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Qu’est-ce qui fait d’un objet une œuvre d’art?

Question tordue, presque mal formulée : pourquoi, devant une tabatière de Chine, voit-on plutôt une œuvre d’art qu’une tabatière ? Qu’est-ce qui fait de l’abri-bus dessiné par Stark une œuvre d’art ? Comment un simple objet passe-t-il du statut de l’objet (dont on se sert) à celui de chef d’œuvre (digne des “beaux arts”) ?

François
L’œuvre d’art ne semble pas faite pour autre chose qu’elle-même. Elle est inutile, au sens pratique du terme : elle ne sert à rien. Au sens moral, elle importe. Elle répond à un besoin spirituel, ce qui lui donne un but : nous détourner d’une préoccupation banale, quotidienne, pour élever notre âme, carrément, en provoquant un choc esthétique. Une musique sublime est utile en ce sens : elle apporte une émotion dont l’esprit se repaît. L’œuvre d’art est donc un objet spirituel.

Ce qui semble faire d’un objet une œuvre d’art, c’est dès l’abord le travail par lequel un objet ne peut plus être considéré comme un objet de désir, car il ne se consomme ni ne se possède comme un objet quelconque. Il suscite des considérations désintéressées. Ce n’est pas lui qu’on regarde, c’est sa forme, sa couleur. Ce qui, en lui, nous trouble. L’objet lui-même n’est rien qu’un objet. Admirons le, et voilà l'objet considéré comme "beau". Le regard est indispensable, il reconnaît l’art. Le spectateur retrouve dans l'objet contemplé quelque chose de spirituel quand il est pourtant face à un objet matériel. Comme devant une glace (simple assemblage de métal et de verre), il se reconnaît lui-même comme spirituel. Via ce subterfuge, l'objet devient sacré “œuvre” (même si le simple galet ramassé sur une plage est tout sauf une oeuvre) pour avoir forcé le respect. Tout est dans l’attention sur l’objet, bien différente d'un regard froid sur les choses. L’œil fait l’œuvre, non l’inverse même si par l’originalité de son aspect l’objet a dès l’abord attiré l’œil. L’objet seul n’a aucune prétention, aucun sens; son spectateur lui en accorde. La forme est le support du sens.

Quand on accroche un vieux râteau au mur du salon, ou quand Marcel Duchamp place un urinoir dans une exposition, le détournement hors de la fonction de l’objet paraît en faire une œuvre d’art. L’objet reste un objet malgré ce détournement : il devient simplement un autre objet. Prendre un cendrier, et le poser sur une étagère, voire l’encadrer, ce n’est pas nier son ustensilité, mais la répéter : cet objet n’est plus seulement le “truc dans lequel on peut mettre des cendres”, mais aussi “ce qui donne une âme à cette étagère”. Ce n’est pas l’annulation de son ustensilité, mais au contraire le redoublement, la répétition de cette ustensilité qui fait qu’un objet accède au statut d’œuvre d’art.

François Housset

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Dessin de Coco, Charlie Hebdo, 25 mars 2015.



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Commentaires

300.000F d’amende pour avoir dégradé un urinoir en porcelaine. Pas un vulgaire urinoir, mais celui de Marcel Duchamp. Cette lourde peine a été infligée à un artiste poursuivi par le ministère de la culture, pour avoir donné un coup de marteau à cette œuvre après l’avoir utilisée. L’homme voulait ainsi dénoncer les dérives financièresx du marché de l’art.
AFP nov 98

Je suis un artiste, C’est mon œuvre !

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Attirante ? Non
Spirituelle ? Non plus
(Etant la manifestation de l’inconscient chez Freud)
Répond t elle a un besoin psychologique ?
Chez le destinataire…je doute fort
Chez l’artiste (moi) comment devrais-je savoir ?

Mais que personne ne me dit que se n’est pas de l’art !
Ce n’est pas l’œil qui « reconnaît l’art », qui « fait l’œuvre ». L’art est art aussi longtemps que le producteur le dit et présente des arguments qu’ils l’appui.

Un objet devient une oeuvre d'art dès lors qu'on a décidé de "l'exposer" aux yeux et au regard des autres. D'autre part, ce qui caractérise l'oeuvre d'art, c'est ce qui le distingue : sa griffe, la personnalité de l'artiste ; ses joies, ses peines et ses souffrances, sa fragilité et ses doutes qui transparaîssent à travers son oeuvre, qui lui donnent sa touche personnelle, sa singularité qui fait qu'on le reconnait parmi d'autres. C'est aussi l'investissement en temps, en travail, parfois au risque de la folie d'une idée tout simplement "banale" ou "de génie" qui traverse l'artiste à ce moment et qui l'élève au rang de la spiritualité. Mais la nature produit aussi tous les jours toutes sortes "d'oeuvres d'art" que nous n'appelons pas oeuvre d'art pour autant. Qui ne s'est jamais émerveillé devant la beauté et la complexité de la nature ou des cristaux de neige par exemple ?
De nos jours, on peut parler aussi d'investissement financier, pour certains voire même indifférence, là où d'autres ne voient qu'une question d'existence, de liberté d'expression et de survie. Tristement vrai. Ce qui fait aussi d'un objet une oeuvre d'art, c'est principalement sa beauté, son histoire, son mystère ou sa vérité qui s'imposent à nous avec une force d'évidence. La beauté et la bonté nous rend meilleur.
L'homme s'essaie aussi parfois à imiter la nature...
La beauté d'une oeuvre d'art nous transfigure, nous surprend, nous émerveille, elle nous aide sortir de nos habitudes et de nos sentiers battus.

Madame, Monsieur
Bien plus qu’un commentaire, je me permets de vous déposer une œuvre d’art versée au catalogue du non-objet "Commentaires" sous le numéro : Pièce com76/janvier/2010
Vous avez par cet article réussi quelque peu à rendre plus concrètes mes nombreuses œuvres absentes.
Merci.
Olivier Borneyvski-

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