absolument nommer bien.”
DESCARTES. Lettre à Elysabeth, Juin 1645

“L’intellectualisme socratique et la théorie de l’intelligible ont tellement marqué de leur empreinte la conception du mal que nous rejetons volontiers la volonté méchante du coté du non-être, comme s’il y avait une source unique de ce qui nous apparaît comme le mal au niveau de l’action et de ce qui marque les limites de l’intelligibilité.”
NABERT, Essai sur le mal. “L’injustifiable”

“Il n’est pas seulement plus noble, mais aussi plus doux de faire du bien que d’en recevoir, car rien n’est aussi fertile en joie que la bienfaisance.”
PLUTARQUE, Il faut philosopher avec des principes. 3, fragment 544 de l’édition Usener.

“Je vois ce qui est le mieux et je l’approuve ; mais j’accomplis le pire.”
OVIDE, Métamorphoses.

« J’appelle servitude l’impuissance humaine à diriger et à réprimer les affects ; soumis aux affects, en effet, l’homme e relève pas de lui-même mais de la fortune, et il est au pouvoir de celle-ci à un point tel qu’il est souvent contraint, voyant le meilleur, de faire le pire. »
SPINOZA Éthique IV Préface, trad Misrahi

“Lorsqu’un enfant crie et ne veut pas être consolé, la nourrice fait souvent les plus ingénieuses suppositions (...) jusqu’à ce qu’elle ait découvert l’épingle, cause réelle de tout. (...) Ne dites jamais que les hommes sont méchants ; ne dites jamais qu’ils ont tel caractère. Cherchez l’épingle.”
ALAIN, Propos sur le bonheur.


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Commentaires

Non, je suis désolé: la souris-kiwi m'a bien fait rire, mais il ne suffit pas d'une illustration marrante et de bien aligner des mots "branchés", de jolies expressions, le tout en prennant un air condescendant et mielleux pour mettre à bas une thèse aussi fournie, surtout avec des "arguments" aussi simplistes et réducteurs.

Platon aurait sans doute dis que tu es dans l'erreur.
Je ne suis pas platonicien, et tout ce que je vois ici, c'est de la mauvaise fois.

Ravi de constater que vous avez réussi à lire jusqu'au bout cet article : le fait que vous ayez même tenu à ajouter un commentaire est pour moi une vraie preuve d'estime. Tous ces faits montrent un formidable intérêt, qui me flatte : si vos trois phrases semblent tout critiquer méchamment, c'est certainement involontaire !

Je n'ai pas tout compris : défendez vous Platon, sans être platonicien ? La thèse que vous évoquez est-elle celle d'un monde où les bisounours ont raison ?

J'ai bien peur qu'une fois de plus le passant qui passe n'aie jeté son opinion sans prendre la peine d'être explicite : nous n'aurons probablement jamais plus de ses nouvelles. Eh ! Chers lecteurs qui êtes tous invités à participer à ce site : écrivez pour être lus et compris ! Je me permets d'effacer les bla-bla et démonstration d'humeurs -ah zut, voilà que je vais devoir effacer mon propre commentaire, ainsi que celui qui précède ! Du contenu, viiiite !

Voilà l'occasion de préciser cette sacrée thèse platonicienne en rappelant quelques moments importants dans l'œuvre de Platon, où il est démontré que nul ne peut être méchant volontairement. Je n'en ferais pas l'analyse : je ne suis pas exégète, je précise juste quelques passages et je vous invite à vous y reporter. Pour penser par vous même. En toute bonne foi (sans S).

D'après Platon, on ne peut vouloir que ce que l'on juge bon, le mal est donc toujours involontaire : agir c'est choisir, préférer une chose à d'autres : toute volonté désigne ce que l'on considère comme un bien. (Le Ménon, 77b-78)

Ce choix va jusqu'à stipuler toute procédure de l'action : QUI VEUT LA FIN VEUT LES MOYENS, aussi répugnants soient-ils. Ainsi le malade qui fait la grimace en avalant ses médocs n'en veut pas vraiment : ce qu'il veut par dessus tout c'est la santé. Or la santé passe par les médocs... (Gorgias 467c)

On ne peut être contraint au bien : il est irrésistible ! Reconnaître un bien implique de le vouloir, de le poursuivre et d'en être satisfait. Sinon on est dans une "fausse vertu" : soumis à quelque crainte ou désir, on se trouve parfois honnête par intérêt -un peu comme les collabos qui se montrèrent résistants à la libération... (Phédon, 68b 69b)

LA QUESTION inévitable : que dois-je faire, qu'est-ce que la vertu ? Comment me satisfaire en vivant la meilleure vie possible (la plus souhaitable évidemment) : La République 578 c

En bon lecteur de Sartre qu'il n'était pas, Platon a forgé les premiers arguments de l'existentialisme. Parce qu'il est capable de penser, chacun est responsable, et seul responsable de son échec ou de sa réussite (La République 617e)

Voilà.
Merci à tous ceux qui voudraient y ajouter des détails (de préférence pertinents)

“Nul n’est méchant volontairement.”
PLATON
Je ne suis pas d'accord avec PLATON sur ce coup là!!

la violence n'est gratuite que chez les fous, encore faut il savoir ou commence la folie...
La violence liée à la conscience est le premier pas vers le désir de faire le mal, car la conscience est capable de faire la différence entre le bien et le mal, donc toute personne possédant la raison et de ce fait coupable de répandre la violence.
Donc moi je pense que l'on peut être méchant volontairement...

Effectivement, voilà une bonne raison de sanctionner le MALfaiteur. Puisqu'il est libre de choisir entre le bien et le mal, c'est sa faute, c'est sa très grande faute, s'il choisit mal... Reste à jauger (et c'est tout le problème des juristes) sa capacité à distinguer le bien du mal, qui fait toute la différence entre l'erreur et la faute.

Merci pour l'aide que vous m'avez apporter car un 5 coef 7 en philo c'est difficilement rattrapable. merci encore et bonne soirée.

allo

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