Toute autorité peut vivre un jour ce cauchemar : voilà que chacun discute avec son voisin et fait fi des consignes, oubliant (?) la personne qui justement leur donne des consignes, debout devant tous, comme inutile, s'acharnant en vain à cadrer le groupe ! Plus fort : non seulement ils ignorent superbement ses injonctions, mais ils en revendiquent le droit ! Alors l'autorité fait face à des haussements d'épaules : on lui fait sentir qu'elle abuserait en insistant. Alors l'autorité peut s'effondrer.

"Je ne me sens pas respecté : je vous parle, vous n'entendez rien, vous n'écoutez pas, comme si je n'existais plus !"

"Pas grave", prétend-on : ça n'est pas du mépris, non, non, on est libre, on a bien le droit de causer un peu n'est-ce pas ? Que le chef s'en trouve humilié, c'est son problème, moi j'ai juste un truc à dire à...

Voilà que l'autorité tape du pied, trépigne, interpelle une personne - qui se rebiffe : eh quoi, faut pas me dire de me taire, faut pas me traiter comme un gosse, c'est bon !

C'est bon !?

Kevin, trois ans, trouve opportun de se mettre debout sur la table "pour faire l'hélicoptère". Incidemment, il piétine l'ouvrage en pâte à modeler de Charlotte -et ses petites mains aussi. "Mais bon", faut pas lui en vouloir : il n'est pas méchant, il aime juste faire l'hélicoptère, on va pas l'engueuler, ça va bien comme ça...

Vraiment, ça va bien comme ça ?

Baptiste, dix-sept ans, discute tranquillement (quoiqu'à pleine voix) quand un éduc' vient du bout de la salle pour le déranger en lui reprochant de parler : un comble ! Il se défend devant cet homme qui se montre bêtement excédé : "eh ! faut pas vous énerver ! " L'éduc refuse le pseudo argument : "c'est VOUS qui m'énervez !" Ce VOUS fait l'effet d'une provocation : le jeune se lève et le toise : "venez, on va s'expliquer dehors, on va voir si vous êtes un homme !"
Une heure plus tard, réalisant qu'il est quasi viré, le jeune revient vers l'éduc pour lui dire sa perplexité : "Il paraît que vous vous êtes pas senti bien tout à l'heure ? Eh ! Moi je voulais pas vous embêter en fait, je vous aime bien : vous êtes rigolot je trouve -faut vous calmer, j'ai rien fait ! C'est bon là, ça va !"

Il s'appelle Alphonse, cinquante ans, il klaxonne comme un sourd, c'est pas sa faute : ça n'avance pas ! Enfin le voilà devant le feu... qui passe encore au rouge ! "Tant pis, je passe ! "
Le voilà coincé au beau milieu du carrefour, et bloquant les routes qui convergent vers lui. C'était prévisible. Un officier de police toque à sa vitre. Alors Alphonse pique une crise : "Eh vous savez depuis combien de temps je suis bloqué là moi ? J'en ai plus que marre moi ! Et vous savez combien ça me coûte pour rouler à deux à l'heure, hein ?" Autant de causes évoquées comme des ''raisons'', présentées comme si elles pouvaient justifier l'inconséquence de cet automobilisme, fou de rage, qui empêche la circulation des autres. Mais faut le comprendre, il est innocent... D'autres automobilistes se mettent à insulter le policier qui dresse procès verbal : c'est la faute au pont qui est fermé, faut pas faire payer les pauvres gens ! On peut bien griller un feu parfois... Le policier tremble sous les regards furieux des automobilistes qui veulent le lyncher (ça ne résoudrait rien, mais ça les soulagerait). Va-t-il craquer ? Lacher l'affaire ? Commettre un abus de pouvoir ?

Pas grave, on vous dit !

Non, non, et non, ça ne va pas.
Dans ces situations (toutes vécues), l'enjeu est le même, énorme : l'autorité oubliée, on prétend qu'il faut laisser faire. Que "c'est bien". Même si c'est douloureux au point de paraître intolérable : faut être cool, laisser faire. On réclame l'inacceptable : la transgression des règles du respect minimum au nom d'un étrange "droit" à faire fi de l'intérêt général."Droit" prétendu, droit au mépris, confondu avec l'intérêt singulier que toute personne aurait, à satisfaire son caprice plutôt que se plier aux consignes données à tout le groupe.

Arrêtons de dire que ça n'est pas grave. C'est gravissîme. Combien de personnes en pleurent, perdent le sommeil et l'appêtit, se mettent en arrêt maladie, démissionnent, sont internées, se suicident ? Bafouer l'autorité, c'est violent.

Se retrouver nié devant tous n'a rien d'anodin. L'heure est donc grave : l'autorité, niée, est en péril (et le groupe qu'elle cadre est aussi en péril) : elle doit illico se montrer impérieuse devant le groupe, sinon c'en est fini d'elle comme de lui.

Moment périlleux : des éducateurs, des chefs d'orchestre, des meneurs politiques, des patrons, peuvent se faire lyncher à l'occasion ; des communautés s'en trouvent décapitées, le "chef" n'étant souvent que celui qui permet au groupe d'exister.

Que faire ?


Question philosophique par excellence.
Se rappeler qu'on est condamné à rester intelligent, d'autant plus quand la situation est périlleuse. D'abord rester logique malgré la violence subie : ne pas se laisser abuser par les inversions des gêneurs, qui réclament QU'ON RESPECTE LEUR MEPRIS. Ils sont les auteurs de nuisances qu'il faut interdire -qui SONT interdites- et ils doivent être reconnus comme tels.
Il ne faut pas les mépriser pour autant : l'abus de pouvoir caractérisé consisterait à les maltraiter sous prétexte qu'ils sont nuisibles. N'oublions pas que la plupart du temps ils ne sont pas animés de la moindre intention de nuire : nul n'est méchant volontairement. Ils ont "juste" le sentiment qu'ils "doivent" se soucier de leur ego avant tout, ce peut être une question de survie pour eux, ils ont "juste" satisfait leurs désirs (qu'ils peuvent nommer "besoins") en dépit du groupe. Ils revendiquent "juste" le droit d'exister et disent "je" en oubliant qu'ils sont des êtres-en-relation. Ils sont prêts à se révolter si l'autorité parait les nier -quand bien même ils ont superbement ignoré les lois de la communauté.
Exister, il est vrai, implique de déranger quelque peu. C'est ce "quelque", ce "peu", qui pose problème, quand il devient exaspérant.

Comment s'en tirer ?

PROPOSITION D'UNE SOLUTION

L'autorité doit se présenter comme telle, sans abus ni laisser-aller.
Elle ne doit pas accepter les comportements QUI LA NIENT. En son nom et au nom du bien commun, elle doit s'affirmer avec la plus évidente fermeté (et sans brutalité). C'est quand les règles sont oubliées (prétendument) qu'il faut les rappeler. Et sanctionner si les contrevenants se prétendent au-dessus des lois.
Intervenant en tant que formateur auprès de diverses autorités (travailleurs sociaux, soignants, enseignants, policiers, patrons et syndicats...), j'ai vu mille fois resurgir ce problème de pouvoir nié au nom de prétendus droits à "se lâcher". Chaque autorité cherche la juste mesure entre le laisser-faire et l'abus de pouvoir, deux fautes graves à éviter absolument. Le permissif et la maltraitance vont souvent de pair, tous deux montrent la faillite de l'autorité !
Voici une méthode éprouvée, qui a permis à des autorités en crise de faire les rappels à l'ordre nécessaires. Elle ne prétend pas être la seule bonne : il y en a une infinité (vous en connaissez d'autres ? bonne nouvelle ! merci de nous les dévoiler au bas de cette page : heureux qui communique).
Trois petits pas pour nous, un grand pas pour la concorde respectueuse ! Il y a trois marches à gravir pour continuer à être ensemble... si et seulement si on continue ! Trois conditions sine qua non.

1

Tout d'abord, la personne qui gêne doit le reconnaître. Il faut donc qu'elle dise clairement à ceux qui en ont souffert qu'elle sait que son comportement était inadéquat, gênant, nuisible... même si (bien évidemment) elle n'avait pas pour but de leur nuire.

2

La seconde étape est impliquée par la première : après la reconnaissance des faits doivent venir les excuses.

"Est-ce que vous pouvez être désolé ?"

Fini le déni, celui qui reconnaît être en tort s'excuse : ça se fait ! Et l'inversion ne doit plus être possible : ne pas dire "c'est la faute à... c'était rien, c'était pas grave, faut pas me le reprocher..." mais se reconnaître auteur, responsable, fautif, et, donc, désolé.

3

Troisième étape, aussi nécessaire que les deux précédentes : assurer que tout sera fait désormais pour éviter que pareille situation ne se reproduise. Tout homme doté de facultés rationnelles et morales est assez prévisible pour pouvoir promettre -non pas mentir en jurant que cela n'arrivera plus jamais, mais au moins affirmer que, dans la mesure du possible, il s'efforcera de l'éviter.

Dans diverses situations, cette méthode m'a permis de serrer la main à des personnes que j'avais pourtant considérées comme nuisibles, voire ennemies. A chaque fois j'ai été ravi de voir le groupe se retrouver dans un respect mutuel.
J'espère que cette démarche vous sera profitable à vous aussi et que, montant ces trois marches, vous trouverez la joie de maintenir et consolider vos cadres !


Ami-calmant.




François Housset

www.philovive.fr















Citations



“L’homme qui obéit à la violence se plie et s’abaisse ; mais quand il se soumet au droit de commander qu’il reconnaît son semblable, il s’élève en quelque sorte au-dessus de celui même qui le commande. Il n’est pas de grands hommes sans vertu ; sans respect des droits il n’y a pas de grand peuple : on peut presque dire qu’il n’y a pas de société ; car qu’est-ce qu’une réunion d’être rationnels et intelligents dont la force est le seul lien ?”
Tocqueville. De la démocratie en Amérique

"La liberté est le droit de faire tout ce que les lois permettent ; et si un citoyen pouvait faire ce qu'elles défendent, il n'y aurait plus de liberté, parce que les autres auraient tout de même ce pouvoir."
Montesquieu, Esprit des Lois XI chap VI

“J'accuse toute violence en l'éducation d'une âme tendre, qu'on dresse pour l'honneur et la liberté. Il y a je ne sais quoi de servile en la rigueur et en la contrainte et tiens que ce qui ne se peut faire par la raison, et la prudence et adresse, ne se fait jamais par la force.”
MONTAIGNE , Essais, 1, 20, 11, 8.

“Là où des hommes sont sous la dépendance et à la merci d’autres hommes, là où les volontés ne coopèrent pas librement à l’œuvre sociale, là où l’individu est soumis à la loi de l’ensemble par la force et par l’habitude, et non point par la seule raison, l’humanité est basse et mutilée.”
Jaurès. Le socialisme et la vie. 7 septembre 1901

“S’il fallait tolérer aux autres ce qu’on se tolère à soi-même, la vie ne serait plus tenable.”
Georges COURTELINE

“La tolérance, il y a des maisons pour ça.”
CLAUDEL

“La tolérance est la vertu du faible.”
SADE. La Nouvelle Justine

“Ne commandez que quand vous saurez obéir”
SOLON.

“Il est juste que ce qui est juste soit suivi, il est nécessaire que ce qui est le plus fort soit suivi. La justice sans la force est impuissante ; la force sans la justice est tyrannique... Il faut donc mettre ensemble la justice et la force ; et pour cela faire que ce qui est juste soit fort, ou que ce qui est fort soit juste... ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on a fait que ce qui est fort fût juste.”
PASCAL, Pensées 298

“La force est une puissance physique; je ne vois point quelle moralité peut résulter de ses effets. Céder à la force est un acte de nécessité, non de volonté; c’est tout au plus un acte de prudence. (...) Or qu’est-ce qu’un droit qui périt quand la force cesse? S’il faut obéir par force on n’a pas besoin d’obéir par devoir (...) Convenons donc que force ne fait pas droit, et qu’on n’est obligé d’obéir qu’aux puissances légitimes.”
ROUSSEAU. Contrat social. I, 3

“Puisqu’aucun homme n’a une autorité naturelle sur son semblable, et puisque la force ne produit aucun droit, restent donc les conventions pour base de toute autorité légitime parmi les hommes.”
Rousseau, Contrat Social, I, chap IV

“Nous haïssons violemment ceux que nous avons le plus offensés.”
LA BRUYÈRE, Caractères.

"De tout ce qu'il est possible de concevoir dans le monde, et même en général hors du monde, il n'est rien qui puisse sans restriction être tenu pour bon, si ce n'est seulement une bonne volonté."
Kant, 1è phrase des Fondements de la métaphysique des mœurs













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