La générosité spontanée ne demande rien en échange... Voire ! N’y-a-t-il pas un intérêt poursuivi par le bénévole le plus dévoué à son lépreux ? Peut-il honnêtement assurer qu’il n’attend aucune gratification ? L’hypocrisie ou la mauvaise foi peuvent se cacher derrière celui qui prétend ne rien attendre en retour de son acte, agir pour rien en somme !

J'interviens sur France Inter, dans l'émission de Philippe Bettrand, "ça vous dérange", sur l'altruisme intéressé, le 13 août.




"Comment je me paie ?"

Même lorsque l’acte généreux n’est suivi d’aucune conséquence, son auteur a pu trouver intérêt à l’accomplir. Sinon, comment aurait-il pu désirer l’accomplir ?
Ce que l’on prend le plus souvent pour une absence de motifs n’est-il jamais qu’une ignorance de ces motifs ?

L’acte dit “gratuit” est intéressant.

Offrir, c’est miser. Payer un café, simplement, sans avant ni après, agir en pensant à l’intérêt d’un autre, c’est encore miser sur l’avantage d’être bon ; “ça revient toujours” : l’ascenseur marche, même celui qui prétend ne pas s’en soucier compte sur lui. La reconnaissance de l'autre est une bonne paie.
Il est possible que finalement il ne soit pas payé de son geste : on peut mal placer son investissement, les “bonnes poires” s’y meurtrissent, donnant tout sans rien recevoir en retour. Mais que l’on en sorte gagnant ou perdant, on espère qu’on s’en trouvera récompensé. Le don lui-même est un pari optimiste.

La morale

La morale, elle, n’est pas optimiste. Elle ne veut pas récompenser. Elle exige que l’on agisse de façon désintéressée, non plus pour soi, ni même pour une personne précise, mais pour le Bien. Agir moralement, c’est être contraint par la dette morale, imaginaire et symbolique, qui fait notre devoir envers nos parents, la société, un dieu... auxquels on doit tant, et pour lesquels on ne doit pas compter. On leur doit tant qu'on leur doit tout. Il ne s’agit que de rendre, de rembourser, de renvoyer l’ascenseur. Tout devoir est une dette.

La générosité spontanée

On se sent porté à agir au bénéfice d’autrui sans y trouver d’intérêt, mais seulement parce qu’on s’y sent poussé naturellement. Ce n’est ni l’intérêt, ni la morale qui parlent alors. C’est beaucoup plus ‘’naturel’’ que cela. Un enfant tend spontanément son jouet à un inconnu. Un processus indépendant de notre volonté pousse à agir “gratuitement” : nous ne sentons pas que notre volonté s’y mêle. Cela vient ‘’tout seul’’, et cela ne nous sert a priori à rien. Spontané, l’acte paraît né de rien et nullement déterminé.
On pense alors au mythe de la nature qui pourvoie : la vie semble surgir de rien ; de même pour cet acte ‘’gratuit’’, se passant de rationalité. Il reste gratuit tant que la raison ne s'en mêle pas. La gratuité apparente de la vie même s’évanouit au réveil de la froide raison. Car rien ne prouve que la Bonne Action du scout, aussi spontanée soit-elle, n'a pas pour seul motif de satisfaire son ‘’ego’’.
Le désir est essentiel, au point qu’il se passe de raison : on peut cesser de raisonner, pas de désirer. Et ce désir tend vers l’autre. Il est tout simplement bon de faire plaisir, ne serait-ce que parce qu’alors on se considère soi-même avantageusement. Agir pour le plaisir, c’est encore savourer le prix de ce plaisir. Aussi naïf soit-il, le bienfaiteur est un sage qui a compris son intérêt.

L’acte gratuit est gratifiant, on n’agit jamais que parce qu’un bien nous semble accessible : un acte désintéressé est intéressant.

François Housset
www.philovive.fr





“Il n’est pas seulement plus noble, mais aussi plus doux de faire du bien que d’en recevoir, car rien n’est aussi fertile en joie que la bienfaisance.”
Plutarque, Il faut philosopher avec des principes. III, fragment 544 de l’ed° Usener

“Si l’on a fait quelque chose qu’on imagine affecter les autres de joie, on sera affecté d’une joie qu’accompagnera l’idée de soi-même comme cause, autrement dit on se considérera soi-même avec joie. Si, au contraire, on a fait quelque chose qu’on imagine affecter les autres de tristesse, on se considérera soi-même avec tristesse.”
Spinoza, L’Éthique, III,30

“Ceux d’entre les hommes à qui l’on fait du mal deviennent nécessairement pires.”
Platon. La République 331d-334b

“Vous avez pitié d’un aveugle ; et qu’est-ce qu’un méchant, sinon un aveugle qui a la vue courte, et qui ne voit pas au-delà du moment où il agit ?”
Diderot, Encyclopédie, “Vice”

“La vertu est à poursuivre pour elle-même, et il n’est rien qui soit plus enviable qu’elle, ou plus utile, pour nous, et en vue de quoi elle devrait être poursuivie.”
Spinoza, Éthique IV, 18.

“Le moi triomphe. N’y résistent ni les partis, ni les syndicats, ni les associations, ni les formes les plus variées de vie collective. Les seules solidarités qui subsistent relèvent du bon vieux corporatisme, cette forme exacerbée de militantisme davantage destinée à assister l’individu qu’à exprimer une solidarité sans arrière-pensées.”
Alain Minc. L’argent fou.

“... On obéit toujours à son intérêt”
Helvétius De l’esprit I, 4 et II, 3

"Quand on est jeune, on gaspille beaucoup de notes."
Dizzy Gillespie.








L'acte gratuit de Gianni Motti

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