Heureux qui communique ! (Café Philo, médiathèque de Montrouge, samedi 19 avril 2008)
Par François HOUSSET | Les Textes #115 | commenter | |
Chacun reçoit et envoie des informations : par quel miracle ? Grâce à nous ou malgré nous ? Savons-nous communiquer ? Qu’est-ce que la communication ? Une manipulation de l’information ? Bien communiquer, ça veut dire quoi ? A-t-on perdu l’art de converser ? Si nous sommes malheureux de ne pas pouvoir mieux communiquer, le bonheur passe-t-il par l’acquisition du sens du langage ?
Café Philo à la médiathèque de Montrouge, samedi 19 avril 2008
DR
Concevoir la communication comme une simple transmission de données, c’est regarder les personnes comme des vases communicants, se faisant passer des messages sur le mode de la con-versation. Qui communique est un agent de liaison, pas nécessairement conscient de ce qu’il transmet : on peut répéter sans comprendre.
L’information circule, “ça” passe, mais “on” ne communique pas délibérément pour autant. Comme une plaque chauffante qui transmet sa chaleur à une casserole sans pouvoir faire autrement, “l’informateur” et “l’informé” ne sont souvent que les réceptacles de signes envoyés et reçus sans volonté. Un participant vient nous communiquer sa grippe: le microbe va passer comme les informations, d’une personne à une autre, sans que notre volonté y soit pour rien. Et certains ne reçoivent rien. Parce qu’ils ont de mauvais transmetteurs. On se souvient de la phrase de Claude Bernard: “le microbe n’est rien, le terrain est tout”. Nous voilà comme de simple caisses de résonance, pouvant plus ou moins bien recevoir, intégrer et répercuter. Voilà le rapport humain devenu automatique, donc inhumain. Quand on nous tend la main, on est tenté de tendre automatiquement la notre : il est difficile de s’empêcher de communiquer machinalement.
COMMUNiquer
Communiquer, ce n’est pas seulement envoyer et recevoir comme une machine pourrait le faire : la personne est dans le coup. Communiquer est un acte jouissif s’il est accompli en conscience : le communicant est heureux dès qu’il y a contact, comme tout humain. Car communiquer est humain. Qu'est-ce à dire ? Un humain est un être-en-relation : il trouve le bonheur dans la communication. Supprimez la relation, vous supprimez l’humain. Jetez une bouteille à la mer : si quelqu’un trouve votre message et le lit, vous éprouverez une véritable joie. À cette joie vous pouvez mesurer l’importance d’une “véritable” communication.
Trouver des échos à nos idées nous conforte et nous rassure. Il faut concevoir la communication comme une rencontre de consciences, sur un terrain commun (la langue, le lieu, le sens des gestes, des valeurs...). On ne peut communiquer que si l’on si l’on connaît d’avance les signaux auxquels s’attendre. Chiens et chats ne s’entendent pas ordinairement, parce qu’ils ont des codes différents de signaux de queue et d’oreille : le chat lève la queue quand il est irrité, alors que le chien la baisserait plutôt... les chiens et chats qui s’entendent sont ceux qui, parce qu’ils ont été élevés ensemble, sont "bilingues", chacun comprenant et le langage chat et le langage chien. Nous n’en sommes plus aux simples mécanismes, mais à l’appréhension des repères de l’autre, et au positionnement adéquat, permettant la transmission délibérée. Une véritable compréhension de l’autre est possible, puisqu’en l’écoutant nous pouvons nous mettre à sa place (dans une certaine mesure), sentir avec lui ce qu’il nous fait partager, se sentir avec lui, comme lui, malgré que nous soyons différents :
il est autre mais sa parole résonne en moi.
Difficile de communiquer quand nous sommes identiques : il faut une altérité, le récepteur de l’information doit être “assez autre” pour qu’une rencontre nous enrichisse. Il faut entrer dans le monde des autres, sans pour autant sortir de soi-même. Une conscience peut heureusement entrer dans une autre sans lui appartenir : s’il y a communication, c’est donc qu’il y a quelque chose qui est déjà commun entre les communicants. Une vraie communication s’apparente à une communion. Tous s'accordent sur la même "fréquence d'onde" sans que les consciences se confondent : chacune reste particulière ; écouter, c’est se situer en tant que sujet face à un interlocuteur.
Une bonne communication fait découvrir quelque chose, s’ouvrir à l’autre. La joie vient de ce que l’on connaît l’autre et que l’on partage avec lui quelque chose de nouveau. La finesse de nos compréhensions mutuelles dépend de nos qualités d’écoute et d’expression. Une communication est bonne quand elle éclaire : si l’Autre accepte l’éclairage que je lui propose, et s’il comprend mieux grâce à moi, il y a plaisir d’être ensemble, bonheur même. Communiquer, c’est reconnaître (se reconnaître soi-même et l’autre en tant qu’autre), donc saisir une permanence, une persistance du moi : pour reconnaître, il faut avoir connu... et s’en souvenir. Il faut aussi reconnaître en l’autre une valeur morale, sinon la parole de l’autre paraît intolérable : l’écouter revient à ne plus se respecter, ou à ne pas le respecter lui-même.
Qui dit communication dit reconnaissance, confiance, respect : tout communiquant est, de fait, responsable de son écoute, et presque responsable de l’interlocuteur lui-même (si nous n’écoutons pas sa détresse, par exemple, nous devenons responsable de la détérioration de son état). Tout être communiquant se sent écouté quand il se sent reconnu: la mauvaise communication détermine une mauvaise conscience.
Heureux qui communique. Consciemment. Consciencieusement.
François Housset
www.philovive.fr
DR
COMMUNICATIONS
“...Cela fait partie de mon bonheur de donner mes soins à ce que beaucoup d’autres comprennent comme moi, de sorte que leur entendement et leurs désirs s’accordent avec mon entendement et mes désirs.”
Spinoza. Traité de la réforme de l’entendement. §14
“Si l’on a fait quelque chose qu’on imagine affecter les autres de joie, on sera affecté d’une joie qu’accompagnera l’idée de soi-même comme cause, autrement dit on se considérera soi-même avec joie. Si, au contraire, on a fait quelque chose qu’on imagine affecter les autres de tristesse, on se considérera soi-même avec tristesse.”
Spinoza, L’Éthique, III,30
“La plupart attrapent une opinion comme on attrape la rougeole, par contagion.”
Jules Payot, La faillite de l’enseignement.
«Un seul petit mot montre le lien étroit entre le don et la liberté. C’est le mot merci; comme le dit Chesterton, si l’homme n’était pas libre, il ne pourrait pas dire Merci pour la moutarde.»
Fulton Sheen, Le premier amour du monde
“C’qui est curieux c’est c’qu’est exprimé par une phrase comme ça: la motte de beurre est une tuile, ça appartient au nonnête et pourtant ça est dans une certaine mesure, puisqu’on peut l’exprimer.”
Queneau. Saturnin philosophe.
“Avec des mots un homme peut rendre son semblable heureux ou le pousser au désespoir, et c’est à l’aide de mots que le maître transmet son savoir à ses élèves, qu’un orateur entraîne ses auditeurs et détermine leurs jugements et décisions. Les mots provoquent des émotions et constituent pour les hommes le moyen général de s’influencer réciproquement.”
Freud. Introduction à la psychanalyse
“Un type qui veut observer une minute de silence doit le dire avant sinon on croit qu'il se tait. “
Geluck
Les hommes aussi secrètent de l’inhumain. Dans certaines heures de lucidité, l’aspect mécanique de leurs gestes, leur pantomime privée de sens rend stupide tout ce qui les entoure. Un homme parle au téléphone derrière une cloison vitrée; on ne l’entend pas, mais on voit sa mimique sans portée: on se demande pourquoi il vit.
Camus. Le Mythe de Sisyphe
C’est plus compliqué et plus pénible que la défécation notre effort mécanique de la conversation.
Céline. Voyage au bout de la nuit
DR
Liens vers les textes de ce site :
- Qu'est-ce qu'un étranger ?
- Je t'aime : est-ce que cela te regarde ?
- Permettre à l'Autre d'être là
- "Je" est un autre
- Suis-je le mieux placé pour savoir qui je suis ?
- Un seul peut-il avoir raison contre tous ?
- La meilleure des machines ne vaut pas une poitrine
- Le silence
- La responsabilité
- Du soignant au soi-niant : identité et altérité
- Science sans conscience n'est que ruine de l'âme
Lien externe :
Exemple de bonne communication
Ci-dessous, une lettre authentique envoyée par une dame de 86 ans à une banque . Le Directeur l'a trouvée suffisamment amusante pour la faire paraître dans le New York Times !
Cher Monsieur,
Je vous écris pour vous remercier d'avoir refusé le chèque qui m'aurait
permis de payer le plombier le mois dernier.
Selon mes calculs, trois nanosecondes se sont écoulées entre la
présentation du chèque et l'arrivée sur mon compte des fonds
nécessaires à son paiement.
Je fais référence, évidemment, au dépôt mensuel automatique de ma pension, une procédure qui, je dois l'admettre, n'a cours que depuis huit ans. Il faut d'ailleurs vous féliciter d'avoir saisi cette fugace occasion et débité mon compte des 30$ de frais pour le désagrément causé à votre banque. Ma gratitude est d'autant plus grande que cet incident m'a incité à revoir la gestion de mes finances.
J'ai remarqué qu'alors que je réponds personnellement à vos appels
téléphoniques et vos lettres, je suis en retour confrontée à l'entité
impersonnelle, exigeante, programmée, qu'est devenue votre banque.
A partir d'aujourd'hui, je décide de ne négocier qu'avec une personne
de chair et d'os.
Les mensualités du prêt hypothécaire ne seront dorénavant plus automatiques mais arriveront à votre banque par chèques adressés personnellement et confidentiellement à un(e) employé(e) de votre banque que je devrai donc sélectionner.
Soyez averti que toute autre personne ouvrant un tel pli consiste en
une infraction au règlement postal.
Vous trouverez ci-joint un formulaire de candidature que je demanderai à l'employé(e) désigné(e) de remplir. Il comporte huit pages, j'en suis désolée, mais pour que j'en sache autant sur cet employé(e) que votre banque en sait sur moi, il n'y a pas d'alternative. Veuillez noter que toutes les pages de son dossier médical doivent être contresignées par un notaire, et que les détails obligatoires sur sa situation financière (revenus, dettes, capitaux, obligations) doivent s'accompagner des documents concernés.
Ensuite, à MA convenance, je fournirai à votre employé(e) un code PIN
qu'il/elle devra révéler à chaque rendez- vous. Il est regrettable que ce code ne puisse comporter moins de 28 chiffres mais, encore une fois,
j'ai pris exemple sur le nombre de touches que je dois presser pour
avoir accès aux services téléphoniques de votre banque.
Comme on dit : l'imitation est une flatterie des plus sincères .
Laissez-moi développer cette procédure.
Lorsque vous me téléphonez, pressez les touches comme suit :
Immédiatement après avoir composé le numéro, veuillez presser l'étoile (*) pour sélectionner votre langue .
Ensuite le 1 pour prendre rendez-vous avec moi
Le 2 pour toute question concernant un retard de paiement.
Le 3 pour transférer l'appel au salon au cas où j'y serais.
Le 4 pour transférer l'appel à la chambre à coucher au cas où je
dormirais .
Le 5 pour transférer l'appel aux toilettes au cas où je coulerais
un bronze .
Le 6 pour transférer l'appel à mon GSM si je ne suis pas à la maison.
Le 7 pour laisser un message sur mon PC. Un mot de passe est nécessaire.
Ce mot de passe sera communiqué à une date ultérieure à la personne de
contact autorisée mentionnée plus tôt.
Le 8 pour retourner au menu principal et écouter à nouveau les options de
1 à 7 .
Le 9 pour toute question ou plainte d'aspect général. Le contact
sera alors mis en attente, au bon soin de mon répondeur automatique.
Le 10, à nouveau pour sélectionner la langue.
Ceci peut augmenter l'attente mais une musique inspirante sera jouée
durant ce laps de temps. Malheureusement, mais toujours suivant votre
exemple, je devrai infliger le prélèvement de frais pour couvrir
l'installation du matériel utile à ce nouvel arrangement..
Puis-je néanmoins vous souhaiter une heureuse, bien que très légèrement moins prospère,nouvelle année ?
Respectueusement,
Votre humble cliente.
Commentaires
Aucun commentaire pour le moment.
Ajouter un commentaire