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Flamber sa vie

Il y a ceux qui consomment, et ceux qui (se) consument. Les aventuriers sauvages brûlent leur vie, “claquent” tout ce qu’ils peuvent, grillent des voitures et tout espoir, puis s’éteignent bientôt pour n’avoir cherché qu’à “mettre le feu”. Vanité : les juges à la froide raison condamnent les “têtes brûlées”. Quand l’argent brûle les doigts, la vue devient courte, comme la vie. Il n’est pas certain que la vie vaille plus par sa durée que par ce qu’on en fait. Faut-il la miser, la jeter au feu, pour qu’elle vaille ? Faut-il accuser ceux qui s’économisent, d’être de petits joueurs refroidis, presque morts déjà, faute d’être prêts à se brûler les ailes ?

flambe Les bons vivants jouent gros : à force de flamber sa vie, on meurt ! La fête des fous ne dure jamais. “Ceux qui assument” accomplissent leurs devoirs dans le froid.

“J’ai des gosses, des responsabilités : ma vie ne m’appartient pas vraiment, je n’ai pas le droit de la claquer”.

Pour ceux-là, la raison vainc la passion en refusant la force du bouillonnement. Il s’agit de sacrifier une partie de l’existence sur l’autel de la raison.
Les flambeurs aussi se sacrifient, mais différemment : ils sacralisent le présent, le paient de leur futur qu’ils hypothèquent pour claquer ici et maintenant. Quitte à renier la morale : une “bonne” escroquerie, permettant des moments de roi, fait oublier que demain “peut-être” viendra le jugement.
Politiquement on peut séparer deux grossiers idéaux : l’idéal “aristocratique” et “petit-bourgeois”... Le “petit-bourgeois” se fait une ‘’situation’’ à force d’efforts rationnels, avec des risques calculés. Petit bourgeois, petite vie : sagesse de résigné, vivant longtemps et confortablement, mourant à petit feu.

CDR

Celui qui se jette dans le feu de l’action chante (ou plutôt hurle) la vie sans lendemains, sans soucis : où il y a de la gène il n’y a pas de plaisir noble. Vivre à l’économie est inconcevable pour les seigneurs, les chevaliers, les aventuriers qui sortent incessamment du quotidien : vivre, pour eux, ce ne peut être économiser. À celui qu’on dit “aristocrate” les voyages, les combats de chevalier, la vie somptueuse quoique courte, les fastes, l’éclat, la mort violente et prématurée. L’artiste comme le délinquant rejoignent cet idéal. L’aristocrate à l’origine était un guerrier : sachant qu’il allait mourir, il ne vivait que dans le présent. Il faisait de nécessité vertu.

Les “petits bourgeois”, conformistes parce que c’est plus confortable, attachés à leur tranquille sécurité, regardent avec un effroi mêlé d’admiration les ‘’surhommes’’ de Nietzsche ne craignant pas la mort, la recherchant presque, vivant dangereusement pour donner du piment à leur existence. Le James Dean qui a la fureur de vivre consume sa vie à toute vitesse, avec l’idée que ce qui est pris est pris, sans voir au-delà. Se focaliser sur l’instant présent, c’est un choix, une politique de la terre brûlée. On fait “la part du feu”, on va jusqu’à brûler les refuges pour être sûr de vivre l’aventure. Psychologiquement, la spontanéité de l’enfant (qui aime le feu, qui ne pense pas à demain), s’oppose à la froide raison de l’adulte s’accordant des temps de vide et ne brûlant aucune étape.

Le choix existentiel paraît cornélien : entre être simplement vivant ou VIVRE, entre végéter et s’affirmer violemment, entre dormir et souffrir.

Le courage est un coup de rage, une révolte faisant agir le feu aux naseaux plutôt que posément. C’est un pied de nez à la mort. On admire ceux qui se battent, ces offensifs préférant prendre le risque de mourir plutôt que de vivre à genoux. La liberté de ceux qui marchent sur les braises est aussi incoercible que celle des flammes : il ne s’agit que de consumer tout ce qui brûle -quand d’autres vont scier du bois.

La flamme ne peut s’attacher qu’un instant, et les flambeurs n’ont pas de famille : les voilà condamnés à mépriser les foyers mêmes où l’on fait les soupes. ‘’Les autres’’ sont bons à ramer, ramasser leurs salaires. Aux flambeurs les moments intenses, où l’on se dit “ces choses existent, puisque je peux les détruire”. Exaltations durement payées par des fins sinistres (accablés de dettes, condamnés, emprisonnés, déchus matériellement, socialement, moralement, et psychologiquement) : “Qui veut gagner sa vie la perdra” rappellent les Évangiles. Les flammes de l’enfer attendent ceux qui ont payé le prix de leur âme.

Pensons que nous mourrons demain, et la vie est plus dense à présent. Mais certains états de bonheur durable ne s’obtiennent qu’après de patients et pénibles efforts. Claquer, c’est intense, même si cela ne vaut rien. On peut vivre à feux doux.

François Housset

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Citations

“L’individu qui n’a pas mis sa vie en jeu peut bien être reconnu comme personne; mais il n’a pas atteint la vérité de cette reconnaissance comme reconnaissance d’une conscience de soi indépendante.”
HEGEL. La phénoménologie de l’esprit. ed Aubier, t. 1, p.159.

“La vertu de l’homme libre se révèle également grande à éviter les dangers qu’à les surmonter.”
“La fuite délibérée et opportune doit être regardée comme exigeant une fermeté aussi grande que le combat; autrement dit, l’homme libre choisit la fuite avec la même fermeté ou présence d’esprit que le combat.”
SPINOZA. Éthique IV LXIX & cor.

“Toujours, quand la vie nous plie sous sa sévère discipline, nous sentons en nous une résistance contre l’inexorabilité, la monotonie de la pensée, contre les exigences des épreuves de la réalité. Parce qu’elle nous prive de multiples possibilités de plaisir, la raison devient une ennemie au joug de laquelle nous nous arrachons avec joie, tout au moins temporairement, en nous abandonnant aux séductions de la déraison.”
FREUD, Nouvelles conférences sur la psychanalyse, 2è conférence: “Rêves et occultisme”.

“Les vérités sont des illusions dont on a oublié qu’elles le sont. La vie est la condition de la connaissance. L’erreur est la condition de la vie.”
NIETZSCHE. La volonté de puissance. II

“Vivre, ce n’est pas respirer, c’est agir; c’est faire usage de nos organes, de nos sens, de nos facultés, de toutes les parties de nous-mêmes, qui nous donnent le sentiment de notre existence. L’homme qui a le plus vécu n’est pas celui qui a compté le plus d’années, mais celui qui a le plus senti la vie.”
ROUSSEAU Émile, livre I.

“L’enfer ici bas, c’est de laisser fuir cette vie unique sans rire et sans jouir, sans céder à la folie, sans partir conquérir amour plaisir et fortune.”
VAL. Le SIDA a rendez-vous avec la Lune.

“Toute vie dirigée vers l’argent est une mort.”
CAMUS. Carnets 2 janvier 1942 -mars 1951 “La lutte elle-même vers les sommets suffit à remplir un cœur d’homme. Il faut imaginer Sisyphe heureux.” CAMUS, Le Mythe de Sisyphe “Tu cherches le bonheur, mais tu préfères la sécurité.”
REICH, Écoute petit homme !

“Qui brûle sa maison se chauffe au moins une fois.”
Proverbe persan

“Le feu enlève toute impureté.”
Proverbe berbère

“Qui porte le feu dans son coeur, sa tête s'enfume.”
Proverbe allemand

On ne souffre qu'une fois - on vainc pour l'éternité.
SÖREN KIERKEGAARD Journal

Qui se vainc une fois peut se vaincre toujours.
PIERRE CORNEILLE, Tite et Bérénice

Amour vainc tout et argent fait tout.
PROVERBE FRANÇAIS

Si les morts ne ressuscitent pas, mangeons et buvons car demain nous mourrons.
SAINT PAUL, Premier épître aux Corinthiens

Nous vaincrons ou nous mourrons ici, De la douce mort des hommes libres.
ERNST MORITZ ARNDT, Chant patriotique Vaterlandslied

Peut-être quand nous mourrons, peut-être la mort seule nous donnera la clef et la suite et la fin de cette aventure manquée.
ALAIN-FOURNIER, Le grand Meaulnes

Mon amour s'est transformé en flamme, et cette flamme consume peu à peu ce qui est terrestre en moi.
NOVALIS

Quand elle est dépourvue de flamme, la vérité est philosophie ; elle devient poésie quand elle emprunte sa flamme au coeur.
MUHAMMAD IQBAL, Maître

L'enfer est dans un coeur vide.
KHALIL GIBRAN, Les flammes de l'enfer

Moins un coeur est sec, mieux il flambe.
ALFRED CAPUS

Plus un gars flambe dans la victoire, plus il a peur de la défaite.
MICHEL NOVAK

Avant, l'argent coulait à flot, maintenant j'éponge mes dettes.
VINCENT ROCA, On n'a jamais vu une banane flamber au casino

Les amours non assouvies ne meurent pas ; elles attendent dans l'ombre l'étincelle qui les fera flamber à nouveau.
SIMONE PIUZE, Les Noces de Sarah

Le cerveau russe est humide, il ne flambe pas du feu de l'intelligence, et quand tombe en lui l'étincelle du savoir, il fume et s'éteint.
MAXIME GORKI, Les Ennemis

Je peux regarder des civilisations disparaître, des villes flamber ou des planètes exploser sans réagir. Mais montrez-moi une larme sur la joue d'une femme et vous ferez de moi ce que vous voudrez.
FRÉDÉRIC BEIGBEDER, Mémoires d'un jeune homme dérangé

Un acteur sur la scène, c'est une bûche dans le feu. Quand la flamme du dialogue le quitte, il doit lui rester la braise de la situation. Mauvais bois qui s'éteint dès qu'il ne flambe plus. Faut-il donc que le poète souffle toujours dessus ?
VICTOR HUGO Faits et croyances

Bois qui flambe vite ne dure pas longtemps.
PROVERBE FRANÇAIS

Quand la cheminée flambe, c'est signe que le poêle tire bien.
PROVERBE QUÉBÉCOIS





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"Arrière. Je réchauffe les bons, mais je brûle les méchants ! Petit barbare impudent, tu as insulté tous les Dieux bienveillants, qui tendaient entre le mahleur et toi la fragile barrière." Extrait de l'Opéra - L'ENFANT ET SES SORTILEGES - Musique de MAURICE RAVEL, PAROLES DE COLETTE

" Toun guerag, hakadzet sev" - "Toi, de feu, toute vêtue de noir" Extrait du film SAYAT NOVA - SERGEI PARADJANOV (LA COULEUR DE GRENADE - ARMENIE)

"Je vis, je meurs ; je me brûle et me noie ;
J'ai chaud extrême en endurant froidure :
La vie m'est et trop molle et trop dure.
J'ai grands ennuis entremêlés de joie."
LOUISE LABBE - Extrait des sonnets - XVIème siècle

"(...)Mais les jours passèrent et tous les deux (la Flamme et l'Eau) étaient seuls. Les deux se sentaient tristes. De nombreux jours passèrent et chacun voulait secrètement se réconcilier avec l'autre (...). Un jour, la Flamme fatiguée vint s'asseoir sur le flanc de la montagne. Et l'eau descendit du haut de la montagne pour venir trouver sa place auprès d'elle. La Flamme à son frère : " - Tu es restée tant de jours au sommet de la montagne, tu as dû avoir froid vient que je te réchauffe." Et elle donna un peu de chaleur à son frère (l'Eau) avec de douces caresses.
"- Soeurette, dans tes flammes tu brûles et tu brûles, tu dois avoir soif, vient que je te donne de l'eau." Et le frère (l'eau) donna de l'eau avec de petites sources douces à sa soeur. C'est ainsi que la Flamme et l'Eau, frére et soeur, se sont réconciliés."
Traduction de VIRGINIE TARPINYAN d'après un Conte Arménien d'ANAIT SARKISSIAN - "La flamme et l'eau, soeur et frère." Conte traditionnel arménien. Editions "racines et arbres"

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