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Le silence

“Je ne sais pas ce que je pense tant que je n’entends pas ce que je dis” : c'est dans le silence parfait que la parole s'entend. Mais le silence existe-t-il ?
Luxe rêvé dans le brouhaha, le vrai silence (zéro décibel) est inabordable : vous ne l’entendrez jamais. Vous percevrez toujours un son, ne serait-ce que votre cœur, et le "silence intérieur" est illusoire quand un flot de paroles coule constamment en vous !

Willem. Charlie Hebdo N°784

ça vous dérange pas tous ces bruits dans ma tête ?

Faire le vide : beau projet, mais très ambitieux.
Technique pour accéder au silence intérieur, le zazen consiste à rester très longuement assis en tailleur, parfaitement immobile, jusqu’à ce que vos muscles hurlent de douleur : alors le monde extérieur se tait, vous atteignez le vide, si enfin vous parvenez à ne plus penser (notamment à votre douleur !).
Il faut une force opiniâtre pour faire le vide en soi, être prêt à payer le prix de cette étrange sérénité. Pourquoi de tels efforts amenant à se déconnecter des bruits du monde, et même des siens ? Peut-être pour mieux emplir le silence ensuite. Un moi s’isole pour faire le point et seulement le temps de faire le point, il ne s'agit pas de se replier à jamais dans son narcissisme ou dans son ressentiment : le sage qui fait silence se prépare à parler.
Le silence ne nie pas la parole, il en fait partie.
Oui le silence existe, mais pas seul : il est noté dans la partition, fait partie de la musique. Il n’est pas l’absence de message, il est sa respiration. Les messages sont truffés de silences qu’on n’entend pas mais qui permettent de dire quelque chose.


“le silence dans la tête, et le bruit au-dehors”

Le silence est inquiétant si la parole n’est plus possible : elle a été étouffée par ce vide. Garder le silence, c’est se bâillonner. Ne pas parler oblige à supporter les non-dits. Car ne rien dire signifie encore quelque chose.
De quel silence se satisfaire ? Pas du mutisme, responsable de la non-communication, où l’on se tait pour ne pas parler à des sourds ; ni du silence de l’autiste, qui est une coupure, une impossibilité d’exprimer et d’entendre plongeant une conscience dans le désert de la non-vie ; mais un silence qui ouvre sur le monde en attendant ses bruits. Un silence n’a jamais coupé une parole, mieux, le silence est l’espace de parole : le psychologue se tait pour qu’émerge la parole.
Au début était le silence. Le bruit a un début et une fin ; le silence non, il est seulement interrompu mais reviendra nécessairement : il est éternel.

“c’est pas bientôt fini ce silence ?”

On entendait les cris des enfants, quand soudain... plus rien : l’angoisse du vide nous fait préférer la cacophonie, et nous optons pour la boulimie de bruits, qui remplissent rapidement notre vie.
Le silence est assimilé au vide, à la mort : la nature a horreur du vide. Chaque vanité veut manifester ostensiblement sa présence, emplir les espaces, s’imposer, fumer, boire, enchaîner les salamalecs, mâcher du schwing gum : se donner une contenance, à défaut d’en avoir une... le bavard parle jusqu’à ce qu’il ait quelque chose à dire. Nous sommes tenus à un devoir de bruit, de “parole” qui interdit le silence : n’importe quoi plutôt que rien !
Dans notre civilisation du bruit, du vacarme, le silence est angoisse, fin de tout. On est né dans le bruit, et le bruit rappelle qu’on existe, qu’il y a communication, et vie.
Heureux qui communique.

François Housset

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Une image du film espagnol de Pere Portabella, "Le Silence avant Bach" ("Die Stille vor Bach").







Ils ont rompu le silence...

Les hommes aussi sécrètent de l’inhumain. Dans certaines heures de lucidité, l’aspect mécanique de leurs gestes, leur pantomime privée de sens rend stupide tout ce qui les entoure. Un homme parle au téléphone derrière une cloison vitrée ; on ne l’entend pas, mais on voit sa mimique sans portée : on se demande pourquoi il vit.
Camus. Le Mythe de Sisyphe

“Sur le trottoir on le bousculait ; il pensa encore : “je ne me fâcherai pas. Je suis semblable au père d’un enfant malade, qui marche dans la foule à petits pas. Il porte en lui le grand silence de sa maison.” Il leva les yeux sur les hommes. Il cherchait à reconnaître ceux d’entre eux qui promenaient à petits pas leur invention ou leur amour, et il songeait à l’isolement des gardiens de phares.”
Antoine de Saint-Exupéry, Vol de nuit

Et le mécontent même apprend à se taire, parce qu'il y a d'autres mécontents, qui sont paresseux, envieux, ivrognes, débauchés, avec qui l'on ne veut point être.
Alain, 337 (Pléiade II) , 30 septembre1922

“Un type qui veut observer une minute de silence doit le dire avant sinon on croit qu'il se tait. “
Geluck

Notre corps est à la fois notre centre de références expérimentées et notre centre de sécurité mémorisée et imaginée, hors de toute expérimentation, je veux dire dans le silence, la solitude, l'immobilité, le sommeil. C'est dans notre corps qu'individus dits adaptés à notre civilisation, nous focalisons l'existence de notre personne et c'est aux limites cutanées de notre corps appréciables par le toucher que commence le monde extérieur. Mais dans ce corps, des sens localisés à notre tête —la vision, l'audition et l'olfaction liée à la respiration— nous apportent à distance le témoignage ainsi que les perceptions du monde des autres individus, inanimés ou animés, circonscrits par le volume, les aspects de leur surface, de leur corps vivant qui les présentifie dans le temps et dans l'espace. Ces volumes, fixes ou mobiles, fluides ou solides, sont pour nous choses ou vivantes, éléments (air, eau, terre, feu) ou végétaux, animaux, humains. Notre corps est à la fois pour notre expérience lieu de référence et, hors de toute expérience, dans le repos, centre de notre sécurité, lieu de repli, de mémorisation et d'imagination dans la solitude, le silence, que nous soyons endormis ou à l'état de veille. C'est en leur corps que les êtres dits « adaptés » focalisent l'existence de leur personne, que ce corps soit ou non dit « handicapé ».
DOLTO, Le sentiment de soi

“Dans toute carrière, une fois qu’on a construit son personnage et que le bruit qu’il fait revient à son auteur et lui enseigne qui il est, celui-ci joue son personnage ou plutôt son personnage le joue et ne le lâche plus.”
Valéry, Tel quel.

"J’ai la conviction que les gens sont comme des valises : remplies de choses diverses, elles sont expédiées, lancées, bousculées, flanquées à terre, perdues et retrouvées, jusqu’à ce qu’enfin l’Ultime Porteur les jette dans l’Ultime Train, et qu’elles roulent au loin dans un bruit de ferraille."
Katherine Mansfield, Félicité

Il n’y a de terrible en nous et sur la terre et dans le ciel peut-être que ce qui n’a pas encore été dit. On ne sera tranquile que lorsque tout aura été dit, une bonne fois pour toutes, alors enfin on fera silence et on aura plus peur de se taire.
Céline. Voyage au bout de la nuit









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Le silence du désert



Commentaires

"Silence!Silence!
Comme un vent silencieux danse invisiblement sur les scintillantes paillettes de la mer, léger, léger comme une plume : ainsi le sommeil danse sur moi.
Il ne me ferme pas les yeux, il laisse mon âme en éveil.
Il est léger, en vérité, léger comme une plume."
Friedrich Nietzsche

Selon Korzybski, face à un évènement, il faut compter trois étapes silencieuses avant que nous puissions y mettre des mots : 1 production de l’évènement, 2 Impact sur nos sens, 3 réaction “organismale” (pensées, sentiments), 4 réaction linguistique à 3.
“Considérons le comportement de notre système nerveux lorsque nous “percevons” quelque chose (...). Laissons tomber, par exemple, une boite d’allumettes. Il s’agit ici d’un évènement d’ordre premier qui se produit à des niveaux non-verbaux, ou ce que l’on appelle les niveaux “silencieux” ou “indicibles”. La lumière réfléchie frappe l’œil et nous obtenons dans le cerveau des sortes de configurations électro-colloïdales ; ensuite, puisque nous sommes des organismes sensibles, nous pouvons réagir à ces configurations par des sortes de “sentiments”, des évaluations, ets., aux niveaux “silencieux”. Finalement, aux niveaux verbaux, nous pouvons parler à propos de ces réactions “organismales”. Newton, par exemple, aurait pu dire sur la chute de la boite d’allumettes : “gravitation”. Einstein pouvait dire : “courbure de l’espace-temps”. Mais quoi que nous puissions dire à ce sujet, l’évènement d’ordre premier reste aux niveaux silencieux...
Quoi que nous puissions dire que quelque chose “est”, il tombe sous le sens que ce n’est pas le “quelque chose” des niveaux silencieux. En effet, comme l’a écrit Wittgenstein : “ce qui peut être montré ne peut pas être dit.” Par expérience, j’ai découvert qu’il estt pratiquement impossible de communiquer la différentitation entre les niveaux silencieux et les niveaux verbaux qu’en priant l’auditeur ou le lecteur de se pincer avec une main, un doigt de l’autre main. C’est alors qu’il réalise d’une manière “organismale” que les expériences psycho-logiques directes d’ordre premier ne sont pas verbales.”
Alfred Korzybski, Le rôle du langage dans les processus perceptuels.

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