“Nous sommes tous des héros”
Par François HOUSSET | Les Textes #56 | 4 commentaires | |
HÉROS : personne (ou plutôt personnage) exceptionnel, plus qu’humain (demi-dieu de l’Antiquité), vainqueur pour s’être dépassé, assez courageux et intègre pour devenir une idole sociale, le plus souvent imaginaire, mythifié, tant ses qualités sortent du cadre “normal” de la réalité humaine. Dès l’abord, le héros se définit en tant qu’il dépasse tout le monde : dire “nous sommes tous des héros” paraît absurde ! Quel sens peut avoir cette affirmation, cette supposition ?
Nous nous supposons héroïques avant tout parce que c’est valorisant : c’est toujours agréable... mais c’est une sacrée prétention ! Reste à démontrer que cette devise n’est pas gratuite.
Nous sommes tous des héros. Chacun (même si chacun a des défauts rédhibitoires) a traversé des épreuves. Chacun peut honnêtement penser avoir eu une attitude héroïque, ne serait-ce qu’une fois, car chacun a eu l’occasion de faire la preuve de sa vertu. Soyons grandiloquent, et nous oserons dire que beaucoup de nos actes portent l’Humanité, ce qui n’est pas rien. Nous avons tous une formidable valeur humaine, qui se constate du simple fait que l’Humanité est toujours en marche.
Bon. Et alors ? Nous ne connaissons pas la fin de l’histoire, nous ne sommes pas comme ces héros de romans ou de films, auxquels l’Histoire donnera raison ! Nos plus beaux actes, aussi bien intentionnés soient-ils, peuvent avoir des conséquences désastreuses, et nous voilà devant un monde absurde où nous n’avons rien à faire. Comme héros, ne restent plus que des Sisyphe !
Sisyphe, voilà le héros modèle : ce pauvre type pousse un rocher en haut d’une montagne. Arrivé au sommet, le rocher dévale la pente. Sisyphe redescend, et recommence encore et toujours à pousser son rocher. Il en faut du courage ! Qui ne porte son fardeau, en haut de quelque montagne, opiniâtrement, vainement ? Sommes-nous des Sisyphe, portant nos inutiles existences avec un effort tout aussi héroïque et vain ? Même pas : n’est pas héros qui veut. Sisyphe fait preuve d’un courage qui nous manque. Notre civilisation nous offre la légèreté. Face à l’absurdité de l’existence, deux solutions s’ébauchent : se suicider ou se réfugier dans l’inconscience... Ceux qui restent ont choisi la seconde solution. Antihéroïque.
Le lâche est l’opposé du héros. Et lâches nous sommes. Mais les lâches restent vivants, “courageusement” ils persévèrent dans l’histoire de l’humanité, dans laquelle on admire non seulement ceux qui l’ont construite, mais encore ceux qui parviennent à y subsister encore, même mal. La phylogenèse humaine est héroïque : chaque humain aujourd’hui est héritier des combattants qui ont façonné cette civilisation. Nous voilà héros par héritage, détenteurs de tout ce qui a été fait avant nous, ce qui est un formidable pouvoir. Nous sommes donc héros potentiels. Il suffit qu’un jour nous nous identifiions à un modèle pour que nos actes deviennent exemplaires. Chacun est un modèle : par l’image qu’il porte de lui-même et des autres, chacun véhicule des valeurs, et chacun accomplit quelque chose de transcendant, qui dépasse sa petite vie pour être un Grand Homme ne serait-ce que l’espace d’un instant.
Mais le héros a abandonné son ego , il se bat pour la bonne cause et lui sacrifie tout. Comme le personnage d’un roman, qui personnifie une idée, il n’a pas de vie propre, il ne vit que pour une idée, il mourra pour sa cause. Qui est tenté ?
La vie ne vaudrait pas la peine d’être vécue sans grandes causes à servir. Reste à trouver de qui ou de quoi nous nous ferons chevaliers servants, puis se lancer à cœur perdu dans quelque Mission Impossible, avec d’étroites œillères nous empêchant de voir d’autres objectifs, et surtout ne pas voir qu’on se perd soi.
Tout acte est intéressé, même le sacrifice de soi : le personnage édifiant, martyr reconnu, donne encore envie d’être imité, et tous, autant que nous sommes, avons nos moments de grâce, et pouvons, après un regard sur nos faits et gestes, dire honnêtement : “je me suis bien battu”.
François Housset
www.philovive.fr
Ils ont dit...
“Et les os des héros blanchissent dans la plaine.” Victor Hugo, La légende des siècles, Aymerillot.
“Il ne suffit pas d’être des héros. Nous voulons être des vainqueurs !” Clemenceau, Discours de guerre, Ni défendus, ni gouvernés, “l’Homme libre”, 15 juillet 1914 (Plon)
“Un héros, c’est celui qui fait ce qu’il peut. Les autres ne le font pas.” Romain Rolland, Jean-Christophe, livre III, L’Adolescent.
"Héroisme sur commande, violence insensée, chauvinisme pénible, comme je les hais ardemment, comme la guerre me parait basse et méprisable; je préférerais me laisser couper en morceaux que de participer à des agissements aussi misérables." Einstein
“Une seule chose me rend optimiste. Les héros sont fatigués et nous en avons tous marre.” André Chouraqui Entretien avec Henri Tincq, Le Monde, 22 dec 1989
“Le héros voyage, tue impunément et vit dans l’exotisme. De son côté le lecteur ne peut battre sa femme sans encourir de sanctions; il lit dans un train de banlieue alors que le héros se déplace en jet; il passe ses vacances dans un camping alors que le héros descend dans des palaces.” Marcel Julian interview, Le Monde 30 août 1969
“...Les héros, ces amants de l’angoisse.” Francis Bossu Beautricourt (1968)
“Un jour mon prince viendra... les refrains populaires lui insufflent des rêves de patience et d'espoir. La suprême nécessité pour la femme, c'est de charmer un cœur masculin; même intrépides, aventureuses, c'est la récompense à laquelle toutes les héroïnes aspirent; et le plus souvent il ne leur est demandé d'autre vertu que leur beauté. “ Simone de Beauvoir, Le Deuxième sexe
“Il semble que le héros est d’un seul métier, qui est celui de la guerre, et que le grand homme est de tous les métiers, ou de la robe, ou de l’épée, ou du cabinet, ou de la cour : l’un et l’autre mis ensemble ne pèsent pas un homme de bien.” Jean de la Bruyère, Les caractères, Du mérite personnel.
“Vous êtes les maîtres de monde, Votre gloire nous éblouit; Mais au moindre revers funeste, Le masque tombe, l’homme reste, Et le héros s’évanouit.” Rousseau, Odes, A la fortune
“Le premier ennemi d’un héros, c’est lui-même.” Jean-François Marmontel, Denis le tyran, Épître à M. de Voltaire, acte I, scène 7
“Il est plus difficile d’être un héros pour son valet que pour son biographe.” John W. Dafoe Laurier (1964)
“Il n’y a pas de héros de l’action. Il n’y a de héros que dans le renoncement et la souffrance.” Albert Sweitzer, Ma vie et ma pensée, chap 9.
“Les héros sont ceux qui magnifient une vie qu’ils ne peuvent plus supporter.” Jean Giraudoux, Pour Lucrèce, acte III, scène 6.
“(...) Cette réaction contre la tendresse, ce souci du jugement d’autrui, c’était un pas vers la solitude. Parce que j’ai eu peur, parce que j’ai eu honte, parce que j’ai été déçu, j’ai voulu jouer les héros indifférents. Quoi de plus seul qu’un héros ?” Vian, L’Herbe rouge, chap. 16
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