S'indigner, c'est juste. Se sacrifier, c'est scandaleux.
Par François HOUSSET | Les Textes #167 | 2 commentaires | |
Sous prétexte qu'elles sont acceptées par leurs peuples, dira-t-on que les lois des despotes sont justes ?
Un dictateur a "le droit" de tuer qui il veut : c'est juste scandaleux. Que la loi lui donne ce prétendu droit, que le peuple, en votant, ait pu le concéder, est tout aussi scandaleux : on ne peut avoir le droit de nier le droit.
LE DROIT, DE QUEL DROIT ?
Aucun droit ne vaut quand on délire, il n'y a que la Raison qui vaille. Avec un grand R. On peut lire et écrire quantité de principes... ou pas. Le citoyen est "oupiste" : il peut se passer des codes civils, pénaux, internationaux... bla-bla. Car il n'est pas nécessaire de connaître précisément la loi quand on comprend l'esprit des lois.
L'homme soucieux de ses avantages peut bafouer mille et un codes de toute institution. Il ne suffit pas que des lois soient écrites : il faut que la Raison règne. Être juste, ça n'est pas obéir aux lois comme un âne, car on n'est pas juste quand on obéit sans comprendre. Il faut saisir l'intérêt de chaque règle et son sens.
Inutile de faire l'E.N.A. ou Science Po pour comprendre le formidable intérêt qu'il y a à être juste : naturellement les hommes s'aiment, sont généreux, serviables, reconnaissants, bienveillants. Inutile de leur en donner l'ordre ! Naturellement, chacun conçoit ce qu'il doit à autrui et veut rendre à chacun ce qui lui est du (et aussi profiter de ce qu'offre chacun) : échange, partage et équité vont de soi. La loi ne fait qu'en prendre acte.
Les hommes n'ont naturellement pas intérêt à se battre : il y perdraient trop ! Ils préfèrent donc s'entendre : leur Raison répugne à s'engager dans un conflit où il y aurait peu à gagner et beaucoup à risquer -une brute épaisse peut tenter de les écraser, elle n'est jamais supérieure à tous : la force simple, simplette, est pure bêtise. Prétendre lui rendre justice, c'est respecter son mépris.
Être juste c'est simplement reconnaître qu'on est ensemble, en relation. Il s'agit d'échanger incessamment, de recevoir pour donner, donner pour recevoir.
L'image de la balance convient à ce troc incessant : telle la balance des paiements en perpétuelle quête d'équilibre, celle du tribunal reçoit à la fois les voix de ceux qui réclament vengeance, reconnaissance, réparation... chacun paie sa dette et veut être payé à son tour.
Qu'y-a-til de moral ici ? Que l'on qualifie de "juste" l'acte généreux d'un bienfaiteur prétendant n'avoir fait que son devoir, de façon purement désintéressée ? Mais comment ne pas être intéressé ?! Faudrait-il s'oublier soi-même ? Serait-ce se sacrifier qui serait juste ?
Supposer qu'une action doive être désintéressée pour être juste, c'est oublier qu'on est dans un marché : que ferait un homme désintéressé au marché des changes ? Il s'en exclurait et le dénigrerait par-dessus le marché ! Imagineriez-vous un marchand qui vous offrirait sa marchandise, le cœur sur la main ? Ne seriez-vous pas inquiet ? Considérez à présent ceux qui clament que plus le sacrifice est grand plus il est "juste" : ne sont-ils pas effrayants (quand par exemple il ont le toupet de dire : qu'il va falloir faire des sacrifices) ? N'ont-ils pas oublié ce qu'est la justice -ou ne cherchent-ils pas à nous le faire oublier ? Faisons psy-psy sur ces pervers en quête de "méritants" pour satisfaire quelque pulsion sadique : ils cherchent à voir l'être humain devenir martyr pour la beauté du spectacle, ils applaudiront celui qui (se) donnera sans rien gagner en retour. Voilà le plus probable et le plus inadmissible pourtant : ils se paient de la peine d'autrui.
Parce qu'il nous faut nous méfier de la cruauté des moralistes, préférons la justice à la charité.
François Housset
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DR
Aaaaaah ! Lire !
- Platon, La République, I. Les Lois, livre IX. La République aide à comprendre la constitution pour se comprendre : chaque personnalité a plusieurs facettes distinctes (courage, désir, raison....), de même qu’une République est constituée à la fois d’une armée, de gouvernants, d’enfants, d’ouvriers...
Le régime démocratique que critiqua Platon n'est pas si différent du notre : il fait du désir de posséder un principe moteur. La démocratie est devenue le règne du bon plaisir, excitant les ambitions, suscitant les rivalités. L'injustice règne, le désir de posséder commande tout. Il faut une sacrée dose d'ironie pour appeler ce règne du désir du nom de liberté : sa beauté n'est qu'apparente ; il n'est pas dirigé par la tête (les lois), mais par le ventre (les désirs égoïstes). C’est rarement le plus sage qui dirige, mais celui qui a su se faire élire en retournant assez joliment sa veste pour séduire les électeurs.
- Aristote, La Politique : Aristote est sévère comme Platon à l’égard de la démocratie : la souveraineté populaire se trouve exposée aux vices des particuliers (médiocres pour la plupart, qui ne prétendent pouvoir légiférer que parce qu’ils sont nombreux). Citons, juste histoire de vous scandaliser : Livre 3, chap. 17 : “par nature, les hommes sont destinés à être gouvernés despotiquement” (Aristote vante les avantages du despotisme sur la démocratie : la démocratie est trop pervertie pour que ce soit la loi qui régisse les hommes ; aucune loi ne peut plus valoir quand c’est bien le peuple qui gouverne, c’est-à-dire exerce au jour le jour et dans chaque cas particulier sa liberté capricieuse. La démocratie finit inévitablement en démagogie, et les désirs insatiables prennent le dessus : les “souverains de l’opinion du peuple”, qui savent retourner leurs vestes, flatter et agir en méprisant l’intérêt véritable de la Cité, ne font pas de politique, parce que “partout où les lois ne gouvernent pas il n’y a pas de constitution”. Ce n’est que parce qu’il est despotique que le pouvoir relève de l’ordre politique !
- Spinoza Traité de l'autorité politique : la loi représente l'union des forces de tout un peuple pour adopter une règle commune, seul moyen de vivre ensemble en véritable harmonie. On retrouvera la même idée chez Rousseau affirmant que la liberté est l'obéissance à la loi qu'on s'est prescrite. L'État est institué “pour libérer l'individu de la crainte, pour qu'il vive autant que possible en sécurité, c'est-à-dire conserve, aussi bien qu'il se pourra, sans dommage pour autrui, son droit naturel d'exister et d'agir. Non, je le répète, la fin de l'État n'est pas de faire passer les hommes de la condition d'êtres raisonnables à celles de bêtes brutes ou d'automates, mais au contraire il est institué pour que leur âme et leur corps s'acquittent en sûreté de toutes leurs fonctions, pour qu'eux-mêmes usent d'une raison libre, pour qu'ils ne luttent point de haine, de colère ou de ruse, pour qu'ils se supportent sans malveillance les uns les autres. La fin de l'État est donc en réalité la liberté.”
- Rousseau :
Le Contrat Social: il faut «trouver une forme de gouvernement qui mette la loi au-dessus de l’homme». “Trouver une forme d’association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé et par laquelle chacun s’unissant à tous n’obéisse pourtant qu’à lui-même et reste aussi libre qu’auparavant.” “Puisqu’aucun homme n’a une autorité naturelle sur son semblable, et puisque la force ne produit aucun droit, restent donc les conventions pour base de toute autorité légitime parmi les hommes.”
Discours sur l'origine est les fondements de l'inégalité parmis les hommes : Le début de la seconde partie de ce chef d'œuvre explique les fondements du droit, l'arbitraire de la loi, fondamentalement injuste parce que la propriété privé fut le premier droit affirmé, par le premier qui en eut le culot : "Le premier qui, ayant enclos un terrain, s'avisa de dire : Ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, que de guerres, de meurtres, que de misères et d'horreurs n'eût point épargnés au genre humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant le fossé, eût crié à ses semblables : Gardez-vous d'écouter cet imposteur; vous êtes perdus, si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n'est à personne."
- NIETZSCHE : Généalogie de la morale (montre qu’historiquement ce sont les maîtres qui définissent le Bien et la Vérité)
- Rawls : Théorie de la justice : idée qu’il faut que les citoyens puissent se dévouer.
- Foucault : Surveiller et punir : c’est l’emprise du carcan social qui rend le citoyen prévisible.
- MONTESQUIEU, L’esprit des Lois : Livre III, chap. IX : le principe du gouvernement despotique est la crainte. Le despote règne par la terreur, mais lui-même, craignant pour son pouvoir et pour sa vie, est condamné à ne cesser, pas un instant, de se faire craindre. Il n’est pas vrai qu’il existe des despotes libéraux, éclairés ou humanistes. Car l’homme qui tremble est une bête traquée, qui perd les sentiments humains. Le civisme et l’estime de soi, qui font les sociétés humaines, ne peuvent exister dans un régime despotique. Le gouvernement despotique, parce qu’il déshumanise les hommes ressemble à une froide machine, qui ne peut cesser de faire trembler sans cesser d’être. Livre IV chap. IV : montre un beau paradoxe : dans la tyrannie, il n’y a plus de maître, vu que le tyran est en même temps esclave : vivant dans l’oppression permanente d’un complot, il n’a pas la liberté fut-ce de baisser les yeux : les hommes soumis ne plient que tant qu’ils sont sous son joug, et profiteront du moindre faux-pas de leur maître pour se libérer de leurs chaînes.
- Hobbes. Leviathan. La domination est l’essence même de l’ordre politique. Le peuple s’engage à respecter un contrat unilatéral, qui n’engage que le peuple -pas le gouvernant, qui de fait est leur maître. L’ordre politique est au prix d’un pouvoir absolu du souverain. Une souveraineté ne se partage pas, elle est nécessairement une et indivisible, supérieure et extérieure au peuple, implacable donc efficace.
- Locke, Essai sur le gouvernement civil. §§ 95 et 99 : “Les hommes étant tous libres, égaux et indépendants par nature, personne ne peut être tiré de cet état naturel, ni soumis au pouvoir politique d’un autre homme, sans son propre consentement... Ce qui est à l’origine d’une société politique, ce qui la constitue véritablement, c’est uniquement le consentement d’un certain nombre d’hommes libres capables de former une majorité pour s’unir et s’incorporer à une telle société.”
- SARTRE, L’existentialisme est un humanisme : chacun est libre donc responsable, et doit "faire avec" les lois.
- Déclaration des droits de l'homme : “Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation, nul corps, nul individu ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément. ”
- Auguste COMTE, Système de Politique positive : chaque citoyen est pétri des devoir qu'il a à rendre, et ne doit s'accorder le droit de s'en éloigner. “La décomposition de l’humanité en individus proprement dits ne constitue pas qu’une analyse anarchique, autant irrationnelle qu’immorale, qui tend à dissoudre l’existence sociale au lieu de l’expliquer, puisqu’elle ne devient applicable que quand l’association cesse. Elle est aussi vicieuse en sociologie que le serait, en biologie, la décomposition chimique de l’individu lui-même en molécules irréductibles dont la séparation n’a jamais lieu pendant la vie.”
Citations
"Il y a pourtant une justice en ce monde", murmurait Renzo.
Ce qui prouve qu'un homme accablé par la douleur ne sait plus ce qu'il dit.
Alessandro Manzoni, Les Fiancés (1824) ; Chemin Vert
Je n'aime pas les juges qui se penchent amoureusement du côté des voleurs.
Jean Genêt, propos rapporté par Jean Cocteau
La vénalité des hommes, c'est comme la charité du bon Dieu. C'est notre seule sauvegarde. Tant qu'elle existera, il y aura des jugements cléments et les innocents eux-mêmes auront des chances de s'en tirer au tribunal.
Bertolt Brecht, Mère courage (1938)
La justice écoute aux portes de la beauté.
Aimé Césaire, Moi, laminaire... (1982)
La fonction juridique ne va pas sans fonction poétique.
Pierre Legendre, L'inestimable Objet de la transmission (1985)
La justice... pétrifie les cœurs de tous ceux qui se sont nourris de ses maximes.
William Goldwin, Les Aventures de Caleb William ou Les choses comme elles sont (1979)
La justice dépend du climat où elle pousse.
Casamayor, La justice pour tous (1969)
Si la pierre tombe sur la cruche, malheur à la cruche ! Si la cruche tombe sur la pierre, malheur à la cruche ! De toute manière, c'est toujours la cruche qui souffre.
Talmud ; tr. Schwab ; Maisonneuve
Les injustices sont souvent issues d'une interprétation du droit habile à l'excès.
Vincent de Beauvais, Speculum malus (1254), Miroir doctrinal, ch. 66.
Sévir contre certains crimes fort rares, c'est toujours en faire naître l'idée.
Marat.
Justice extrême est extrême injustice
Terence (190–159 av JC), Héautontimroumenos (Le bourreau de soi-même), 796.
Il n'y a aucune pensée pour les condamnés. Ils ne sont que l'objet d'un exercice, un exercice de curiosité, un exercice de pouvoir.
James Mac London, Les travailleurs de la mort
L'État devient peu à peu le banquier de l'avocat.
Philippe Boucher, Le Ghetto judiciaire (1978)
Contre les principes incontestables de la loi :
“articles de foi politique, des articles consacrés, qu’il faut recevoir avec soumission, qu’il n’est plus permis d’examiner. Philosophe ! Voilà ton premier pas. Abjurer l’emploi de la raison !”
BENTHAM, Sophismes anarchiques, commentaire du Préambule.
“Ne commandez que quand vous saurez obéir”
SOLON.
“L’homme qui obéit à la violence se plie et s’abaisse ; mais quand il se soumet au droit de commander qu’il reconnaît à son semblable, il s’élève en quelque sorte au-dessus de celui même qui lui commande. Il n’est pas de grands hommes sans vertu ; sans respect des droits il n’y a pas de grand peuple : on peut presque dire qu’il n’y a pas de société ; car qu’est-ce qu’une réunion d’êtres rationnels et intelligents dont la force est le seul lien ?”
TOCQUEVILLE, De la démocratie en Amérique.
“La loi est la raison humaine en tant qu’elle gouverne tous les peuples de la terre, et les lois politiques et civiles de chaque nation ne doivent être que les cas particuliers où s’applique cette raison humaine.”
MONTESQUIEU, L’esprit des Lois.
“Si dans l’intérieur d’un État vous n’entendez le bruit d’aucun conflit, vous pouvez être sûr que la liberté n’y est pas.”
MONTESQUIEU, Considérations.
“C'est la nécessité plutôt que l'intention morale qui détermine dans chaque cas quelle est la conduite sensée à tenir. C'est pourquoi la société civile ne peut pas même aspirer à être juste purement et simplement. Toute légitimité a sa source dans l'illégitimité ; il n'est pas d'ordre social ou moral qui n'ait été établi à l'aide de moyens moralement discutables : la société civile n'est pas enracinée dans la justice mais dans l'injustice, et le fondateur du plus célèbre des empires est un fratricide."
Léo STRAUSS, Droit naturel et histoire.
“Dira-t-on qu’on ne doit obéir aux lois qu’en tant qu’elles sont justes ? On autorisera les résistances les plus insensées ou les plus coupables, l’anarchie sera partout. Dira-t-on qu’il faut obéir à la loi en tant que loi, indépendamment de son contenu et de sa source ? On se condamnera à obéir aux décrets les plus atroces et aux autorités les plus illégales. [...] L’obéissance à la loi est un devoir, mais, comme tous les devoirs, il n’est pas absolu, il est relatif ; il repose sur la supposition que la loi part d’une source légitime, et se renferme dans de justes bornes.”
Benjamin CONSTANT, Des droits individuels.
“Le voleur pourra toujours critiquer la répartition des fortunes, le traître s’attaquer à la politique étrangère de son pays, l’épouse adultère rejeter comme bourgeoise la législation familiale.”
Donnedieu de VABRES.
“Aussi longtemps qu’une loi, bien que mauvaise, ne tend pas à nous dépraver ; aussi longtemps que l’autorité n’exige de nous que des sacrifices qui ne nous rendent ni vils ni féroces, nous pouvons y souscrire. Nous ne transigeons que pour nous. Mais si la loi nous prescrivait, comme elle l’a fait souvent durant des années troubles, si elle nous prescrivait, dis-je, de fouler aux pieds et nos affections et nos devoirs ; si, sous le prétexte absurde d’un dévouement gigantesque et factice à ce qu’elle appelle tour à tour république ou monarchie, elle nous interdisait la fidélité à nos amis malheureux ; si elle nous commandait la perfidie envers nos alliés, ou même la persécution envers nos ennemis vaincus : anathème et désobéissance à la rédaction d’injustices et de crimes ainsi décorée du nom de loi !”
Benjamin CONSTANT, Des droits individuels.
“CREON : Et tu as osé transgresser cet arrêt ?
ANTIGONE : Oui, car ce n'est pas Zeus qui l'a proclamé, ni Dikè qui demeure avec les Dieux d'en bas ; ils n'ont pas fixé pareilles lois chez les hommes ; je ne croyais certes pas que tes proclamations avaient tant de pouvoir pour permettre à un simple mortel d'enfreindre les lois non écrites et inébranlables des dieux !”
SOPHOCLE.
Savoir, et ne point faire usage de ce qu'on sait, c'est pire qu'ignorer.
Alain, Propos sur l'éducation (1932)
Feindre d'ignorer ce qu'on sait, de savoir tout ce qu'on ignore, d'entendre ce qu'on ne comprend pas, de ne pas voir ce qu'on entend..., voilà toute la politique.
Pierre Augustin Caron de Beaumarchais, Le Mariage de Figaro (1784)
Savoir mal est pire qu'ignorer.
Giacomo Giovanni Girolamo Casanova, Mémoires
Nul n'est censé ignorer la joie.
Jean-Louis Fournier, Grammaire française et impertinente
L'homme ne peut agir que parce qu'il peut ignorer. Mais il ne voudrait agir qu'en connaissance de cause - funeste ambition.
Jean Grenier , Lexique
Il y a deux manières d'ignorer les choses: la première, c'est de les ignorer; la seconde, c'est de les ignorer et de croire qu'on les sait. La seconde est pire que la première.
Victor Hugo, Océan prose
Savoir ce que l'on affronte est alarmant, mais l'ignorer est terrible.
Victor Hugo, L'Homme qui rit (1869)
La loi est implacable, mais la loi est imprévisible. Nul n'est censé l'ignorer, mais nul ne peut la connaître.
Georges Perec, W. ou le Souvenir d'enfance (1975)
Nul n'est censé ignorer la Loi. Il y a plus de deux cent mille lois.
Jules Renard, Journal, 13 mai 1901
Mal savoir ne vaut pas mieux que tout ignorer...
Gustave Thibon, L'équilibre et l'harmonie (1976)
Que de choses il faut ignorer pour «agir»!
Paul Valéry, Choses tues (1930)
“Il suffit d’exagérer la morale, de la rendre impraticable, pour que beaucoup s’écrient qu’elle est sublime. On admire le disciple des stoïciens, affirmant qu’il supporterait de sang froid les pertes les plus cruelles ; on ne s’aperçoit pas que ses discours sont précisément ceux du personnage qui dit, en parlant de Tartuffe : De toute affection il détache mon âme ; Et je verrai mourir frère, enfants, mère et femme, Que je m’en soucierai autant que cela.”
Pascal, Pensées
“Toute notre dignité consiste donc en la pensée. (...) Travaillons donc à bien penser : voilà le principe de la morale.”
Pascal, Pensées
“Toute société est une société morale. Parce que l’individu ne se suffit pas, c’est de la société qu’il reçoit tout ce qui lui est nécessaire, comme c’est pour elle qu’il travaille. Ainsi se forme un sentiment très fort de l’état de dépendance où il se trouve : il s’habitue à s’estimer à sa juste valeur, c’est-à-dire à ne se regarder que comme la partie d’un tout, l’organe d’un organisme. De tels sentiments sont de nature à inspirer non seulement ces sacrifices journaliers qui assurent le développement régulier de la vie sociale quotidienne, mais encore, à l’occasion, des actes de renoncement complet et d’abnégation sans partage. De son côté, la société apprend à regarder les membres qui la composent, non plus comme des choses sur lesquelles elle a des droits, mais comme des coopérateurs dont elle ne peut se passer et vis-à-vis desquels elle a des devoirs.”
Durkheim, De la division du travail social.
"La justice n'a pas de fondement naturel ni supra humain. Toutes choses humaines sont trop changeantes pour pouvoir être soumises à des principes de justice permanents. C'est la nécessité plutôt que l'intention morale qui détermine dans chaque cas quelle est la conduite sensée à tenir. C'est pourquoi la société civile ne peut pas même aspirer à être juste purement et simplement. Toute légitimité a sa source dans l'illégitimité ; il n'est pas d'ordre social ou moral qui n'ait été établi à l'aide de moyens moralement discutables : la société civile n'est pas enracinée dans la justice mais dans l'injustice, et le fondateur du plus célèbre des empires est un fratricide."
Léo Strauss, Droit naturel et histoire
"De tout ce qu'il est possible de concevoir dans le monde, et même en général hors du monde, il n'est rien qui puisse sans restriction être tenu pour bon, si ce n'est seulement une bonne volonté."
Kant, 1è phrase de la 1è section des Fondements de la métaphysique des mœurs
Ciceron Lois, I, XV 42-43 :
Ce qui est complètement insensé, c’est de considérer comme étant « juste » tout ce qui figure dans les institutions et les lois des peuples, ou même, les lois (en admettant qu’il en soit !) portées par des tyrans. Si les Trente d’Athènes(1) avaient eu la volonté d’imposer des lois ou si leurs lois tyranniques avaient plu au peuple athénien tout entier, serait-ce une raison pour les considérer comme « justes » ? À aucun titre, je crois, - pas plus que cette loi qui porta chez nous un interroi (2) donnant à un dictateur le pouvoir de tuer nominativement et sans procès celui des citoyens qu’il voudrait. Il n’y a en effet qu’un droit unique, qui astreint la société humaine et que fonde une Loi unique : Loi, qui est la juste raison dans ce qu’elle commande et dans ce qu’elle défend. Qui ignore cette loi est injuste, qu’elle soit écrite quelque part ou non.
Mais si la justice n’est que la soumission à des lois écrites et aux institutions des peuples, et si … tout se doit mesurer à l’intérêt, celui qui pensera avoir intérêt à mépriser et violer ces lois le fera, s’il le peut. Il en résulte qu’il n’y a absolument plus de justice, si celle-ci n’est pas fondée sur la nature, et si la justice établie en vue de l’intérêt est déracinée par un autre intérêt.
(1) les Trente d’Athènes : les « Trente Tyrans », gouvernement imposé par Sparte à la suite de sa victoire sur Athènes (404 avant J.-c.).
(2) interroi : chef exerçant le pouvoir entre deux règnes. Allusion à un épisode de l’histoire romaine.
Nietzsche, Humain, trop humain, vol. 1, paragraphe 92
« La justice (équité) prend naissance entre hommes jouissant d'une puissance à peu près égale, comme l'a bien vu Thucydide (dans ce terrible dialogue des députés athéniens et méliens) ; c'est quand il n'y a pas de supériorité nettement reconnaissable, et qu'un conflit ne mènerait qu'à des pertes réciproques et sans résultat, que naît l'idée de s'entendre et de négocier sur les prétentions de chaque partie : le caractère d'échange est le caractère initial de la justice. Chacun donne satisfaction à l'autre en recevant lui-même ce dont il faut plus grand cas que l'autre. On donne à chacun ce qu'il veut avoir et qui sera désormais sien, et l'on reçoit en retour ce que l'on désire. La justice est donc échange et balance une fois posée l'existence d'un rapport de forces à peu près égales : c'est ainsi qu'à l'origine la vengeance ressortit à la sphère de la justice, elle est un échange. De même la reconnaissance. - La justice se ramène naturellement au point de vue de l'autoconservation avisée, c'est-à-dire à l'égoïsme de cette réflexion : "A quoi bon irais-je me nuire inutilement et peut-être manquer néanmoins mon but ? " - Voilà pour l'origine de la justice. Mais du fait que les hommes, conformément à leurs habitudes intellectuelles, ont oublié le but premier des actes dits de justice et d'équité, et notamment que l'on a pendant des siècles appris aux enfants à admirer et à imiter ces actes, il s'est peu à peu formé l'illusion qu'une action juste est une action désintéressée ; et c'est sur cette illusion que repose la grande valeur accordée à ces actions, valeur qui, comme toutes les autres, ne fait encore que s'accroître continuellement : car ce que l'on évalue très haut se recherche, s'imite, se multiplie à force de sacrifices, et s'augmente du fait que vient encore s'ajouter à la valeur de la chose tellement appréciée la valeur même de la peine et du zèle que lui voue chaque individu. - Que le monde paraîtrait peu moral dans cette faculté d'oubli ! Un poète pourrait dire que Dieu a posté l'oubli en sentinelle au seuil du temple de la dignité humaine. »
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