PhiloVIVE ! La philosophie orale et vivante

 

Le bonheur ! Comment ? De quel droit ?

Certaines traditions privilégient le bonheur aux dépens de la morale ; d’autres prônent l’assouvissement des désirs, mais d’autres encore plaident pour le renoncement aux plaisirs. Et vous ?


DR




Le bonheur est une question centrale en philosophie : on ne peut pas comprendre les démarches des grands philosophes si on ne saisit pas leur rapport au bonheur. Cela n’a rien d’étonnant, car comme l'a montré Aristote (cf texte en fin de cet article -toute allusion à un philosophe dans cet article renvoie aux textes joints), le bonheur est avant tout le but poursuivi par tout homme (dès qu’il se donne une fin propre). En effet, pourquoi travaille-t-on sinon pour gagner de l’argent ? Et pourquoi veut-on de l’argent si ce n’est pour acheter ce dont on a envie ? Et pourquoi satisfaire ses envies, sinon pour être heureux ? Si on cherche une activité plaisante, c’est pour être heureux. Chaque chose que l’on désire, chaque action que l’on accomplit, a pour but ultime le bonheur. Les choses n’ont de valeur que parce qu’elles contribuent soit à notre survie, soit à notre bonheur.

Le bien et/ou le bonheur

Il y a cependant une autre fin que les hommes poursuivent : c’est le bien moral. Certains se battent pour la justice, se dévouent à de nobles causes, en sacrifiant éventuellement leur bonheur. L’homme se trouve donc en face de deux fins possibles pour son existence, le bien et le bonheur, qui ne coïncident pas toujours. C’est évidemment une alternative majeure : les hommes devraient se préoccuper du bien et de la justice, tous ne le font pas, mais tous poursuivent effectivement le bonheur.
Dire que le bonheur est la fin ultime des hommes ne suffit pourtant pas à le définir. Il faut encore en saisir l’essence. Nous nous heurtons ici à une objection : il semble qu'on ne puisse donner aucune définition générale de ce terme puisque telle personne pense trouver son bonheur dans l’amour, telle autre dans la gloire, etc (ce qui vous a permis de me faire des réponses “de Normands” en restant très évasifs quand vous aviez à définir le bonheur). Mais c’est confondre la diversité des moyens du bonheur avec le bonheur lui-même, qui doit bien avoir quelque chose d’identique en chaque homme pour quon puisse légitimement le désigner du même terme.

Le bonheur est un état de satisfaction, et même de satisfaction durable. En effet, un plaisir, une joie, un bonheur ne font pas encore le bonheur. Le plaisir et la joie proviennent de la satisfaction de nos désirs, mais il faut que tous nos désirs soient satisfaits pour parvenir au bonheur. En effet, si un désir demeure inassouvi, il nous fait souffrir et ruine notre bonheur. L’homme qui a presque tout pour être heureux, mais à qui manque une seule chose, telle que la santé ou l’amour partagé, est en fait bien malheureux. C’est pourquoi Kant définit le bonheur comme la totalité des satisfactions possibles.

Mais curieusement, si tous les hommes courent après le bonheur, presqu’aucun ne prend le temps de réfléchir à ce qu’il est véritablement, et au moyen de le conquérir. Le philosophe est précisément celui qui se pose ces questions, qui pense qu’il a besoin d’une stratégie pour conquérir le bonheur, d’une nouvelle manière de mener sa vie, ce qui s’appelle originairement une sagesse. La sagesse, la sophia en grec, désigne en effet la méthode du bonheur, la connaissance de l’art de conduire sa vie, et par extension seulement, le savoir général.



Le bonheur aux dépens de la morale...

Parmi les premiers penseurs à avoir proposé une sagesse se trouvent les sophistes. Nous connaissons surtout certains d’entre eux, tels Gorgias ou Protagoras, parce que Platon les a transformés en personnages de ses dialogues. Pour être heureux, affirment-ils, il faut pouvoir satisfaire tous ses désirs. Ce qui implique d’avoir un maximuml de richesse et de pouvoir. Comme, pour être vraiment libre, il faut faut n’avoir personne qui vous commande, il faut être à la tête de la société.



Mais comment parvenir au pouvoir ? Selon la doctrine sophiste, telle que nous la rapporte Platon, aucune science, aucun talent particulier ne sont nécessaires, si ce n’est de savoir parler : l’art rhétorique. Le pouvoir s’arrache en effet par la conviction, surtout en démocratie. Pour cela, il ne faut pas hésiter à faire des promesses que l’on ne tiendra pas, et à mentir. Bref, pour réussir dans la vie et obtenir le bonheur, il faut se débarrasser de tout scrupule. La morale n’a pas été inventée que par les êtres faibles pour se protéger des forts, mais ceux qui possèdent la force ne doivent pas se soumettre à cette justice purement conventionnelle. Ils doivent obéir à la justice naturelle, qui veut que le plus fort domine. Nietzsche reprendra et approfondira cette idée des sophistes sur l’origine et la valeur de la morale.



... ou la morale aux dépens du bonheur

La doctrine des sophistes est à la fois logique et parfaitement immorale. Elle a suscité des réactions violentes de défense des valeurs traditionnelles menacées. Les religions ont afirmé le caractère sacré de ces valeurs, et ont subordonné le bonheur de l’homme au respect de la morale. Le bonheur ne sera donné par le Tout-Puissant qu’à ceux qui auront respecté les lois divines. Mais cette préséance ne se vérifie pas dans le monde : Job, le juste, est misérable et malheureux alors que des crapules sont florissantes. D’où la nécessité d’affirmer que la récompense de la vertu se fera plus tard. Cette conception se renforcera avec le christianisme, mais on la trouve d’abord dans les religions qui prospéraient en Grèce et influencèrent la pensée de Platon. Selon elles, l’homme doit en cette vie se purifier du mal qui est en lui, des appêtits corporels, afin de libérer son âme qui pourra enfin goûter le bonheur après la mort. Si le bonheur terrestre va contre la morale, il doit être sacrifié. Il faut en cette vie se soucier uniquement d’obéir aux lois morales, qui sont des lois divines. La raison, qui voudrait, par ses calculs, nous procurer le bonheur, est d’essence mauvaise, voire diabolique.
Les mêmes thèses se retrouvent chez Martin Luther (1483-1546) et chez Blaise Pascal (1623-1662), avec le célèbre argument du pari, enfin chez Soren Kirkeegaard (1813-1855), trois penseurs qui, par-delà leurs différences, partagent la certitude que l’homme est essentiellement mauvais, à cause du péché originel. Pour Kirkegaard, l’attitude existentielle juste, l’attitude religieuse est de renoncer à tout bonheur terrestre.



LE PARI DE PASCAL

« Vous avez deux choses à perdre : le vrai et le bien, et deux choses à engager : votre raison et votre volonté, votre connaissance et votre béatitude; et votre nature a deux choses à fuir : l'erreur et la misère. Votre raison n'est pas plus blessée, en choisissant l'un que l'autre, puisqu'il faut nécessairement choisir. Voilà un point vidé. Mais votre béatitude ? Pesons le gain et la perte, en prenant choix que Dieu est. Estimons ces deux cas : si vous gagnez, vous gagnez tout; si vous perdez, vous ne perdez rien. Gagez donc qu'il est, sans hésiter. »,
Blaise Pascal, Pensées (1670)





Emmanuel Kant (1724-1804) affirme de son coté qu’il ne faut pas confondre la morale, visée du bien, et la sagesse, méthode du bonheur. La première prime, et obéir à la loi morale exige que nous sacrifiions parfois notre intérêt et notre bonheur. Certes, selon Kant, le bonheur n’est pas absolument exclu, à condition qu’il soit obtenu dans le strict respect de la loi morale. Il affirme même qu’il y a un devoir d’être heureux, comme de se cultiver, car un homme heureux sera soumis à moins de tentations et pourra plus aisément accomplir son devoir. Mais, d’un autre coté, notre conscience est obscure à elle-même, nous ne savons jamais si nous faisons le bien par devoir ou pour un motif intéressé, comme un désir de gloire. Dès lors, puisque celui qui fait le bien avec plaisir, peut aussi le faire seulement par plaisir, et nonpar devoir, donc sans valeur morale, le seul moyen de se prouver à soi-même sa moralité sera de sacrifier son bonheur au devoir.
Toute la pensée d’inspiration chrétienne n’est pas aussi pessimiste. Thomas d’Aquin opère une synthèse entre morale chrétienne et sagesse grecque. Il affirme que les lois divines ne sont pas seulement des interdits frustrants, mais constituent la véritéble sagesse. Le bonheur se trouve dans l’amour du prochain, mais cela ne devient compréhensible qu’à partir des sagesses antiques.



Savoir se contenter de ce qu’on a

Si la pensée d’inspiration morale et religieuse s’attache surtout à affirmer le caractère absolu des valeurs, d’autres approches, plus philosophiques, s’opposent à la doctrine des sophistes sur un terrain différent, celui de l’efficacité de leur méthode de bonheur ; Platon prend ainsi les sophistes comme adversaires philosophiques privilègiés. Parmi les multiples arguments qu’il leur objecte, l’un des principaux est le suivant : rechercher le maximum de pouvoir en vue de satisfaire tous ses désirs, afin de parvenir au bonheur, est parfaitement illusoire. En effet, plus notre pouvoir augmente, , plus nos désirs s’accroissent. Donc, plus grande est la quantité de désirs inassouvis, et aussi notre insatisfaction et notre souffrance. L’expérience montre que les pauvres ne désirent que peu de choses, qui sont aisées à se procurer, alors que les riches désirent toujours avoir davantage, et souffrent affreusement de la moindre babiole qui leur manque. Dès lors, le tyran n’est pas le plus heureux des hommes, mais le pllus malheureux ; celui qui croit commander aux autres hommes est en fait esclave de ses désirs.
Cette analyse peut servir de fondement à presque toutes les sagesses développées ultérieurement. Toutes tendent à affirmer qu’il convient plutôt de viser la modération, voire la suppression des désirs. L’une des plus célèbres sagesses, celle d’Epicure, est d’ailleurs l’objet des plus vastes contresens. Certes, Epicure pense, en matérialiste et en sensualiste, que l’on parvient au bonheur par l’accumulation du plaisir, mais il ne faut pas, selon lui, poursuivre tous les plaisirs, car ils peuvent se révéler néfastes et nous faire souffrir. Il convient plutot d’opérer un tri, de rejeter les désirs qui ne sont ni naturels, ni nécessaires à notre paix, bref, de mener une vie ascetique. Epicure en vient à redéfinir le plaisir d’une façon originale, comme la simple absence de douleur, comme absence de trouble passionel dans l’âme, c’est-à-dire comme “ataraxie”. La tradition qui fait de l’épicurien un bon vivant est donc un parfait contresens.



Les stoïciens, dont l’école philosophique, née en Grèce au IIIè siècle avant J.-C., a rayonné dans l’empire romain jusqu’au IIè siècle après J.-C., proposent une sagesse qui deviendra proverbiale, entérinée par l’adjectif “stoïque”. Ils se fondent sur l’absolue liberté de la volonté humaine. La plupart des hommes en usent bien mal, puisqu’ils désirent ce qui ne dépend pas d’eux, mais des autres et de la nature. Désirant la richesse, la puissance, l’amour ou la gloire, qu’ils ne sont nullement certains d’obtenir ou de conserver, les hommes se rendent malheureux. Le secret du bonheur réside donc dans le bon usage de sa volonté, dans la maîtrise de sa pensée et de ses opinions. Il suffit de vouloir ce qui arrive pour être comblé. Il faut plier sa volonté à l’ordre de la nature (facile : il s’agit de faire de nécessité vertu, considérer que l’ordre de la nature, nécessaire, est bon). Accorder sa volonté à la nature, c’est vouloir ce qui arrive ; dès lors on est heureux puisqu’on obtient précisément ce qu’on voulait.
Dans le vaste empire romain, où chaque homme se sentait écrasé et frappé d’impuissance, cette sagesse séduisit toutes les classes sociales, puisque les deux plus illustres représentants du stoïcisme sont Epictète (50-125 ou 130), qui était esclave, et Marc Aurèle (121-180), qui n’était autre que l’empereur !

Le bonheur ne consiste pas à acquérir et à jouir, mais à ne rien désirer, car il consiste à être libre.
Il n'y a qu'une façon d'atteindre le bonheur : il faut cesser de se tourmenter au sujet des choses sur lesquelles notre volonté n'a aucune influence.

La sagesse stoïcienne suppose que nous ayons tout pouvoir sur nos volontés, y compris sur nos désirs. Le rapport entre ces deux termes est analysé par René Descartes (1596-1650), dans sonTraité des passions. Descartes avait initialement une toute autre approche du bonheur. Ravi de ses propres découvertes fondant la science moderne, il avait pensé que le progrès des sciences et des techniques rendrait l’homme “comme maître et possesseur de la nature”, et capable de conquérir le bonheur. Puis, s’appercevant qu’il ne saurait le menser à bien en sa seule vie, il songea à trouver un autre moyen de parvenir au bonheur, et s’avisa qu’il valait mieux “tâcher de changer ses désirs plutôt que l’ordre du monde”, renouant ainsi avec la vieille sagesse stoïcienne.



Le bonheur de connaître

Beaucoup de philosophies jugent qu’il faut limitter les désirs, désignés comme mauvais et responsables de nos souffrances. Mais un autre courant voit dans le bonheur des désirs élevés (le désir de vérité, par exemple). D’où l’importance de la connaissance, qui détermine le bonheur. Platon affirme que le désir doit s’élever graduellement de l’amour vulgaire des beaux corps, à l’amour de la beauté des âmes et des sciences, à l’amour des Idées, qui sont les réalités véritables. Platon se demande toutefois si la béatitude de nos contemplations des Idées n’est pas réservée à une existence de l’âme après la mort corporelle. Pour Aristote (384-322 av J.-C.), le bonheur est légitimement la fin poursuivie par tous les hommes, et c’est dès ce monde que nous pouvons jouir de la compréhension de l’ordre de l’univers, la pratique de la philosophie spéculative s’identifiant avec la vraie sagesse. Mais, reconnaît Aristote, cette vie contemplative présuppose tout un ensemble de conditions, telles que la sécurité, la paix, l’aisance matérielle, le loisir, la délivrance de la servitude du travail.
Spinoza (1632-1677) réévalue enfin vraiment le désir, et synthétise tous ces thèmes d’une façon stu-pé-fiante ! Selon lui, le désir est une force vitale positive, joyeuse (la joie indique toujours un accroissement de notre force : elle est bonne, dans les deux sens du terme). Par ailleurs, la connaissance des causes qui nous font agir nous libère des passions tristes, et nous mène à la béatitude. C’est pourquoi le grand livre de Spinoza, L’Ethique, s’ouvre sur une connaissance complète de la nature, se poursuit par une science de l’homme et de sa psychologie, pour s’achever en traité de la liberté et du bonheur.
Les utilitaristes Jeremy Bentham (1748-1832) et John Stuart Mill (1806-1873) se réclament des Grecs et affirment que les valeurs morales et les lois légitimes ne sont fondées que sur la recherche du bonheur, ou plus précisément du maximum de bonheur pour un maximum de gens.



Le bonheur oublié et retrouvé

Au XIXè siècle, hormis l’utilitarisme anglo-saxon, la question du bonheur dans la philosophie est repoussée. Niezsche est le plus violent, faisant du bonheur un but mesquin d’homme faible. C’est le platino-judéo-christianisme et ses valeurs qui s’effondrent. Le bonheur est inventé par l’homme du troupeau, décadent, malade, qui a peur de souffrir, et ne cherche que la sécurité garantie. Il faut dépasser cet humain pour inventer le “sur-humain”, l’homme fort, créateur de ses valeurs, acceptant de payer de grandes joies au prix de grandes peines, au lieu de rechercher un petit bonheur tranquille.








à lire absolument :


















CITATIONS

"Le bonheur est l'état dans le monde d'un être raisonnable, pour qui, dans toute son existence, tout va selon son désir et sa volonté, et il repose par conséquent sur l'accord de la nature avec le but tout entier poursuivi par cet être, de même qu'avec le principe déterminant de sa volonté."
Kant, Critique de la raison pratique

“Comment un homme pourrait-il être heureux s’il est esclave de quelqu’un d’autre ? Veux-tu savoir ce que sont le beau et le juste selon la nature ? Hé bien, je vais te le dire franchement ! Voici, si on veut vivre comme il faut, on doit laisser aller ses propres passions, si grandes soient-elles, et ne pas les réprimer. Au contraire, il faut être capable de mettre son courage et son intelligence au service de si grandes passions et de les assouvir avec tout ce qu’elles peuvent désirer. Seulement, tout le monde n’est pas capable, j’imagine, de vivre comme cela. C’est pourquoi la masse des gens blâme les hommes qui vivent ainsi, gênée qu’elle est de devoir dissimuler sa propre incapacité à le faire. La masse déclare donc bien haut que le dérèglement est une vilaine chose. C’est ainsi qu’elle réduit à l’état d’esclaves les hommes dotés d’une plus forte nature que celle des homes de la masse; et ces derniers, qui sont eux-mêmes incapables de se procurer les plaisirs qui les combleraient, font la louange de la tempérance et de la justice à cause du manque de courage de leur âme. Car, bien sûr, pour tous les hommes qui, dès le départ, se trouvent dans la situation d’exercer le pouvoir, qu’ils soient nés fils de rois ou que la force de leur nature les ait rendus capables de s’emparer du pouvoir - que ce soit le pouvoir d’un seul homme ou celui d’un groupe d’individus -, oui, pour ces hommes-là, qu’est-ce qui serait plus vilain et plus mauvais que la tempérance et la justice ?»
Platon, Gorgias 491e-492d

“Assurer son propre bonheur est un devoir, car le fait de ne pas être content de son état pourrait devenir une tentation d’enfreindre ses devoirs.”
Kant, Fondements de la métaphysique des Mœurs, 1è section, IV, 399

"Tout ce qui est naturel est aisé à se procurer mais tout ce qui est vain est difficile à avoir."
"On ne peut être heureux sans être sage, honnête et juste, ni sage, honnête et juste sans être heureux."
Epicure, Lettre à Ménécée.

“Il ne faut pas demander que les événements arrivent comme tu le veux, mais il faut les vouloir comme ils arrivent ; ainsi ta vie sera heureuse”
Épictète, Manuel

“C’est «en accord avec la nature» que vous voulez vivre? Ô nobles stoïciens, quelle duperie dans les mots! Imaginez un être immensément prodigue, immensément indifférent, sans intentions et sans égards, sans pitié ni justice, fécond et stérile en même temps qu’incertain, comme l’est la nature, imaginez l’indifférence elle-même devenue une puissance, comment vous serait-il possible de vivre en accord avec ces indifférence ? ... Et à supposer que votre impératif “vivre en accord avec la nature” ne signifie au fond que “vivre en accord avec la vie”, comment vous serait-il possible de ne pas le faire?”
Nietzsche Par delà le bien et le mal. 9.

“On devient nécessairement l’ennemi des hommes lorsqu’on ne peut être heureux que par leur infortune.”
Helvétius, De l’esprit III, XVI.

Tu ne paieras pas le bonheur trop cher dis-tu ? Quoi ! Même si tu le payais de la perte du bonheur ?
Georges Clémenceau, Les plus Forts (Fasquelle)

Les gens ne connaissent pas leur bonheur, mais celui des autres ne leur échappe jamais.
Pierre Daninos, Un certain Monsieur Blot

Ce n'est pas à la possession des biens qu'est attaché le bonheur, mais à la faculté d'en jouir. Le bonheur est une aptitude.
Bernard Grasset. Remarques sur le Bonheur

Un hôte discret dont on ne constate souvent l'existence que par son acte de décès.
Adrien Decourcelle. Le Livre de Chevet

Les bonheurs sont comme le gibier, quand on les vise de trop loin, on les manque.
Alphonse Karr

Le bonheur est l'absence de peines, comme la santé est l'absence des maladies. C'est un état de calme qui n'avertit pas de même que le plaisir ou la douleur : aussi, sans les regrets, on ne saurait pas qu'on a été heureux.
Duc de Lévis, Maximes et Réflexions

Il faudroit convaincre les hommes du bonheur qu'ils ignorent, lors même qu'ils en jouissent.
Montesquieu. Cahiers

C'est dans le mépris de l'ambition que doit se trouver l'un des principes essentiels du bonheur sur la terre.
Edgar Allan Poe. Histoires extraordinaires.

Il n'est pas certain que le bonheur survenu trop tard... soit tout à fait le même que celui dont le manque nous rendait jadis si malheureux.
Marcel Proust. A l'ombre des jeunes filles en fleurs

Il est difficile de ne pas s'exagérer le bonheur dont on ne jouit pas.
Stendhal. Journal

Nous cherchons tous le bonheur, mais sans savoir où, comme des ivrognes qui cherchent leur maison, sachant confusément qu'ils en ont une.
Voltaire. Le Sottisier.

Tu cherches le bonheur, mais tu préfères la sécurité
Reich. Ecoute, petit homme !

Le bonheur c'est un plat de frites supplémentaire.
Charles M. Schulz. Snoopy



DR





TEXTES SUR LE BONHEUR


Le bonheur comme bien suprême

"Dans toute action, dans tout choix, le bien c'est la fin, car c'est en vue de cette fin qu'on accomplit toujours le reste. Par conséquent, s'il y a quelque chose qui soit fin de tous nos actes, c'est cette chose là qui sera le bien réalisable, et s'il y a plusieurs choses, ce seront ces choses là. (...)
Puisque les fins sont manifestement multiples, et que nous choisissons certaines d'entre elles (par exemple la richesse, les flûtes et en général les instruments) en vue d'autres choses, il est clair que ce ne sont pas là des fins parfaites, alors que le Souverain Bien est, de toute évidence, quelque chose de parfait. Il en résulte que s'il y a une seule chose qui soit une fin parfaite, elle sera le bien que nous cherchons, et s'il y en a plusieurs, ce sera la plus parfaite d'entre elles. Or, ce qui est digne d'être poursuivi par soi, nous le nommons plus parfait que ce qui est poursuivi pour une autre chose, et ce qui n'est jamais désirable en vue d'une autre chose, nous le déclarons plus parfait que les choses qui sont désirables à la fois par elles-mêmes et pour cette autre chose, et nous appelons parfait au sens absolu ce qui est toujours désirable en soi-même et ne l'est jamais en vue d'une autre chose. Or le bonheur semble être au suprême degré une fin de ce genre, car nous le choisissons toujours pour lui-même et jamais en vue d'une autre chose : au contraire, l'honneur, le plaisir, l'intelligence ou toute vertu quelconque, sont des biens que nous choisissons assurément pour eux-mêmes (puisque, même si aucun avantage n'en découlait pour nous, nous les choisirions encore), mais nous les choisissons en vue du bonheur, car c'est par leur intermédiaire que nous pensons devenir heureux. Par contre, le bonheur n'est jamais choisi en vue de ces biens, ni d'une manière générale en vue d'autre chose que lui-même".

Aristote, Éthique à Nicomaque, I, 5, 1097 a 20 - 1097 b 7.



"Tous les hommes, dit-on, cherchent le bonheur et on ne le dit pas seulement comme un constat statistique, mais on ajoute que cela est dans leur nature, donc comme un constat essentiel. L'universalité ainsi stipulée du but de la béatitude n'est tout d'abord rien qu'un fait : on n'a pas nécessairement besoin, semble t-il d'approuver sa recherche qu'elle rend ainsi nécessaire ; on peut la mépriser ou la rejeter. Du moins doit-on lui concéder qu’elle n'est pas choisie arbitrairement et le fait qu'elle soit implantée si universellement dans notre nature engendre une présomption forte que c'est une tendance légitime et que là où elle n'indique pas une obligation elle indique au moins un droit a son but : que donc nous avons sinon obligation du moins le droit de tendre vers lui. Mais alors en résulterait également l'obligation - autrement dit malgré tout un devoir - de respecter ce droit dans les autres, donc de ne pas l'entraver et même de le promouvoir. Et l'intérêt d'autrui que je devrais respecter aurait pour moi indirectement la conséquence de l'obligation (si elle n'existe pas déjà immédiatement) de favoriser également ma propre béatitude, dont l’appauvrissement serait une perturbation de la béatitude générale… À supposer qu'on puisse argumenter de cette manière ou de manière semblable, alors l'universalité factuelle, déterminée par la nature, de la recherche du bonheur, qui profite à la présomption mentionnée de sa légitimité, contribue malgré tout en partie à sa légitimation."

Hans Jonas, Le Principe responsabilité : une éthique pour la civilisation technologique (1979), trad. J. Greisch, Champs Flammarion, 1998, pp. 151-152.



"Si on nous demandait aujourd'hui d'expliquer les actions d'autrui, nous répondrions pour la plupart, sans grande hésitation, que la recherche du bonheur en constitue le motif. Cette réponse nous vient aux lèvres sans effort, et sans trop de réflexions préliminaires non plus : nous ne ressentons pas le besoin de prendre du recul, de réfléchir, de chercher des preuves, d'argumenter. La recherche du bonheur nous semble être une prédilection naturelle et une préoccupation permanente des êtres humains. Elle semble être simultanément la cause nécessaire et suffisante du refus d'immobilité des hommes, ainsi que le stimulus majeur les poussant à faire des efforts et prendre les risques qu'entraînent toute recherche, expérience, découverte et invention de nouvelles façons d'être. Pour nous, et peut-être pour tous nos contemporains, il va sans dire que tous les individus font ce qu'ils font parce qu'ils veulent être heureux, ou plus heureux qu'ils ne le sont. Sans ce désir, ils ne feraient pas ce qu'ils font – ils ne le feraient certainement pas de leur propre volonté et de leur propre initiative. En fait, l'idée même de « coercition », telle que nous la comprenons pour la plupart, représente tout ce qui empêche les gens de faire ce qu'ils auraient fait si on leur avait permis de rechercher, librement, leur bonheur. (…)
Notre tendance à lire la recherche du bonheur dans toute action humaine est peut-être enracinée si profondément qu'aucun autre argument n'est requis pour guider notre perception des motivations manifestes ou latentes de l'action. Le fait qu'elle ait accédé au statut de doxa (idée avec laquelle nous pensons, mais à laquelle nous ne pensons pas) nous impose toutefois de prendre le temps de la réflexion. On n'a pas toujours indiqué la recherche du bonheur comme premier moteur des entreprises humaines (de fait, comme signification de la vie humaine) de façon aussi neutre qu'aujourd'hui. En effet, nous avons lieu de supposer que le choix de la pénitence (et, plus généralement, de la souffrance), plutôt que du bonheur, comme but suprême de la vie et destination des mortels humains, marqua de façon plus manifeste et cruciale la « tradition occidentale » durant l'essentiel de son histoire. Il était entendu que la souffrance, et non le plaisir, constituait le véritable et inévitable destin de l'homme. Ce qui posait problème, la grande difficulté, c'était la réconciliation avec la souffrance, et non le fait de l'éviter, et encore moins de l'éliminer."

Zygmunt Bauman, La société assiégée, 2002, IV, tr. fr Christophe Rosson, Hachette Littératures, coll. Pluriel, p. 191 et p. 192.




Morale et bonheur

"C'est la faiblesse de l'homme qui le rend sociable : ce sont nos misères communes qui portent nos coeurs à l'humanité, nous ne lui devrions rien si nous n'étions pas hommes. Tout attachement est un signe d'insuffisance : si chacun de nous n'avait nul besoin des autres, il ne songerait guère à s'unir à eux. Ainsi de notre infirmité même naît notre frêle bonheur. Un être vraiment heureux est un être solitaire : Dieu seul jouit d'un bonheur absolu ; mais qui de nous en a l'idée ? Si quelque être imparfait pouvait se suffire à lui-même, de quoi jouirait-il selon nous ? Il serait seul, il serait misérable. Je ne conçois pas que celui qui n'a besoin de rien puisse aimer quelque chose ; je ne conçois pas que celui qui n'aime rien puisse être heureux.
Il suit de là que nous nous attachons à nos semblables moins par le sentiment de leurs plaisirs que par celui de leurs peines ; car nous y voyons bien mieux l'identité de notre nature et les garants de leur attachement pour nous. Si nos besoins communs nous unissent par intérêt, nos misères communes nous unissent par affection. L'aspect d'un homme heureux inspire aux autres moins d'amour que d'envie ; on l'accuserait volontiers d'usurper un droit qu'il n'a pas en se faisant un bonheur exclusif, et l'amour-propre souffre encore, en nous faisant sentir que cet homme n'a nul besoin de nous. Mais qui est-ce qui ne plaint le malheureux qu'il voit souffrir ? Qui est-ce qui ne voudrait pas le délivrer de ses maux s'il n'en coûtait qu'un souhait pour cela ?"

Rousseau, L'Émile (1762), livre IV.

"Le bonheur est la satisfaction de tous nos penchants (aussi bien extensive, quant à leur variété, qu'intensive, quant au degré, et que protensive, quant à la durée). J'appelle pragmatique (règle de la prudence) la loi pratique qui a pour motif le bonheur, et morale (ou loi des mœurs), s'il en existe, la loi qui n'a pour mobile que d'indiquer comment on peut se rendre digne d'être heureux. La première conseille ce que nous avons à faire, si nous voulons arriver au bonheur, la seconde commande la manière dont nous devons nous comporter pour nous rendre seulement dignes du bonheur. La première se fonde sur des principes empiriques ; car je ne puis savoir que par l'expérience quels sont les penchants qui veulent être satisfaits et quelles sont les causes naturelles qui peuvent opérer cette satisfaction. La seconde fait abstraction des penchants et des moyens naturels de les satisfaire et ne considère que la liberté d'un être raisonnable, en général, et les conditions nécessaires sans lesquelles il ne pourrait y avoir d'harmonie, suivant des principes, entre cette liberté et la distribution du bonheur ; par conséquent, elle peut au moins reposer sur de simples idées de la raison pure et être connue a priori".

Kant, Critique de la raison pure (1781), Théorie transcendantale de la méthode, Canon de la raison pure, 1781, P.U.F, 1997, trad. A. Tremesaygues et B. Pacaud, p. 544.



"Tous les hommes, dit-on, cherchent le bonheur et on ne le dit pas seulement comme un constat statistique, mais on ajoute que cela est dans leur nature, donc comme un constat essentiel. L'universalité ainsi stipulée du but de la béatitude n'est tout d'abord rien qu'un fait : on n'a pas nécessairement besoin, semble t-il d'approuver sa recherche qu'elle rend ainsi nécessaire ; on peut la mépriser ou la rejeter. Du moins doit-on lui concéder qu'elle n'est pas choisie arbitrairement et le fait qu'elle soit implantée si universellement dans notre nature engendre une présomption forte que c'est une tendance légitime et que là ou ellen'indique pas une obligation elle indique au moins un droit a son but : que donc nous avons sinon obligation du moins le droit de tendre vers lui. Mais alors en résulterait également l'obligation - autrement dit malgré tout un devoir - de respecter ce droit dans les autres, donc de ne pas l'entraver et même de le promouvoir. Et l'intérêt d'autrui que je devrais respecter aurait pour moiindirectement la conséquence de l'obligation (si elle n'existe pas déjà immédiatement) de favoriser également ma propre béatitude, dont l'appauvrissement serait une perturbation de la béatitude générale... À supposer qu'on puisse argumenter de cette manière ou de manière semblable, alors l'universalité factuelle, déterminée par la nature, de la recherche du bonheur, qui profite à la présomption mentionnée de sa légitimité, contribue malgré tout en partie à sa légitimation."

Hans Jonas, Le Principe responsabilité : une éthique pour la civilisation technologique (1979), trad. J. Greisch, Champs Flammarion, 1998, pp. 151-152.




La morale utilitariste

"L'école qui accepte comme fondement de la morale le principe d'utilité ou du plus grand bonheur pose que les actions sont moralement bonnes (right) dans la mesure où elles tendent à promouvoir le bonheur, moralement mauvaises dans la mesure où elles tendent à produire le contraire du bonheur. Par "bonheur", on entend le plaisir et l'absence de douleur ; par "malheur", la douleur et la privation de plaisir. (…)
Ce critère n'est pas le plus grand bonheur de l'agent lui-même, mais la plus grande somme de bonheur au total (…)
Selon le principe du plus grand bonheur, tel qu'il a été expliqué précédemment, la fin ultime, celle en fonction et en vertu de laquelle sont désirables toutes les autres choses désirables (que nous considérions notre propre bien ou celui des autres), consiste à pouvoir mener une existence aussi dépourvue de souffrance que possible et aussi riche que possible de satisfactions tant en quantité qu'en qualité ; le critère de la qualité, et la règle qui permet de la comparer à la quantité étant représentés par la préférence que manifestent ceux qui, tant par leurs possibilités d'expérience que par leur pratique de l'analyse et de l'observation de soi-même, sont les mieux à même d'établir des comparaisons. Étant donné que c'est là, selon l'opinion utilitariste, la finalité de l'action humaine, c'est nécessairement également la norme de la moralité ; celle-ci peut donc, en conséquence, être définie comme l'ensemble des règles et des préceptes de la conduite humaine dont le respect serait de nature à assurer, dans la plus large mesure possible, une telle existence à toute l'humanité ; et il faut ajouter que cela s'applique aussi, autant que le permet la nature des choses, à l'ensemble des créatures capables de sensation".

John Stuart Mill (1806-1873), L'utilitarisme, 1861, Chapitre II, trad. Catherine Audard, PUF, coll. Quadrige, 1998, pp. 31, 39 et 40-41.





"L'école qui accepte comme fondement de la morale le principe d'utilité ou du plus grand bonheur pose que les actions sont moralement bonnes (right) dans la mesure où elles tendent à promouvoir le bonheur, moralement mauvaises dans la mesure où elles tendent à produire le contraire du bonheur. Par "bonheur", on entend le plaisir et l'absence de douleur ; par "malheur", la douleur et la privation de plaisir. (...) Supposer que la vie n'a pas de fin plus noble que le plaisir, qu'on ne puisse désirer ou rechercher rien de meilleur ni de plus noble est, selon (de nombreux esprits), une chose profondément méprisable et vile, une doctrine digne seulement des pourceaux auxquels les disciples d'Épicure furent comparés avec mépris dans l'Antiquité (...). La comparaison entre la vie selon Épicure et celle des bêtes est ressentie comme dégradante précisément parce que les plaisirs d'une bête ne satisfont pas la conception du bonheur que se fait un être humain. Les êtres humains possèdent des facultés plus nobles que les appétits animaux et, quand ils en ont pris conscience, ils ne considèrent plus comme du bonheur ce qui n'inclut pas le plein exercice de ces facultés. (...) il n'y a pas de théorie épicurienne connue qui n'assigne aux plaisirs de l'intellect, de la sensibilité et de l'imagination ainsi qu'à ceux que procurent les sentiments moraux une valeur, en tant que plaisirs, bien plus élevée qu'aux purs plaisirs des sens. (...)
Il est tout à fait compatible avec le principe d'utilité de reconnaître le fait que certaines espèces de plaisirs sont plus désirables et plus précieuses que d'autres. Alors que, lorsqu'on évalue toutes les autres choses, on considère la qualité tout autant que la quantité, il serait absurde que, pour les plaisirs, l'estimation soit censée ne dépendre que de la seule quantité.
Si l'on me demande ce que j'entends par une différence de qualité entre des plaisirs, ou ce qui fait qu'un plaisir est plus précieux qu'un autre, en tant simplement que plaisir, mis à part le fait qu'il soit plus grand quantitativement, il n'y a qu'une réponse possible. Si, de deux plaisirs, il en est un auquel tous ceux, ou presque, qui ont expérimenté les deux accordent une nette préférence, sans qu'intervienne aucune obligation morale de le préférer, c'est ce plaisir-là qui est le plus désirable. Si l'un des deux est placé si haut au-dessus de l'autre par ceux qui ont l'expérience compétente des deux, au point qu'ils le préfèrent même en sachant qu'il est obtenu au prix d'un plus grand désagrément, et qu'ils n'y renonceraient en échange d'aucune quantité de l'autre plaisir, aussi grande que ce dont leur nature est capable, nous sommes justifiés d'attribuer à la satisfaction ainsi préférée une supériorité en qualité qui l'emporte tellement sur la quantité que celle-ci, en comparaison, ne compte guère.
Or, c'est un fait incontestable que ceux qui connaissent également bien l'un et l'autre modes de vie, et sont également capables de les apprécier et d'en tirer une satisfaction, accordent une préférence très marquée à celui qui fait appel à leurs facultés nobles. Peu de créatures humaines consentiraient à être changées en l'un quelconque des animaux inférieurs en échange de la promesse de la quantité maximale des plaisirs de la bête; aucun être humain intelligent ne consentirait à être un imbécile, aucun être instruit à être un ignorant, aucune personne capable de sentiment et de conscience à être égoïste et vile, même si on les persuadait que l'imbécile, l'ignorant ou la canaille sont plus contents chacun de son lot respectif qu'eux ne le sont du leur. Ils ne voudraient pas renoncer à ce qu'ils possèdent de plus que ces gens-là en échange de la satisfaction la plus complète de tous les désirs qu'ils ont en commun avec eux. (...) Il vaut mieux être un être humain insatisfait qu'un pourceau satisfait, Socrate insatisfait qu'un imbécile satisfait__".

John Stuart Mill (1806-1873), L'utilitarisme, 1861, trad. Catherine Audard, PUF, coll. Quadrige, 1998, pp. 31et 37




"Ils (les adversaires de l'utilitarisme) disent que c'est trop demander que d'exiger que les gens agissent toujours en vue de promouvoir les intérêts généraux de la société. Mais c'est là une erreur quant à la signification même d'un critère moral, et une confusion entre la règle d'une action et son motif. La tâche de l'éthique est de nous dire quels sont les devoirs ou par quelle expérience nous pouvons les connaître ; mais aucun système éthique ne demande que le seul motif de tout ce que nous faisons soit un sentiment (feeling) de devoir ; bien au contraire, 90 % de toutes nos actions ont leur source dans d'autres motifs et, à juste titre, à condition que la règle du devoir ne les condamne pas. Il est d'autant plus injuste vis-à-vis de l'utilitarisme, de faire de ce malentendu la base d'une objection que les moralistes de l'utilité ont été plus loin que personne en déclarant que le motif de l'action n'a rien à voir avec sa moralité, mais beaucoup avec la valeur (worth) de l'agent. Celui qui sauve son semblable de la noyade fait ce qui est moralement juste (right), que son motif soit le devoir ou l'espoir d'être rétribué pour son geste ; celui qui trahit l'ami qui lui fait confiance est coupable d'un crime, même si son objet était de servir un autre ami vis-à-vis duquel il avait une obligation plus grande".

John Stuart Mill, L'utilitarisme, 1861, trad. Catherine Audard, PUF, coll. Quadrige, 1998, pp. 52-53.




"- Permets-moi de te poser une question sérieuse, dit l'étudiant avec chaleur. Tout à l'heure, naturellement, je plaisantais, mais regarde un peu : d'un côté, une vieille, malade, mauvaise, insignifiante, insensée et bête, dont personne n'a besoin et qui, au contraire, est nuisible à tout le monde, qui ne sait pas elle-même pourquoi elle vit, et qui dès demain mourra de sa belle mort. Tu comprends ? Tu comprends ?
- Bon, je comprends, répondit l'officier, en fixant attentivement son camarade échauffé.
- Écoute la suite. De l'autre côté, de jeunes énergies toutes fraîches, qui périssent inutilement sans soutien, et cela par milliers, et cela partout ! Il y a cent, mille bonnes oeuvres ou bonnes initiatives qu'on peut entreprendre et mener à bien avec cet argent que la vieille a voué à un monastère ! Cent, mille existences peut-être, mises sur la bonne voie ; des dizaines de familles sauvées de la misère, de la décomposition, de la ruine, de la débauche, des hôpitaux pour maladies vénériennes, et tout cela avec son argent ! Tue-la et prends son argent, dans l'intention de te consacrer ensuite, avec l'aide de cet argent, au service de l'humanité et de la cause commune : qu'en penses-tu, est-ce que ce petit crime minuscule et unique ne sera pas effacé par ces milliers de bonnes actions ? En échange d'une vie, des milliers de vies sauvées de la pourriture et de la décomposition. Une seule mort, et cent vies en échange, mais c'est de l'arithmétique cela ! D'ailleurs que vaut, dans la balance commune, la vie de cette vieille poitrinaire, bête et méchante ? Pas plus que celle d'un pou, d'un cafard, et encore elle ne la vaut pas, parce que cette vieille est nuisible. Elle dévore la vie des autres ; elle est mauvaise."

Dostoïevski, Crime et châtiment, 1866, Tr. Pierre Pascal, GF, 1984, p. 96.





Bonheur et politique

"J'aurais voulu naître dans un pays où le souverain et le peuple puissent avoir qu'un seul et même intérêt, afin que tous les mouvements de la machine ne tendissent jamais qu'au bonheur commun ; ce qui ne pouvant se faire à moins que le peuple et le souverain ne soient une même personne, il s'ensuit que j'aurais voulu naître sous un gouvernement démocratique, sagement tempéré.
J'aurais voulu vivre et mourir libre, c'est-à-dire tellement soumis aux lois que ni moi ni personne n'en pût secouer l'honorable joug. Ce joug salutaire et doux, que les têtes les plus fières portent d'autant plus docilement qu'elles sont faites pour n'en porter aucun autre.
J'aurais donc voulu que personne dans l’Etat n'eût pu se dire au-dessus de la loi, et que personne au-dehors n'en pût imposer que l’Etat fût obligé de reconnaître. Car quelle que puisse être la constitution d'un gouvernement, s'il s'y trouve un seul homme qui ne soit pas soumis à la loi, tous les autres sont nécessairement à la discrétion de celui-là et s'il y a un chef national, et un autre chef étranger quelque partage d'autorité qu'ils puissent faire, il est impossible que l'un et l'autre soient bien obéis et que l’Etat soit bien gouverné."

Rousseau, Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes, 1754, Livre de poche, 1996, p. 60.



!!Me forcer à être heureux ? Intolérable !
"La liberté en tant qu'homme, j'en exprime le principe pour la constitution d'une communauté dans la formule : personne ne peut me contraindre à être heureux d'une certaine manière (celle dont il conçoit le bien-être des autres hommes), mais il est permis à chacun de chercher le bonheur dans la voie qui lui semble, à lui, être la bonne, pourvu qu'il ne nuise pas à la liberté qui peut coexister avec la liberté de chacun selon une loi universelle possible (autrement dit, à ce droit d'autrui). Un gouvernement qui serait fondé sur le principe de la bienveillance envers le peuple, tel celui du père envers ses enfants, c'est-à-dire un gouvernement paternel, où par conséquent les sujets, tels des enfants mineurs incapables de décider de ce qui leur est vraiment utile ou nuisible, sont obligés de se comporter de manière uniquement passive, afin d'attendre uniquement du jugement du chef de l'Etat la façon dont ils doivent être heureux, et uniquement de sa bonté qu'il le veuille également, - un tel gouvernement, dis-je, est le plus grand despotisme que l'on puisse concevoir (constitution qui supprime toute liberté des sujets qui, dès lors, ne possèdent plus aucun droit)."

Kant, Sur l 'expression courante : il se peut que ce soit juste en théorie, mais en pratique, cela ne vaut rien, 1793, p. 31.




"Il ne paraît pas qu'on puisse amener l'homme par quelque moyen que ce soit à troquer sa nature contre celle d'un termite ; il sera toujours enclin à défendre son droit à la liberté individuelle contre la volonté de la masse. Un bon nombre de luttes au sein de l'humanité se livrent et se concentrent autour d'une tâche unique : trouver un équilibre approprié, donc de nature à assurer le bonheur de tous, entre ces revendications de l'individu et les exigences culturelles de la collectivité. Et c'est l'un des problèmes dont dépend le destin de l'humanité que de savoir si cet équilibre est réalisable au moyen d'une certaine forme de civilisation, ou bien si au contraire ce conflit est insoluble."
Freud, Malaise dans la civilisation 1929, Chapitre 3, P.U.F, 1971, Trad. Ch. Et J. Odier, p. 45.
Téléchargez ce chef d'œuvre : www.effet-freudien.com/download/malaise_civilisation.pdf


D'où vient le bonheur ?

"(…) Devant chacune des choses qui te divertissent, qui servent à tes besoins, ou que tu aimes, n'oublie pas de te dire en toi-même ce qu'elle est véritablement. Commence par les plus petites. Si tu aimes un pot de terre, dis-toi que tu aimes un pot de terre ; et, s'il se casse, tu n'en seras point troublé. Si tu aimes ton fils ou ta femme, dis-toi à toi-même que tu aimes un être mortel ; et s'il vient à mourir, tu n'en seras point troublé. (...)
V. Ce qui trouble les hommes, ce ne sont pas les choses, mais les opinions qu'ils en ont. Par exemple, la mort n'est point un mal, car, si elle en était un, elle aurait paru telle à Socrate ; mais l'opinion qu'on a que la mort est un mal, voilà le mal. Lors donc que nous sommes contrariés, troublés ou tristes, n'en accusons point d'autres que nous-mêmes, c'est-à-dire nos opinions. (...)
XVI. Quand tu vois quelqu'un qui pleure, soit parce qu'il est en deuil, soit parce que son fils est au loin, soit parce qu'il a perdu ses biens, prends garde que ton imagination ne t'emporte et ne te séduise en te persuadant que cet homme est effectivement malheureux à cause de ces choses extérieures ; mais fais en toi-même cette distinction, que ce qui l'afflige, ce n'est point l'accident qui lui est arrivé, car un autre n'en est point ému, mais l'opinion qu'il en a. Si pourtant c'est nécessaire, ne refuse point de pleurer avec lui et de compatir à sa douleur par tes discours ; mais prends garde que ta compassion ne passe au dedans et que tu ne sois affligé véritablement. (...)
XX. Souviens-toi que ce n'est ni celui qui te dit des injures, ni celui qui te frappe, qui t'outrage ; mais c'est l'opinion que tu as d'eux, et qui te les fait regarder comme des gens dont tu es outragé. Quand quelqu'un donc te chagrine et t'irrite, sache que ce n'est pas cet homme-là qui t'irrite, mais ton opinion. Efforce-toi donc, avant tout, de ne pas te laisser emporter par ton imagination ; car, si une fois tu gagnes du temps et quelque délai, tu seras plus facilement maître de toi-même. (...)
XLIII. Chaque chose a deux anses : l'une, par où on peut la porter, l'autre, par où on ne le peut pas. Si ton frère donc te fait une injustice, ne le prends point par le côté de l'injustice qu'il te fait, car c'est l'anse par où on ne saurait ni le prendre, ni le porter ; mais prends-le par cet autre côté, qu'il est ton frère, un homme qui a été élevé et nourri avec toi, et tu le prendras par le bon côté, qui te le rendra supportable."

Épictète, Manuel (publié par Arrien au IIe siècle), Maximes III, V, XVI, XX et XLIII, Traduction André Dacier.





"Les autres hommes la possèdent bien comme une partie d'eux-mêmes, parce qu'ils la possèdent seulement en puissance ; mais l'homme heureux est celui qui, désormais, est en acte cette vie elle-même, celui qui est passé en elle jusqu'à s'identifier avec elle ; désormais les autres choses ne font que l'environner, sans qu'on puisse dire que ce sont des parties de lui-même, puisqu'il cesse de les vouloir et qu'elles ne sauraient adhérer à lui que par l’effet de sa volonté.
– Qu’est ce que le bien pour cet homme ?
– Il est son bien à lui-même, grâce à la vie parfaite qu'il possède. Mais la cause du bien qui est en lui, c'est le Bien qui est au-delà de l'intelligence et il est, en un sens, tout autre que le bien qui est en lui. La preuve qu'il en est ainsi, c'est que dans cet état, il ne cherche plus rien. Que pourrait-il chercher ? Des choses inférieures ? Non pas ; il a en lui la perfection ; celui qui possède ce principe vivifiant mène une vie qui se suffit à elle-même ; l'homme sage n'a besoin que de lui-même pour être heureux et acquérir le bien, il n’est de bien qu’il ne possède… Dans la chance adverse, son bonheur n’est pas amoindri ; il est immuable, comme la vie qu'il possède ; quand ses proches ou ses amis meurent, il sait ce qu'est la mort, et ceux qui la subissent le savent aussi, s'ils sont des sages ; la perte de ses proches et des ses parents n'émeut en lui que la partie irrationnelle dont les peines de l'atteignent pas".

Plotin, Les Ennéades (254-270 ap. J.-C.), I, 4, p. 74.





"10 mai 1933

Ce qu’on appelle faire l’amour, c’est le plus souvent une caricature du bonheur. Le bonheur est beaucoup plus grand, beaucoup plus profond, et beaucoup plus simple. Et parce qu’il est simple, il ne s’analyse, ni ne se décrit. On ne raconte pas le bonheur, mais il y a des moments où il fond sur nous, sans raison apparente, au plus fort d’une maladie, ou pendant une promenade à travers des prés, ou dans une chambre obscure où l’on s’ennuie ; on se sent tout à coup absurdement heureux, heureux à en mourir, c’est-à-dire si heureux qu’on voudrait mourir, afin de prolonger à l’infini cette minute extraordinaire. J’ai éprouvé cela hier, dans un salon de thé de l’avenue de l’Opéra, une autre fois alors que je lisais Sense and Sensibility, et très souvent dans ma petite enfance.

Octobre.

- Hier après vers 4 heures, au plus fort d'une inquiétude qui durait depuis dix jours, j’ai senti tout à coup la présence indescriptible du bonheur. Je suis allé dans ma chambre où je me suis enfermé, puis je suis retourné au salon, me suis promené dans l’antichambre et jamais la maison ne m'a paru plus agréable. Par les fenêtres qui donnent sur l’avenue, j’ai regardé tomber la pluie. Le ciel était d’un gris délicat et la lumière encore assez forte pour qu’on n’eût pas besoin d’allumer. Errant de pièce en pièce, j’ai examiné les meubles comme si je ne les avais jamais vus. Cet état d’esprit extraordinaire n’a pas duré très longtemps. Étranges, les artifices dont savent user les choses quand elles devinent que nous allons les quitter et qu’elles tentent de nous retenir. À la lueur du crépuscule, le salon m’a paru d’une beauté insolite ; les meubles brillaient avec des reflets de métal et le grand tapis de prière semblait posé à la surface Un lac."

Julien Green, Journal






Bonheur et désir

"Il faut se rendre compte que parmi nos désirs les uns sont naturels, les autres vains, et que, parmi les désirs naturels, les uns sont nécessaires et les autres naturels seulement. Parmi les désirs nécessaires, les uns sont nécessaires pour le bonheur, les autres pour la tranquillité du corps, les autres pour la vie même. Et en effet une théorie non erronée des désirs doit rapporter tout choix et toute aversion à la santé du corps et à l'ataraxie 1 de l'âme, puisque c'est là la perfection même de la vie heureuse. Car nous faisons tout afin d'éviter la douleur physique et le trouble de l'âme. Lorsqu'une fois nous y avons réussi, toute l'agitation de l'âme tombe, l'être vivant n'ayant plus à s'acheminer vers quelque chose qui lui manque, ni à chercher autre chose pour parfaire le bien-être de l'âme et celui du corps. Nous n'avons en effet besoin du plaisir que quand, par suite de son absence, nous éprouvons de la douleur; et quand nous n'éprouvons pas de douleur nous n'avons plus besoin du plaisir. (…)
C'est un grand bien à notre avis que de se suffire à soi-même, non qu'il faille toujours vivre de peu, mais afin que si l'abondance nous manque, nous sachions nous contenter du peu que nous aurons, bien persuadés que ceux-là jouissent le plus vivement de l'opulence qui ont le moins besoin d'elle, et que tout ce qui est naturel est aisé à se procurer, et ce qui ne répond pas à un désir naturel, malaisé à se procurer. (…)
Quand donc nous disons que le plaisir est le but de la vie, nous ne parlons pas des plaisirs de l'homme déréglé, ni de ceux qui consistent dans les jouissances matérielles, ainsi que l'écrivent des gens qui ignorent notre doctrine, ou qui la combattent et la prennent dans un mauvais sens. Le plaisir dont nous parlons est celui qui consiste, pour le corps à ne pas souffrir et, pour l'âme, à être sans trouble".

Epicure, Lettre à Ménécée, trad. O. Hamelin, Nathan, 1982, pp. 77-79.
1 Littéralement, absence de trouble. Quiétude d'esprit que rien ne trouble.




"Souviens-toi que la fin de tes désirs, c’est d’obtenir ce que tu désires, et que la fin de tes craintes, c’est d’éviter ce que tu crains. Celui qui n’obtient pas ce qu’il désire est malheureux, et celui qui tombe dans ce qu’il craint est misérable. Si tu n’as donc de l’aversion que pour ce qui est contraire à ton véritable bien, et qui dépend de toi, tu ne tomberas jamais dans ce que tu crains. Mais si tu crains la mort, la maladie ou la pauvreté, tu seras misérable.
Transporte donc tes craintes, et reporte-les, des choses qui ne dépendent point de nous, sur celles qui en dépendent ; et, pour tes désirs, supprime-les entièrement pour le moment. Car, si tu désires quelqu’une des choses qui ne sont pas en notre pouvoir, tu seras nécessairement malheureux ; et, pour les choses qui sont en notre pouvoir, tu n’es pas encore en état de connaître celles qu’il est bon de désirer. En attendant donc que tu le sois, contente-toi de rechercher ou de fuir les choses, mais doucement, toujours avec des réserves, et sans te hâter."

Épictète (50-130 ap. J.C.), Manuel, § II




"Si l'on avait raison d'admettre que le bonheur consistait à ne pas souffrir, à ne pas être malade, à éviter la malchance et les grandes infortunes, personne ne serait heureux avec un sort contraire. Mais si le bonheur est placé dans la possession du vrai bien, pourquoi l'oublier ? Pourquoi, sans le prendre en considération, juger que l'homme heureux recherche des choses qui ne sont pas des éléments du bonheur. Un amas de biens véritables et d'objets nécessaires à la vie (et même non nécessaires) que vous appelez des biens, voilà le bien pour vous; il faudra alors chercher à se procurer ces choses. Mais si la fin des biens est une, s'il ne doit pas y avoir plusieurs fins (en ce cas on ne rechercherait plus une fin mais les fins), il faut prendre pour seule fin, la dernière, la plus précieuse, celle que l'âme s'efforce d'embrasser en elle seule. L'effort et la volonté de l'âme ne tendent pas à ne pas l'atteindre. Quant à ces objets qui n'existent pas dans la nature, mais qui passent seulement, la pensée les fuit et les écarte de son domaine ; ou, si elle cherche à les retenir, son vrai désir tend à une réalité supérieure à l'âme dont la présence la remplit et la calme. Voilà la vie qu'elle veut réellement ; et sa volonté n'est pas de posséder les objets nécessaires à la vie, si le mot volonté est pris en son sens propre et non en un sens abusif. Nous estimons sans doute à leur valeur la possession de ces objets ; en général, nous évitons les maux ; mais notre volonté propre n'est pas de les évite ; elle est plutôt ne n'avoir pas besoin de les éviter. La preuve ? Supposez que nous possédons ces prétendus biens, par exemple la santé et l'absence de souffrance ; qu'ont-ils alors d'attrayant ? On s'inquiète peu de la santé, tant qu'elle est là, ou de l'absence de souffrances. Voilà donc des avantages qui, tant qu'on les possède, n'ont aucun attrait et n'ajoutent rien au bonheur. Ils s'en vont ? Leurs contraires arrivent avec leur cortège de peines ? Alors on les recherche. N'est-il donc pas raisonnable de dire qu'ils sont des choses nécessaires et non pas des biens ? Il ne faut pas les compter comme des éléments de la fin des biens ; même lorsqu'ils sont absents et que leurs contraires se présentent, il faut conserver cette fin sans la mélanger avec eux".

Plotin, Les Ennéades (254-270 ap. J.-C.),I, 4, Les Belles-Lettres, pp. 75-76.






"Il n'y a rien que le désir, et le regret ou le repentir, qui nous puissent empêcher d'être contents : mais si nous faisons toujours tout ce que nous dicte notre raison, nous n'aurons jamais aucun sujet de nous repentir, encore que les événements nous fissent voir, par après, que nous nous sommes trompés, parce que ce n'est point par notre faute. Et ce qui fait que nous ne désirons point d'avoir, par exemple, plus de bras ou plus de langues que nous n'en avons, mais que nous désirons bien d'avoir plus de santé ou plus de richesses, c'est seulement que nous imaginons que ces choses ici pourraient être acquises par notre conduite, ou bien qu'elles sont dues à notre nature, et que ce n'est pas le même des autres : de laquelle opinion nous pourrons nous dépouiller, en considérant que, puisque nous avons toujours suivi le conseil de notre raison, nous n'avons rien omis de ce qui était en notre pouvoir, et que les maladies et les infortunes ne sont pas moins naturelles à l'homme, que les prospérités et la santé.
Au reste, toute sorte de désirs ne sont pas incompatibles avec la béatitude ; il n'y a que ceux qui sont accompagnés d'impatience et de tristesse. Il n'est pas nécessaire aussi que notre raison ne se trompe point ; il suffit que notre conscience nous témoigne que nous n'avons jamais manqué de résolution et de vertu, pour exécuter toutes les choses que nous avons jugé être les meilleures, et ainsi la vertu seule est suffisante pour nous rendre contents en cette vie. Mais néanmoins parce que, lorsqu'elle n'est pas éclairée par l'entendement, elle peut être fausse, c'est-à-dire que la volonté et résolution de bien faire nous peut porter à des choses mauvaises, quand nous les croyons bonnes, le contentement qui en revient n'est pas solide ; et parce qu'on oppose ordinairement cette vertu aux plaisirs, aux appétits et aux passions, elle est très difficile à mettre en pratique, au lieu que le droit usage de la raison, donnant une vraie connaissance du bien, empêche que la vertu ne soit fausse, et même l'accordant avec les plaisirs licites, il en rend l'usage si aisé, et nous faisant connaître la condition de notre nature, il borne tellement nos désirs, qu'il faut avouer que la plus grande félicité de l'homme dépend de ce droit usage de la raison, et par conséquent que l'étude qui sert à l'acquérir, est la plus utile occupation qu'on puisse avoir, comme elle est aussi sans doute la plus agréable et la plus douce."

Descartes, Lettre à Elisabeth du 4 août 1645 (A.T. IV, 266-267 - édit. F. Alquié, tome III, p. 589-590)


.



"(…) nous devons considérer que la félicité en cette vie ne consiste pas dans le repos d'une âme satisfaite. En effet, il n'existe rien de tel que cette finis ultimus (fin dernière), ou ce summum bonum (bien suprême), comme on le dit dans les livres de la morale vieillie des philosophes. Nul ne peut vivre non plus si ses désirs touchent à leur fin, non plus que si ses sensations et son imagination s'arrêtent. La félicité est une progression ininterrompue du désir allant d'un objet à un autre, de telle sorte que parvenir au premier n'est jamais que la voie menant au second. La cause en est que l'objet du désir humain n'est pas de jouir une fois seulement, et pendant un instant, mais de ménager pour toujours la voie de son désir futur. Et donc, les actions volontaires et les penchants humains ne visent pas seulement à procurer une vie heureuse, mais encore à la garantir ; et ils diffèrent seulement dans la voie qu'ils suivent. (…)
C'est pourquoi je place au premier rang, à titre de penchant universel de tout le genre humain, un désir inquiet d'acquérir puissance après puissance, désir qui ne cesse seulement qu'à la mort. Et la cause de cela n'est pas toujours que l'on espère une jouissance plus grande que celle qu'on vient déjà d'atteindre, ou qu'on ne peut se contenter d'une faible puissance, mais qu'on ne peut garantir la puissance et les moyens de vivre bien dont on dispose dans le présent sans en acquérir plus. C'est ce qui fait que les rois dont la puissance est la plus grande orientent leurs efforts en vue de la garantir, à l'intérieur par les lois, et à l'extérieur par les guerres. Et, quand cela est accompli, un nouveau désir succède à l'ancien : pour les uns, c'est le désir de gloire acquise lors d'une conquête ; pour les autres c'est le désir d'une vie facile et de plaisirs sensuels ; chez d'autres encore, c'est le désir d'être admirés ou flattés pour leur excellence dans tel ou tel art ou pour une autre aptitude de l'esprit".

Hobbes, Léviathan (1651), I, 11, De la diversité des moeurs, Folio Essais, pp. 186-188.




"Comme l'amour de soi est, de tous les principes, le plus général et le plus profondément gravé dans nos coeurs, il nous est naturel de considérer les choses selon leur propriété à accroître ou diminuer notre propre bonheur ; et, en conséquence, nous les appelons bonnes ou mauvaises. Notre jugement s'emploie toujours à distinguer ces deux contraires ; et c'est toute l'affaire de notre existence que d'essayer, par une application pertinente de nos facultés, de nous procurer l'un et d'éviter l'autre. Quand d'abord nous entrons dans le monde, nous sommes entièrement guidés par les impressions sensibles ; car le plaisir sensible est la marque infaillible du bien présent, comme la douleur l'est du mal. Mais, par degrés, au fur et à mesure que nous nous familiarisons avec la nature des choses, l'expérience nos informe qu'un bien présent n'est pas moins fréquemment l'occasion qui nous procure par la suite un plus grand bien. En outre, lorsque les facultés les plus nobles de l'âme humaine commencent à se révéler, elles nous découvrent des biens qui sont de beaucoup plus excellents que ceux qui touchent les sens. Aussi modifions-nous nos jugements ; nous n'agissons pas plus longtemps d'après les premières sollicitations des sens et nous nous arrêtons pour considérer les conséquences lointaines d'une action ; quel bien nous pouvons en espérer ou quel mal nous pouvons en craindre, d'après le cours habituel des choses. Cette méthode nous oblige fréquemment à négliger les jouissances présentes mais passagères, quand elles entrent en compétition avec de plus grands biens et plus durables ; mais trop lointains ou d'une nature trop raffinée pour toucher nos sens".

Berkeley, L'obéissance passive, 1712, Aubier-Montaigne, p. 363-364 édité avec Les principes de la connaissance humaine.




"L'école qui accepte comme fondement de la morale le principe d'utilité ou du plus grand bonheur pose que les actions sont moralement bonnes (right) dans la mesure où elles tendent à promouvoir le bonheur, moralement mauvaises dans la mesure où elles tendent à produire le contraire du bonheur. Par "bonheur", on entend le plaisir et l'absence de douleur ; par "malheur", la douleur et la privation de plaisir. (...) Supposer que la vie n'a pas de fin plus noble que le plaisir, qu'on ne puisse désirer ou rechercher rien de meilleur ni de plus noble est, selon (de nombreux esprits), une chose profondément méprisable et vile, une doctrine digne seulement des pourceaux auxquels les disciples d'Épicure furent comparés avec mépris dans l'Antiquité (...). La comparaison entre la vie selon Épicure et celle des bêtes est ressentie comme dégradante précisément parce que les plaisirs d'une bête ne satisfont pas la conception du bonheur que se fait un être humain. Les êtres humains possèdent des facultés plus nobles que les appétits animaux et, quand ils en ont pris conscience, ils ne considèrent plus comme du bonheur ce qui n'inclut pas le plein exercice de ces facultés. (...) il n'y a pas de théorie épicurienne connue qui n'assigne aux plaisirs de l'intellect, de la sensibilité et de l'imagination ainsi qu'à ceux que procurent les sentiments moraux une valeur, en tant que plaisirs, bien plus élevée qu'aux purs plaisirs des sens. (...)
Il est tout à fait compatible avec le principe d'utilité de reconnaître le fait que certaines espèces de plaisirs sont plus désirables et plus précieuses que d'autres. Alors que, lorsqu'on évalue toutes les autres choses, on considère la qualité tout autant que la quantité, il serait absurde que, pour les plaisirs, l'estimation soit censée ne dépendre que de la seule quantité.
Si l'on me demande ce que j'entends par une différence de qualité entre des plaisirs, ou ce qui fait qu'un plaisir est plus précieux qu'un autre, en tant simplement que plaisir, mis à part le fait qu'il soit plus grand quantitativement, il n'y a qu'une réponse possible. Si, de deux plaisirs, il en est un auquel tous ceux, ou presque, qui ont expérimenté les deux accordent une nette préférence, sans qu'intervienne aucune obligation morale de le préférer, c'est ce plaisir-là qui est le plus désirable. Si l'un des deux est placé si haut au-dessus de l'autre par ceux qui ont l'expérience compétente des deux, au point qu'ils le préfèrent même en sachant qu'il est obtenu au prix d'un plus grand désagrément, et qu'ils n'y renonceraient en échange d'aucune quantité de l'autre plaisir, aussi grande que ce dont leur nature est capable, nous sommes justifiés d'attribuer à la satisfaction ainsi préférée une supériorité en qualité qui l'emporte tellement sur la quantité que celle-ci, en comparaison, ne compte guère.
Or, c'est un fait incontestable que ceux qui connaissent également bien l'un et l'autre modes de vie, et sont également capables de les apprécier et d'en tirer une satisfaction, accordent une préférence très marquée à celui qui fait appel à leurs facultés nobles. Peu de créatures humaines consentiraient à être changées en l'un quelconque des animaux inférieurs en échange de la promesse de la quantité maximale des plaisirs de la bête; aucun être humain intelligent ne consentirait à être un imbécile, aucun être instruit à être un ignorant, aucune personne capable de sentiment et de conscience à être égoïste et vile, même si on les persuadait que l'imbécile, l'ignorant ou la canaille sont plus contents chacun de son lot respectif qu'eux ne le sont du leur. Ils ne voudraient pas renoncer à ce qu'ils possèdent de plus que ces gens-là en échange de la satisfaction la plus complète de tous les désirs qu'ils ont en commun avec eux. (...) Il vaut mieux être un être humain insatisfait qu'un pourceau satisfait, Socrate insatisfait qu'un imbécile satisfait".

John Stuart Mill (1806-1873), L'utilitarisme, 1861, trad. Catherine Audard, PUF, coll. Quadrige, 1998, pp. 31-37.






Bonheur et plaisir

"Les plaisirs ne durent pas. Il ne peut en être autrement. Il est dans la nature des plaisirs d'être instables, évasifs, insaisissables. Comme De la vie heureuse 1 nous l'apprend, les plaisirs commencent à se refroidir à leur instant de plus grande intensité. L'aptitude humaine au plaisir n'est pas grande, elle se remplit en un rien de temps avant que l'excitation cède à la torpeur. Le bonheur, lui, ne peut au contraire se trouver que dans la durée. Il ne peut en être autrement car la cause suprême de la misère humaine est l'incurable brièveté de la vie humaine, l'imminence de la fin et l'horreur du vide qui s'ensuit. Ce que les gens évoquent dans leurs rêves de bonheur, c'est la suspension du temps – un être qui soit immunisé contre le temps, qui ne soit plus vulnérable à ses pouvoirs universels d'érosion, de pulvérisation et d'annihilation. Les plaisirs collaborent avec la mort : ils raccourcissent le temps. A contrario, le bonheur résiste à la mort : il dépouille le temps de ses pouvoirs destructeurs et répare la dévastation qu'il laisse derrière lui."

Zygmunt Bauman, La société assiégée, 2002, IV, tr. fr Christophe Rosson, Hachette Littératures, coll. Pluriel, pp. 180-181.




Bonheur et raison


"Le concept du bonheur est si indéterminé que, quoique chacun désire être heureux, personne ne peut jamais dire d'une manière déterminée et conséquente ce qu'il souhaite et veut véritablement. La raison en est que, d'un côté, les éléments appartiennent au concept du bonheur sont tous empiriques, c'est-à-dire doivent être dérivés de l'expérience, et que, de l'autre, l'idée du bonheur exprime un tout absolu, un maximum de bien-être pour le présent et pour l'avenir. Or il est impossible qu'un être fini, quelque pénétration et quelque puissance qu'on lui suppose, se fasse un concept déterminé de ce qu'il veut véritablement. Veut-il la richesse, que de soucis, d'envie et d'embûches ne pourra-t-il pas attirer sur lui ! Veut-il des connaissances et des lumières, peut-être n'acquerra-t-il plus de pénétration que pour trembler à la vue de maux auxquels il n'aurait jamais songé sans cela et qu'il ne peut pourtant éviter, ou pour accroître le nombre déjà trop grand de ses désirs, en se créant de nouveaux besoins. Veut-il une longue vie, qui lui assure que ce ne sera pas une longue souffrance ? Veut-il du moins la santé, combien la faiblesse du corps n'a-t-elle pas préservé l'homme d'égarements où l'aurait fait tomber une santé parfaite ? Et ainsi de suite. En un mot, l'homme est incapable de déterminer, d'après quelque principe, avec une entière certitude, ce qui le rendrait véritablement heureux, parce qu'il lui faudrait pour cela l'omniscience. Il est donc impossible d'agir, pour être heureux, d'après des principes déterminés ; on ne peut que suivre des conseils empiriques, par exemple ceux de s'astreindre à un certain régime, ou de faire des économies, ou de se montrer poli, réservé, etc., toutes choses que l'expérience nous montre comme étant en définitive les meilleurs moyens d'assurer notre bien-être".

Kant, Fondements de la métaphysique des moeurs, 1785, Deuxième section, § 25, trad. J. Muglioni, Bordas, pp. 46-48.




"Nous savons tous, pour la plupart, et la plupart du temps, comment employer le mot « bonheur » et son contraire, « malheur ». Nous savons aussi à quel moment dire « je suis heureux » et « je ne le suis pas ». Mais la plupart d'entre nous seraient bien embarrassés si on leur demandait d'expliquer la règle qui leur a permis d'appliquer l'un des éléments du couple « bonheur-malheur » à un cas particulier. Nous aurions également du mal à expliquer clairement et sans ambiguïté ce que nous entendons par « je suis heureux » ou « je suis malheureux ». Le plus souvent, nous répondrions plus par une explication que par la définition : nous dirions ce qui, à notre sens, nous fit nous sentir (ou peut nous rendre) heureux ou malheureux, plutôt que de nous étendre sur l'expérience vécue et que nous souhaiterions rapporter et communiquer par l'un de ces mots.
L'expérience de l'état « heureux » ou « malheureux » ressemble, de ce point de vue-là, à l'expérience de la couleur. Nous savons comment employer le mot « rouge », mais pas comment décrire l'expérience de la « rougeur ». A mieux, si nous sommes d'humeur poétique, nous pouvons utiliser des métaphores empruntées à d'autres sortes de sensations, mais ce stratagème ne revient guère qu'à remplacer un ineffable par un autre. Les mots « bonheur » et « malheur », comme les mots « rouge » et « vert », ne sont adaptés qu'à nos interactions, mais ils ne parviennent pas à communiquer en entier, et encore moins à « transplanter », l'expérience que le locuteur veut saisir et transmettre aux autres dans le but de partager. Attacher à une expérience vécue subjectivement des noms dotés de sens que les autres peuvent, à leur tour, associer à certaines de leurs propres sensations – cela ne rend pas l'expérience moins « ineffable » qu'elle n'est. Quand je demande à quelqu'un de me prêter un crayon rouge, je peux raisonnablement espérer que ce crayon sera de la couleur que je serai disposé à appeler « rouge ». Mais je ne peux dire si moi, le demandant, et la personne qui agit à ma demande voyons la « rougeur » « de la même façon » (ni de quelle « façon » il s'agira). Je peux au mieux supposer que nous tenons tous les deux le « rouge » pour différent du « vert », du « bleu », et des autres couleurs. De même, nous pouvons considérer que nous connaissons tous la différence entre « être heureux » et « être malheureux »."

Zygmunt Bauman, La société assiégée, 2002, IV, tr. fr Christophe Rosson, Hachette Littératures, coll. Pluriel, pp. 171-172.






Le bonheur est-il inaccessible ?


"Mais qu'en est-il de la satisfaction (acquiescentia) pendant la vie ? - Elle n'est pas accessible à l'homme : ni dans un sens moral (être satisfait de soi-même pour sa bonne volonté) ni dans un sens pragmatique (être satisfait du bien-être qu'on pense pouvoir se procurer par l'habileté et l'intelligence). La nature a placé en l'homme, comme stimulant de l'activité, la douleur à laquelle il ne peut se soustraire afin que le progrès s'accomplisse toujours vers le mieux ; et même à l'instant suprême, on ne peut se dire satisfait de la dernière partie de sa vie que d'une manière relative (en partie par comparaison avec le lot des autres, en partie par comparaison avec nous-mêmes) ; mais on ne l'est jamais purement ni absolument. Dans la vie, être satisfait (absolument), ce serait, hors de toute activité, le repos et l'inertie des mobiles ou l'engourdissement des sensations et de l'activité qui leur est liée. Un tel état est tout aussi incompatible avec la vie intellectuelle de l'homme que l'immobilité du c1⁄2ur dans un organisme animal, immobilité à laquelle, si ne survient aucune nouvelle excitation (par la douleur), la mort fait suite inévitablement."

Kant, Didactique anthropologique, § 61, p. 96.






"(...) quels sont les desseins et les objectifs vitaux trahis par la conduite des hommes, que demandent-ils à la vie, et à quoi tendent-ils ? On n'a guère de chance de se tromper en répondant : ils tendent au bonheur ; les hommes veulent être heureux et le rester. Cette aspiration a deux faces, un but négatif et un but positif : d'un côté éviter douleur et privation de joie, de l'autre rechercher de fortes jouissances. En un sens plus étroit, le terme « bonheur » signifie seulement que ce second but a été atteint. En corrélation avec cette dualité de buts, l'activité des hommes peut prendre deux directions, selon qu'ils cherchent - de manière prépondérante ou même exclusive à réaliser l'un ou l'autre.
On le voit, c'est simplement le principe du plaisir qui détermine le but de la vie, qui gouverne dès l'origine les opérations de l'appareil psychique ; aucun doute ne peut subsister quant à son utilité, et pourtant l'univers entier - le macrocosme aussi bien que le microcosme - cherche querelle à son programme. Celui-ci est absolument irréalisable ; tout l'ordre de l'univers s'y oppose ; on serait tenté de dire qu'il n'est point entré dans le plan de la « Création » que l'homme soit « heureux ». Ce qu'on nomme bonheur, au sens le plus strict, résulte d'une satisfaction plutôt soudaine de besoins ayant atteint une haute tension, et n'est possible de par sa nature que sous forme de phénomène épisodique. Toute persistance d'une situation qu'a fait désirer le principe du plaisir n'engendre qu'un bien-être assez tiède ; nous sommes ainsi faits que seul le contraste est capable de nous dispenser une jouissance intense, alors que l'état lui-même ne nous en procure que très peu. Ainsi nos facultés de bonheur sont déjà limitées par notre constitution. Or, il nous est beaucoup moins difficile de faire l'expérience du malheur. La souffrance nous menace de trois côtés : dans notre propre corps qui, destiné à la déchéance et à la dissolution, ne peut même se passer de ces signaux d'alarme que constituent la douleur et l'angoisse ; du côté du monde extérieur, lequel dispose de forces invincibles et inexorables pour s'acharner contre nous et nous anéantir ; la troisième menace enfin provient de nos rapports avec les autres êtres humains. La souffrance issue de cette source nous est plus dure peut-être que toute autre ; nous sommes enclins à la considérer comme un accessoire en quelque sorte superflu, bien qu'elle n'appartienne pas moins à notre sort et soit aussi inévitable que celles dont l'origine est autre.
Ne nous étonnons point si sous la pression de ces possibilités de souffrance, l'homme s'applique d'ordinaire à réduire ses prétentions au bonheur (un peu comme le fit le principe du plaisir en se transformant sous la pression du monde extérieur en ce principe plus modeste qu'est celui de la réalité), et s'il s'estime heureux déjà d'avoir échappé au malheur et surmonté la souffrance ; si d'une façon très générale la tâche d'éviter la souffrance relègue à l'arrière-plan celle d'obtenir la jouissance".

Freud, Malaise dans la civilisation, 1929, P.U.F, Chapitre 2, 1971, Trad. Ch. Et J. Odier, pp. 20-21.






Le devoir de bonheur

"Il est toujours difficile d'être heureux ; c'est un combat contre beaucoup d'événements et contre beaucoup d'hommes ; il se peut que l'on y soit vaincu ; il y a sans doute des événements insurmontables et des malheurs plus forts que l'apprenti stoïcien ; mais c'est le devoir le plus clair peut-être de ne point se dire vaincu avant d'avoir lutté de toutes ses forces. Et surtout, ce qui me paraît évident, c'est qu'il est impossible que l'on soit heureux si l'on ne veut pas l'être ; il faut donc vouloir son bonheur et le faire.
Ce que l'on n'a point assez dit, c'est que c'est un devoir aussi envers les autres que d'être heureux. On dit bien qu'il n'y a d'aimé que celui qui est heureux ; mais on oublie que cette récompense est juste et méritée ; car le malheur, l'ennui et le désespoir sont dans l'air que nous respirons tous ; aussi nous devons reconnaissance et couronne d'athlète à ceux qui digèrent les miasmes, et purifient en quelque sorte la commune vie par leur énergique exemple. Aussi n'y a-t-il rien de plus profond dans l'amour que le serment d'être heureux. Quoi de plus difficile à surmonter que l'ennui, la tristesse ou le malheur de ceux que l'on aime ? Tout homme et toute femme devraient penser continuellement à ceci que le bonheur, j'entends celui que l'on conquiert pour soi, est l'offrande la plus belle et la plus généreuse.
J'irais même jusqu'à proposer quelque couronne civique pour récompenser les hommes qui auraient pris le parti d'être heureux. Car, selon mon opinion, tous ces cadavres, et toutes ces ruines, et ces folles dépenses, et ces offensives de précaution, sont l'œuvre d'hommes qui n'ont jamais su être heureux et qui ne peuvent supporter ceux qui essaient de l'être."

Alain, Propos sur le bonheur, 1923, Chapitre XCII : Devoir d'être heureux, éditions Gallimard, nrf, 1928, pp. 269-271.






Le bonheur s'obtient en ne le recherchant pas


"Ce qu'il y a de plus frappant dans la conception que l'homme - le mâle - se fait du bonheur, c'est que cette conception n'existe pas. Il y a, d'Alain, un livre intitulé Propos sur le bonheur. Mais à aucun endroit de ce livre, il n'est question du bonheur. Cela est tout à fait significatif. La plupart des hommes n'ont pas de conception du bonheur. ... le bonheur s'obtient en n'y pensant pas. Un jour, on fait réflexion sur soi-même, on se rend compte qu'on n'a pas trop d'ennuis : on se dit alors qu'on est heureux. Et on dresse en règle de conduite ce fameux poncif, que le bonheur ne s'obtient qu'à condition de ne pas le rechercher".

Montherlant, Les jeunes filles, 1936, Folio, 1972, p. 121.





"Chacun sait, ou l'expérience le lui apprend avec l'âge, que le bonheur semble d'autant plus s'éloigner qu'on cherche ardemment à l'atteindre. On ne peut pas lui courir après. On ne peut pas le chercher, parce qu'on ne peut pas le reconnaître de loin et qu'il ne se dévoile que soudain, lorsqu'il est là. Le bonheur ? Ce sont ces quelques minutes dans une vie où le monde devient tout à coup parfait, par un concours de circonstances imperceptibles. La chaleur d'une main, la vue d'une eau cristalline ou le chant d'un oiseau : comment pourrait-on « chercher à atteindre » des choses de ce genre ? Mais ce ne sont pas non plus toutes ces choses qui comptent, mais seulement la disposition d'âme (seelische Bereitschaft) qu'elles rencontrent. Ce qui importe c'est que l'âme soit capable de vibrer au bon moment, que ses cordes n'aient pas été détendues par les sons qui en ont été tirés jusque-là, que les accès aux joies les plus élevées ne soient pas encrassés (durch Schmutz verstopft). Mais l'homme peut veiller à tout cela, à la réceptivité, à la pureté (Reinheit) de l'âme. Il ne peut pas attirer le bonheur, mais il peut disposer toute son existence de manière à être prêt, à tout moment, à le recevoir quand il vient".

Moritz Schlick, Questions d'éthique (1930), VIII, 10, Trad. C. Bonnet, Paris, P.U.F., 2000, p. 168.




"L'idée du bonheur est le type même du malentendu. Pourquoi le bonheur ? Pourquoi faudrait-il que nous soyions heureux ? De quoi pourrait bien se nourrir un sentiment si général, si abstrait, et pourtant si lié à la vie quotidienne ? Quelle que soit l'idée qu'on s'en fait, le bonheur est simplement un accord entre le monde et l'homme ; il est une incarnation. Une civilisation qui fait du bonheur sa quête principale est vouée à l'échec et aux belles paroles. Il n'y a rien qui justifie un bonheur idéal, comme il n'y a rien qui justifie un amour parfait, absolu, ou un sentiment de foi totale, ou un état de santé perpétuelle. L'absolu n'est pas réalisable : cette mythologie ne résiste pas à la lucidité. La seule vérité est d'être vivant, le seul bonheur est de savoir qu'on est vivant.
L'absurdité des généralisations des mythes et des systèmes, quels qu'ils soient, c'est la rupture qu'ils supposent avec le monde vivant. Comme si ce monde-là n'était pas assez vaste, pas assez tragique ou comique, pas assez insoupçonné pour satisfaire aux exigences des passions et de l'intelligence."

J.-M. G. Le Clézio, L'Extase matérielle, Éd. Gallimard, 1967.




"Enfin, il est peut-être temps de dire que le "secret" d'une bonne vie, c'est de se moquer du bonheur : ne jamais le chercher en tant que tel, l'accueillir sans se demander s'il est mérité ou contribue à l'édification du genre humain ; ne pas le retenir, ne pas regretter sa perte ; lui laisser son caractère fantasque qui lui permet de surgir au milieu des jours ordinaires ou de se dérober dans les situations grandioses. Bref le tenir toujours et partout pour secondaire puisqu'il n'advient jamais qu'à propos d'autre chose.
Au bonheur proprement dit, on peut préférer le plaisir comme une brève extase volée au cours des choses, la gaieté, cette ivresse légère qui accompagne le déploiement de la vie, et surtout la joie qui suppose surprise et élévation. Car rien ne rivalise avec l'irruption dans notre existence d'un événement ou d'un être qui nous ravage et nous ravit. Il y a toujours trop à désirer, à découvrir, à aimer. Et nous quittons la scène sans avoir à peine goûté au festin".

Pascal Bruckner, L'Euphorie perpétuelle, Essai sur le devoir de bonheur, Livre de poche, 2002, pp. 270-271.





Bonheur et religion


"Puis donc que l'amour de Dieu est la suprême félicité et la béatitude de l'homme, la fin ultime et le but de toutes les actions humaines, celui-là seul suit la loi divine qu a souci d'aimer Dieu, non pas crainte du supplice ni par amour d'une autre chose, telle que les plaisirs, le renom, etc., mais pour cette raison seulement qu'il connaît Dieu, autrement dit qu'il connaît que la connaissance et l'amour de Dieu est le souverain Bien. toute la loi divine donc se résume dans cet unique précepte: aimer Dieu comme un bien souverain; et cela, nous l'avons dit, non par crainte d'un supplice ou d'un châtiment, ni par amour d'une autre chose de laquelle nous désirons du plaisir. La leçon contenue dans l'idée de Dieu, c'est en effet que Dieu est notre souverain Bien, autrement dit que la connaissance et l'amour de Dieu est la fin dernière à laquelle doivent tendre toutes nos actions. L'homme charnel toutefois ne peut connaître cette vérité, et elle lui paraît vaine parce qu'il a de Dieu une connaissance trop insuffisante, et aussi parce qu'il ne trouve dans ce souverain Bien rien qu'il puisse toucher ou manger ou qui affecte la chair, dont il recherche le plus les délices, puisque ce bien consiste dans la contemplations seule et dans la pensée pure".

Spinoza, Traité théologico-politique, 1670, Chapitre V, trad. Charles Appuhn, GF, pp. 88-89.






Travail et bonheur


"Le bonheur du travail, c'est que l'effort et sa récompense se suivent d'aussi près que la production et la consommation des moyens de subsistance, de sorte que le bonheur accompagne le processus tout comme le plaisir accompagne le fonctionnement d'un corps en bonne santé. Le « bonheur du plus grand nombre » dans lequel nous généralisons et vulgarisons la félicité dont la vie terrestre a toujours joui, a conceptualisé en idéal la réalité fondamentale de l'humanité travailleuse. Le droit de poursuivre ce bonheur est, certes, aussi indéniable que le droit de vivre ; il lui est même identique. Mais il n'a rien de commun avec la chance qui est rare, ne dure pas et que l'on ne peut pas poursuivre, car la chance, la fortune, dépendent du hasard et de ce que le hasard donne et reprend, bien que la plupart des gens en « poursuivant le bonheur » courent après la fortune et se rendent malheureux même quand ils la rencontrent, parce qu'ils veulent conserver la chance et en jouir comme d'une abondance inépuisable de « biens ». Il n'y a pas de bonheur durable hors du cycle prescrit des peines de l'épuisement et des plaisirs de la régénération, et tout ce qui déséquilibre ce cycle - pauvreté, dénuement où la fatigue est suivie de misère au lieu de régénération, ou grande richesse et existence oisive où l'ennui remplace la fatigue, où les meules de la nécessité, de la consommation et de la digestion écrasent à mort, impitoyables et stériles, le corps impuissant - ruine l'élémentaire bonheur qui vient de ce que l'on est en vie".

Hannah Arendt, La Condition de l’homme moderne (1958), Chap. III, §1, tr. G. Fradier, Pocket, pp. 154-155.












Sujets de dissertations :

I. Le bonheur comme but de l'existence

1. Le bonheur comme bien suprême

- Peut-on donner pour fin à la réflexion philosophique la recherche du bonheur ?
- Le bonheur est-il le bien suprême ?
- Le bonheur est-il une aspiration universelle ?
- Qu'attendons-nous pour être heureux ?
- Le bonheur est-il la fin de toute action ?
- Faut-il préférer la recherche du bonheur à la recherche de la vérité ?
- Faut-il préférer le bonheur à la vérité ?


2. Bonheur et morale

- Peut-on en même temps prétendre à une vie morale et rechercher le bonheur ?
- Vivre selon des principes : est-ce une obligation morale ou une condition du bonheur ?
- La recherche du bonheur vous paraît-elle constituer un fondement valable de la vie morale ?
- La recherche du bonheur est-elle forcément immorale ?
- L'homme injuste peut-il être heureux ?
- Les méchants peuvent-ils être véritablement heureux ?
- Y a-t-il des tyrans heureux ?
- Y a-t-il un devoir d'être heureux ?
- Suffit-il de remplir ses devoirs pour être heureux ?
- Avons-nous le devoir de faire le bonheur des autres ?
- Suis-je responsable de mon bonheur ?

La morale utilitariste

3. Bonheur et politique

- Le bonheur est-il une affaire privée ?
- La recherche du bonheur est-elle une affaire privée ?
- Le bonheur est-il égoïste ?
- La recherche du bonheur est-elle un idéal égoïste ?
- Le bonheur est-il le but de la politique ?
- Le bonheur est-il affaire de politique ?
- Le bonheur dépend-il du régime politique sous lequel on vit ?
- Peut-on parler de bonheur d'une communauté ?
- Peut-on être heureux dans la solitude ?
- Le bonheur est-il un droit ?
- L'homme peut-il revendiquer un droit au bonheur ?
- Avons-nous le droit de faire le bonheur des autres ?
- Pouvons-nous faire le bonheur des autres malgré eux ?
- Pour bien agir, faut-il vouloir faire le bonheur d'autrui ?

II. Comment atteindre le bonheur ?

- Y a-t-il un art d'être heureux ?

1. D'où vient le bonheur ?

- Dans quelle mesure l'imagination contribue-t-elle au bonheur de l'homme ?
- Que convient-il d'entendre par "avoir tout pour être heureux ?"
- N'y a t-il de bonheur que dans l'instant ?
- Le bonheur n'est-il que dans l'attente du bonheur ?


2. Bonheur et désir

- Pour être heureux, faut-il satisfaire tous ses désirs ?
- Le bonheur consiste t-il à ne plus rien désirer ?
- Être heureux est-ce assouvir tous ses désirs ?

3. Bonheur et plaisir

4. Bonheur et raison

- La raison conduit-elle (toujours) au bonheur ?
- Obéir à la raison suffit-il à rendre heureux ?
- La lucidité conduit-elle au bonheur ?
- Le bonheur est-il dû à l'illusion ou au savoir ? - La conscience de ce que nous sommes peut-elle faire obstacle à notre bonheur ?
- Faut-il s'abstenir de penser pour être heureux ?
- Un bonheur sans illusions est-il concevable ?
- Est-il vrai qu'il n'y a pas de bonheur intelligent ?
- Pensez-vous que « c'est l'illusion et non le savoir qui rend heureux » ?


5. Bonheur et liberté

- Peut-on être heureux sans être libre ?
- Peut-on être heureux et libre ?
- Faut-il choisir entre être heureux et être libre ?
- La quête du bonheur constitue t-elle un esclavage ?
- La recherche du bonheur peut-elle être un esclavage ?


III. Faut-il rechercher le bonheur ?

1. Le bonheur est-il inaccessible ?

- Le bonheur n'est-il qu'illusion ?
- Le bonheur est-il inaccessible à l'homme ?
- Le bonheur est-il accessible à l'homme ?
- Est-ce illusoire de désirer le bonheur ?


2. Le devoir de bonheur

- Faut-il rechercher le bonheur ?
- Y a-t-il un devoir d'être heureux ?
- Est-ce un devoir de rechercher le bonheur ?
- Faut-il vouloir être heureux ?
- Avons-nous le devoir de faire le bonheur des autres ?


3. Ne devient-on heureux qu'en ne cherchant pas le bonheur ?

- Rechercher le bonheur, est-ce se condamner à ne pas le trouver ?
- La recherche du bonheur peut-elle être un esclavage ?


IV. Le bonheur et les autres notions du programme

1. Bonheur et technique

- La technique peut-elle garantir le bonheur ?
- Le progrès technique est-il la condition du bonheur ?


2. Bonheur et vérité

- Faut-il préférer la recherche du bonheur à la recherche de la vérité ?
- Faut-il préférer le bonheur à la vérité ?


3. Bonheur et religion


4. Bonheur et travail

- Faut-il travailler pour être heureux ?







Liens internes :






--Lien externe :




Commentaires

Etre dans un état de bonheur, c'est savoir profiter des moments qui nous apportent du bien être. Pas spécialement les moments liés à nos désirs mais les moments de vie. C'est un état d'esprit, une aptitude à capter des instants de bonheur.

en fin de cet article : plus de 30 textes sur le bonheur !

"En effet, pourquoi travaille-t-on sinon pour gagner de l’argent ? Et pourquoi veut-on de l’argent si ce n’est pour acheter ce dont on a envie ? "
Je dirais plutôt qu'on travaille pour gagner de l'argent afin de se nourrir et de se loger, sinon ... on meurt non?. Peut-être un peu terre à terre, ça n'atteint certainement pas les hautes sphères philosophiques, mais si on avait le choix je pense que bien des gens pourraient se passer d'argent. Après bien sûr pour assouvir nos "envies", si l'on situe le bonheur dans un ensemble de biens à acquérir ... enfin c'est un peu bateau de dire ça, mais ça m'a énervé de lire qu'on travaille "pour acheter ce dont on a envie", je ne suis pas sûr qu'il y ait parfaite équivalence entre ce dont on a besoin et ce dont on a envie. Sinon, pour en revenir au bonheur, je pense que notre plus grand problème, ou qualité selon le point de vue, c'est notre conscience. L'on pourrait se contenter de passer de l'insatisfaction à la satisfaction et ainsi de suite, vivre comme des bêtes en somme, et Dieu sait qu'il y en a, beaucoup beaucoup, qui vivent comme ça. Mais bien souvent notre conscience vient nous déranger, nous impose de donner un sens à notre existence. Etre heureux ? C'est le but de tous les hommes n'est-ce pas... pourtant cela ne suffit pas à donner un sens à notre existence, et cette absence de sens vient bien souvent faire obstacle au bonheur. Certain tentent de ne surtout pas y penser et vivent avec des oeillères, pourchassent le bonheur... c'est vrai qu'on a coutume de dire que le bonheur c'est plus simple quand on est idiot. Pourtant une vie menée entièrement à la merci des desirs, quels qu'ils soient, peut se révéler bien douloureuse, "oscillant entre l'ennui et la souffrance". L'on est heureux que lorsque que l'on est en accord avec son existence, que l'on agit en "bonne conscience", ce qui signifie que l'on a su donner un sens à sa vie, et que l'on se sent "digne d'être heureux". Le bonheur ne s'accroit que dans la puissance d'agir.

Le bonheur, c'est aussi facile que de gagner une partie d'échecs !

Ajouter un commentaire

Nouveau commentaire