De l’art ? Pour quoi faire ? Cela ne se mange pas, d’autres êtres vivants semblent très bien s’en passer : qu’y-a-t-il d’essentiel dans l’art ?

Le problème de l’art est sa fonction. Exprimer la beauté ? Une telle notion n’a pas de valeur objective (il y a des horreurs artistiques). Alors quoi, sinon un divertissement superflu ?

Est essentiel ce qui est nécessaire, ce qui appartient à l’essence d’un être, c’est-à-dire ce qui constitue sa nature profonde : en quoi l’être humain est-il nécessairement artiste ?
Nous crions notre manque quand l’expression culturelle semble menacée, mais en quoi nous importe-t-elle finalement?
Quand nous prétendons en avoir besoin, ne confondons-nous pas nos désirs et nos besoins ?
Aller voir un film, une expo, écouter de la musique, “ça fait du bien”, soit, mais est-ce indispensable ?







Au premier abord, l’art paraît superflu : on peut vivre sans, de la même façon que l’on peut se passer de toutes sortes de vanités, et se contenter de manger et dormir. Mais vivre, pour un humain, ce n’est pas seulement avoir un paquet d’organes qui fonctionnent : “la vraie vie” est spirituelle. Chacun ressent en lui le besoin de créer, de s’élever au-dessus du quotidien.
Le design l’a bien compris, qui élève l’objet au-dessus de sa simple ustensilité : voilà qu’il a une âme, qu’on ne l’utilise plus mécaniquement, mais avec le sentiment de satisfaire à une exigence esthétique.

Expression désintéressée, idéale, l’art nous libère : il permet l’évasion du conformisme, la résistance aux préjugés... le progrès humain, rien que cela. C’est notre existence même qui progresse : l’expression artistique est un “jaillissement de moi”.
L’artiste est nécessairement singulier, original, subversif : avec lui l’humain dépasse les bornes, il donne le droit de concevoir sans normes. On a essayé de le faire taire en sortant des revolvers ; à tout coup il a rejailli quand même, irrépressible : des humains, même dans les pires conditions, trouvent moyen de chanter, danser, peindre, écrire... exister, en fait.
Manger, dormir, c’est irrésistible, mais ce n’est pas sublime. L’art est essentiel pour nous ramener à l’essentiel. On peut autant se passer d’art que de liberté.



François Housset

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Claire Baillet 2006




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Ma mère (Michel Dalmazzo)


Claire Baillet 2006




Ils ont dit...

“Une œuvre d’art, c’est le moyen d’une âme.”
Maurice Barrès, Mes cahiers

"L'art doit avant tout embellir la vie, donc nous rendre nous mêmes tolérables aux autres... de plus, l'art doit dissimuler ou réinterpréter tout ce qui est laid, ces choses pénibles, épouvantables et dégoûtantes..."
Nietzsche, Humain, trop humain.

"L'art a pour seule fin l'œuvre elle-même et sa beauté. Mais pour l'homme qui opère, l'œuvre à faire entre elle-même dans la ligne de la moralité, et à ce titre elle n'est qu'un moyen."
Maritain, Art et scolastique

"Les relations de l'homme à l'œuvre d'art ne sont pas de l'ordre du désir. Il la laisse exister pour elle même, librement, en face de lui, il la considère sans la désirer, comme un objet qui ne concerne que le côté théorique (contemplatif) de l'esprit."
Hegel, Esthétique.

“Dans toute espèce de travail créateur, la personne qui crée s’unit avec son matériau, qui représente le monde en dehors d’elle... Dès qu’il y a activité créatrice, le travailleur et son objet deviennent un, l’homme s’unit avec le monde dans le processus de création. Ceci n’est vrai, cependant, que tu travail productif, du travail où j’organise, élabore, contemple le résultat de mon labeur.”
Fromm. L’art d’aimer.

"L'existence est une douleur constante, tantôt lamentable et tantôt terrible; ... Tout cela, envisagé dans la représentation pure ou dans les oeuvres d'art est affranchi de toute douleur et présente un imposant spectacle."
Schopenhauer, Le Monde comme volonté et comme représentation.

« Un crucifix roman n'était pas d'abord une sculpture, la Madone de Cimabué n'était pas d'abord un tableau, même l'Athéna de Phidias n'était pas d'abord une statue. Le rôle des musées dans notre relation avec l'œuvre d'art est si grand, que nous avons peine à penser qu'il n'en existe pas, qu'il n'en exista jamais, là où la civilisation de l'Europe moderne est ou fut inconnue; et qu'il en existe chez nous depuis à peine deux siècles. Le XIXe siècle a vécu d'eux; nous en vivons encore, et oublions qu'ils ont imposé au spectateur une relation toute nouvelle avec l'œuvre d'art »
Malraux, Le Musée imaginaire

“C'est la détresse qui force l'homme, d'ordinaire si épris d'une liberté sans bornes, à entrer dans un tel état de contrainte, et, à vrai dire, c'est la pire des détresses: à savoir, celle que les hommes s'infligent les uns aux autres, leurs inclinations ne leur permettant pas de subsister longtemps les uns à côté des autres dans l'état de liberté sans frein. Mais alors, dans l'enclos que représente une association civile, ces mêmes inclinations produisent précisément par la suite le meilleur effet. Ainsi dans une forêt, les arbres, du fait même que chacun essaie de ravir à l'autre l'air et le soleil, s'efforcent à l'envi de se dépasser les uns les autres, et par suite, ils poussent beaux et droits. Mais au contraire, ceux qui lancent en liberté leurs branches à leur gré, à l'écart d'autres arbres, poussent rabougris, tordus et courbés. Toute culture, tout art formant une parure à l'humanité, ainsi que l'ordre social le plus beau, sont les fruits de l'insociabilité...”
KANT, Idée d'une histoire universelle au point de vue cosmopolitique, in Opuscules sur l'histoire.

“Le secret du bonheur et le comble de l’art, c’est de vivre comme toute monde, en n’étant comme personne.”
Simone de Beauvoir. Mémoires d’une jeune fille rangée.


Cathédrale
Claire Baillet 2008