Qu’est-ce qui fait d’un objet une œuvre d’art?
Par François HOUSSET | Les Textes #68 | 4 commentaires | |
Question tordue, presque mal formulée : pourquoi, devant une tabatière de Chine, voit-on plutôt une œuvre d’art qu’une tabatière ? Qu’est-ce qui fait de l’abri-bus dessiné par Stark une œuvre d’art ? Comment un simple objet passe-t-il du statut de l’objet (dont on se sert) à celui de chef d’œuvre (digne des “beaux arts”) ?
L’œuvre d’art ne semble pas faite pour autre chose qu’elle-même. Elle est inutile, au sens pratique du terme : elle ne sert à rien. Au sens moral, elle importe. Elle répond à un besoin spirituel, ce qui lui donne un but : nous détourner d’une préoccupation banale, quotidienne, pour élever notre âme, carrément, en provoquant un choc esthétique. Une musique sublime est utile en ce sens : elle apporte une émotion dont l’esprit se repaît. L’œuvre d’art est donc un objet spirituel.
Ce qui semble faire d’un objet une œuvre d’art, c’est dès l’abord le travail par lequel un objet ne peut plus être considéré comme un objet de désir, car il ne se consomme ni ne se possède comme un objet quelconque. Il suscite des considérations désintéressées. Ce n’est pas lui qu’on regarde, c’est sa forme, sa couleur. Ce qui, en lui, nous trouble. L’objet lui-même n’est rien qu’un objet. Admirons le, et voilà l'objet considéré comme "beau". Le regard est indispensable, il reconnaît l’art. Le spectateur retrouve dans l'objet contemplé quelque chose de spirituel quand il est pourtant face à un objet matériel. Comme devant une glace (simple assemblage de métal et de verre), il se reconnaît lui-même comme spirituel. Via ce subterfuge, l'objet devient sacré “œuvre” (même si le simple galet ramassé sur une plage est tout sauf une oeuvre) pour avoir forcé le respect. Tout est dans l’attention sur l’objet, bien différente d'un regard froid sur les choses. L’œil fait l’œuvre, non l’inverse même si par l’originalité de son aspect l’objet a dès l’abord attiré l’œil. L’objet seul n’a aucune prétention, aucun sens; son spectateur lui en accorde. La forme est le support du sens.
Quand on accroche un vieux râteau au mur du salon, ou quand Marcel Duchamp place un urinoir dans une exposition, le détournement hors de la fonction de l’objet paraît en faire une œuvre d’art. L’objet reste un objet malgré ce détournement : il devient simplement un autre objet. Prendre un cendrier, et le poser sur une étagère, voire l’encadrer, ce n’est pas nier son ustensilité, mais la répéter : cet objet n’est plus seulement le “truc dans lequel on peut mettre des cendres”, mais aussi “ce qui donne une âme à cette étagère”. Ce n’est pas l’annulation de son ustensilité, mais au contraire le redoublement, la répétition de cette ustensilité qui fait qu’un objet accède au statut d’œuvre d’art.
François Housset
www.philovive.fr
Dessin de Coco, Charlie Hebdo, 25 mars 2015.
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