Lart est-il essentiel ?
Par Franois HOUSSET | Les Textes #117 | 14 commentaires | |
De l’art ? Pour quoi faire ? Cela ne se mange pas, d’autres tres vivants semblent trs bien s’en passer : qu’y-a-t-il d’essentiel dans l’art ?
Le problme de l’art est sa fonction. Exprimer la beaut ? Une telle notion n’a pas de valeur objective (il y a des horreurs artistiques). Alors quoi, sinon un divertissement superflu ?
Est essentiel ce qui est ncessaire, ce qui appartient l’essence d’un tre, c’est--dire ce qui constitue sa nature profonde : en quoi l’tre humain est-il ncessairement artiste ?
Nous crions notre manque quand l’expression culturelle semble menace, mais en quoi nous importe-t-elle finalement?
Quand nous prtendons en avoir besoin, ne confondons-nous pas nos dsirs et nos besoins ?
Aller voir un film, une expo, couter de la musique, “a fait du bien”, soit, mais est-ce indispensable ?
Au premier abord, l’art parat superflu : on peut vivre sans, de la mme faon que l’on peut se passer de toutes sortes de vanits, et se contenter de manger et dormir. Mais vivre, pour un humain, ce n’est pas seulement avoir un paquet d’organes qui fonctionnent : “la vraie vie” est spirituelle. Chacun ressent en lui le besoin de crer, de s’lever au-dessus du quotidien.
Le design l’a bien compris, qui lve l’objet au-dessus de sa simple ustensilit : voil qu’il a une me, qu’on ne l’utilise plus mcaniquement, mais avec le sentiment de satisfaire une exigence esthtique.
Expression dsintresse, idale, l’art nous libre : il permet l’vasion du conformisme, la rsistance aux prjugs... le progrs humain, rien que cela. C’est notre existence mme qui progresse : l’expression artistique est un “jaillissement de moi”.
L’artiste est ncessairement singulier, original, subversif : avec lui l’humain dpasse les bornes, il donne le droit de concevoir sans normes. On a essay de le faire taire en sortant des revolvers ; tout coup il a rejailli quand mme, irrpressible : des humains, mme dans les pires conditions, trouvent moyen de chanter, danser, peindre, crire... exister, en fait.
Manger, dormir, c’est irrsistible, mais ce n’est pas sublime. L’art est essentiel pour nous ramener l’essentiel. On peut autant se passer d’art que de libert.
Franois Housset
www.philovive.fr
Claire Baillet 2006
Liens internes :
- Qu'est-ce qui fait d'un objet un œuvre d'art ?
- Pourquoi est-on attir par le beau ?
- La beaut est-elle lgitime ?
- La chanson
- La socit du spectacle
- La cration nat-elle forcment d'un chaos de la pense ?
- L'art est-il essentiel ?
Lien externe :
Ma mre (Michel Dalmazzo)
Claire Baillet 2006
Ils ont dit...
“Une œuvre d’art, c’est le moyen d’une me.”
Maurice Barrs, Mes cahiers
"L'art doit avant tout embellir la vie, donc nous rendre nous mmes tolrables aux autres... de plus, l'art doit dissimuler ou rinterprter tout ce qui est laid, ces choses pnibles, pouvantables et dgotantes..."
Nietzsche, Humain, trop humain.
"L'art a pour seule fin l'œuvre elle-mme et sa beaut. Mais pour l'homme qui opre, l'œuvre faire entre elle-mme dans la ligne de la moralit, et ce titre elle n'est qu'un moyen."
Maritain, Art et scolastique
"Les relations de l'homme l'œuvre d'art ne sont pas de l'ordre du dsir. Il la laisse exister pour elle mme, librement, en face de lui, il la considre sans la dsirer, comme un objet qui ne concerne que le ct thorique (contemplatif) de l'esprit."
Hegel, Esthtique.
“Dans toute espce de travail crateur, la personne qui cre s’unit avec son matriau, qui reprsente le monde en dehors d’elle... Ds qu’il y a activit cratrice, le travailleur et son objet deviennent un, l’homme s’unit avec le monde dans le processus de cration. Ceci n’est vrai, cependant, que tu travail productif, du travail o j’organise, labore, contemple le rsultat de mon labeur.”
Fromm. L’art d’aimer.
"L'existence est une douleur constante, tantt lamentable et tantt terrible; ... Tout cela, envisag dans la reprsentation pure ou dans les oeuvres d'art est affranchi de toute douleur et prsente un imposant spectacle."
Schopenhauer, Le Monde comme volont et comme reprsentation.
Un crucifix roman n'tait pas d'abord une sculpture, la Madone de Cimabu n'tait pas d'abord un tableau, mme l'Athna de Phidias n'tait pas d'abord une statue. Le rle des muses dans notre relation avec l'œuvre d'art est si grand, que nous avons peine penser qu'il n'en existe pas, qu'il n'en exista jamais, l o la civilisation de l'Europe moderne est ou fut inconnue; et qu'il en existe chez nous depuis peine deux sicles. Le XIXe sicle a vcu d'eux; nous en vivons encore, et oublions qu'ils ont impos au spectateur une relation toute nouvelle avec l'œuvre d'art
Malraux, Le Muse imaginaire
“C'est la dtresse qui force l'homme, d'ordinaire si pris d'une libert sans bornes, entrer dans un tel tat de contrainte, et, vrai dire, c'est la pire des dtresses: savoir, celle que les hommes s'infligent les uns aux autres, leurs inclinations ne leur permettant pas de subsister longtemps les uns ct des autres dans l'tat de libert sans frein. Mais alors, dans l'enclos que reprsente une association civile, ces mmes inclinations produisent prcisment par la suite le meilleur effet. Ainsi dans une fort, les arbres, du fait mme que chacun essaie de ravir l'autre l'air et le soleil, s'efforcent l'envi de se dpasser les uns les autres, et par suite, ils poussent beaux et droits. Mais au contraire, ceux qui lancent en libert leurs branches leur gr, l'cart d'autres arbres, poussent rabougris, tordus et courbs. Toute culture, tout art formant une parure l'humanit, ainsi que l'ordre social le plus beau, sont les fruits de l'insociabilit...”
KANT, Ide d'une histoire universelle au point de vue cosmopolitique, in Opuscules sur l'histoire.
“Le secret du bonheur et le comble de l’art, c’est de vivre comme toute monde, en n’tant comme personne.”
Simone de Beauvoir. Mmoires d’une jeune fille range.
Cathdrale
Claire Baillet 2008
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