Café philo du 21-10-2017, médiathèque Jules Vernes de Puteaux -bois vernis, gâteaux, café, thé, sucres dans leur sucrier en porcelaine, cheminée (si si!) et documentalistes chaleureuses : merci et bravo !


© François Housset









La philosophie conduit-elle au bonheur ?

Si la philosophie permet de prendre la vie du bon côté, il suffit d'être sage pour avoir la vie bonne. Pourtant, certains philosophes font la tronche. Est-il sage de suivre la conduite de ces malheureux ?

Le bonheur n'est pas une idée, on l'éprouve sans rien y comprendre. Pour contempler un coucher de soleil, nul besoin du guide nous expliquant que le soleil est là, et qu'il est beau !

"Ne demande jamais ton chemin à quelqu'un qui le connaît, car tu pourrais ne pas t'égarer"
Rabbi Nachman

Pour jouir d'un coucher de soleil, dit Aristote venu savourer un gâteau à la poire et remettre du bois dans la cheminée, il faut « juste » un ensemble de conditions : la sécurité, la paix, l’aisance matérielle, le loisir, la délivrance de la servitude du travail...

Il en faut peu !? Et c'est beaucoup !
On s'émerveille des « petits riens » enchanteurs, une fois organisé tout un monde où le bonheur est possible. Alors on jubile. Balou chante « il en faut peu pour être heureux », il danse entre nos fauteuils en cuir, avec les documentalistes et l'ensemble des usagers en délire : la médiathèque se transforme en piste de danse ! En fait, non. Personne n'ose suivre les pas de Balou, ni croire en son bonheur facile. Croyance risquée. Nous avons assez été bercés d'illusion par Disney du temps de notre enfance, ce temps est révolu. « Ils furent heureux et eurent beaucoup d'enfants » : les personnages du père Disney, maudit soit son nom, n'ont rien à vivre après le générique de fin ! Leur quête a abouti, les voilà sans raison d'être. Nous ne sommes heureusement pas des personnages. Nous sommes libres de rater nos vies ! Exister c'est dire non ! Ne suivons pas le chemin qui mène droit à une vie « réussie » ! Comment rater assurément sa vie, rester seul, refuser de se fier à un guide, fut-il Balou ? En devenant des hommes lourds, chargés des soucis terrestres qui empêchent de danser. En passant de la lucidité joyeuse à la méfiance qui sape le bonheur.

"Le manipulateur ne se voit pas nuire, il ne pense pas -il compte!"
Une participante.

Une mauvaise expérience stoppe l'élan spontané vers le bien-être. Un désappointement suffit pour en redouter jusqu'à l'apparence. Il n'y a plus de beau coucher de soleil. En cherchant à éviter le malheur (la guerre, l’enfermement, la perte d'un être cher), on oublie de concevoir le bonheur (la paix, la libération et la belle relation à l'Autre). Détruire est tellement plus facile que construire ! On reconnaît la compétence du destructeur compétent, méchamment expérimenté. Celui qui mène au bonheur est discrédité : il se prétend bienveillant ? Peu crédible ! Bisounours parmi les requins, il a le tort d'être autre, « pas vrai ».

A quel critère reconnaître le « vrai » bonheur ? Le « vrai » malheur ? « La vérité c'est moi, c'est pas l'autre », résume une participante. On a le bonheur qu'on comprend. La méfiance interdit de se fier à un guide. Et même d'entendre ses conseils. Il n'est pire sourd que celui qui ne veut point entendre : on ne veut pas comprendre, c'est-à-dire « prendre avec », faire avec l'autre, l'inconnu, l'aventure. Allez sourire face au gouffre de l'inconnu ! Balou, vexé, lance « je ne suis pas un gouffre », et disparaît.

Les philosophes classiques prônaient la sagesse pour accéder au bonheur. Accès fermé pour travaux. L'aventure, la beauté, la singularité, ne sont pas aux normes. La précarité, la violence, la technocratie, rendent le bonheur indécent !

Je suis ton pair !
Nous manquons de synchronicité avec nos voisins d'emphase. Retrouvons la capacité à suivre les pas de nos pairs. Viiiiite ! Il importe moins de savoir où l'on va que d'y aller ensemble. Si le temps des autres n'est plus le notre, il nous est perdu. Pour autrui, offrons tout notre temps, tant que nous sommes en relation : notre bonheur consiste à nous lier, sortir de nous-mêmes, atteindre à proprement parler l'extase... Au temps pour nous !

© François Housset

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Ils ont dit...

"Je connais une planète où il y a un Monsieur Cramoisi. Il n'a jamais respiré une fleur. Il n'a jamais regardé une étoile. Il n'a jamais aimé personne. Il n'a jamais rien fait d'autre que des additions. Et toute la journée il répète comme toi :"Je suis un homme sérieux ! Je suis un homme sérieux !"et ça le fait gonfler d'orgueil. Mais ce n'est pas un homme, c'est un champignon!"
Le Petit Prince, Antoine de Saint-Exupéry, Chapitre VII.

"Tu cherches le bonheur mais tu préfères la sécurité."
REICH, Ecoute, petit homme !

"Soyez heureux! Sous son air aimable, y a-t-il injonction plus paradoxale, plus terrible? Elle formule un commandement auquel il est d'autant plus difficile de se soustraire qu'il est sans objet. Comment savoir si l'on est heureux ? Qui fixe la norme ? Pourquoi faut-il l'être, pourquoi cette recommandation prend-elle la forme de l'impératif? Et que répondre à ceux qui avouent piteusement: je n'y arrive pas ?"
PASCAL BRUCKNER, L'euphorie perpétuelle, essai sur le devoir de bonheur, Grasset 2000, p.14.

"Alors que la jeune mère oublie allègrement les douleurs de l'enfantement, que le trophée du vainqueur fait disparaître courbatures et égratignures, les souffrances gratuites et stériles ne s'effacent jamais. Elle nous dépossèdent, nous privent peu à peu de la liberté. Ainsi, face au scandale et surtout à l'absurdité de ce qui fait mal, les Anciens convient à tout mettre en œuvre pour rendre fructueux le moment douloureux. Il ne s'agit pas de courir à la recherche du danger, ni de se vautrer dans la souffrance, mais celle-ci s'imposant d'en profiter ! Cioran donne un éclairage : "La souffrance ouvre les yeux, aide à voir les choses qu'on n'aurait pas perçues autrement. Elle n'est donc utile qu'à la connaissance, et, hors de là, ne sert qu'à envenimer l'existence." (Cioran, De l'inconvénient d'être né)
Alexandre Jollien, Le métier d’homme. Seuil 2002 p. 48.

"C’est proprement avoir les yeux fermés, sans tâcher jamais de les ouvrir, que de vivre sans philosopher; et le plaisir de voir toutes les choses que notre vue découvre n’est point comparable à la satisfaction que donne la connaissance de celles qu’on trouve par la philosophie; et, enfin, cette étude est plus nécessaire pour régler nos mœurs et nous conduire en cette vie, que ne l’est l’usage de nos yeux pour guider nos pas."
Descartes. Les principes de la philosophie. Préface.

“Qui est conduit par la crainte et fait le bien pour éviter le mal, n’est pas conduit par la raison.”
Spinoza, Éthique IV, proposition 63

"Qu'est-ce que je serais heureux si j'étais heureux !"
Cette formule de Woody Allen dit peut-être l'essentiel : que nous sommes séparés du bonheur par l'espérance même qui le poursuit. La sagesse serait au contraire de vivre pour de bon, au lieu d'espérer vivre. C'est où l'on rencontre les leçons d'Epicure, des stoïciens, de Spinoza, ou, en Orient, du Bouddha. Nous n'aurons de bonheur qu'à proportion du désespoir que nous serons capables de traverser. La sagesse est cela même : le bonheur, désespérément.
André Comte-Sponville, Le bonheur, désespérément.










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