À quoi sert la culpabilité ?
Par François HOUSSET | Les Textes #152 | commenter | |
“C’est ma faute, c’est ma très grande faute” : un pécheur avoue une bêtise dans un confessionnal. Honteux, il se dévalorise et attend la pénitence dans une attente volontaire qui a toute l’apparence du masochisme. À quoi sert la culpabilité ? À nous pourrir la vie. On dit coupable pour mieux punir. La faute est relative : c’est la transgression d’une norme, le coupable est “anormal”, monstrueux, selon des critères arrêtés par les juges, se présentant comme des modèles. Pour quoi faire sinon remettre en question la valeur d’une personne, lui faire perdre la si précieuse estime de soi !? Jugé, condamné, le coupable voit son existence arrêtée, il est prisonnier du passé de sa “faute”, tenu à l’écart du monde : ce n’est finalement pas l’action qui est jugée, mais l’individu.
On oublie souvent la très exacte signification du Mea culpa : “c’est moi qui l’ai fait”. Je suis cause, et conscient d’être cause. Reconnaître cette réalité permet une maîtrise de ses actes, il s’agit de moins subir, de mieux agir. Oui, je suis l’auteur de mes actions. Voilà qui est salutaire. Mais cette conscience hélas devient mauvaise conscience alors qu’on peut être conscient d’un acte sans vouloir ses conséquences. La meilleure des volontés pourra être accusée, et les plus innocents se retrouver coupables : “il ne tuerait pas une mouche !? Les mouches qu’il n’a pas tué nous ont apporté la peste !”
Trop lourd à porter, le sentiment de culpabilité sera renvoyé sur l’autre : c’est lui qui a commencé... Inutile, la culpabilité est en tout cas utilisée. Quand on veut tuer son chien, on l’accuse... Les étrangers, les têtes de Turc incarnent le malin : il faut bien les punir... les Juifs ont été désignés coupables d’avoir tué le Christ (en oubliant, petit détail (faute grave, impardonnable !) que Jésus était juif... Le mot “coupable” a un sens démesuré dans notre société judéo-chrétienne ; il faudrait à chaque fois préciser : coupable devant qui ? devant quoi ? Et ne jamais oublier que dans ce monde l’homme naît coupable pour que Dieu soit innocent.
La culpabilité est un constat concret pourtant : il y a réellement des hommes qui agissent avec une réelle volonté de nuire, et la loi les désigne, les juge, les condamne comme “coupables”, non pas parce que notre métaphysique de bourreau nous amène à chercher des alibis pour punir, mais surtout pour protéger. Protéger la société civile, mais aussi le coupable : ça peut me faire du bien d’être jugé si j’ai tué des enfants. Pas de culpabilité sans aveux de culpabilité : l’exigence de pardon amène l’autodénonciation. On bat publiquement sa coulpe pour être contrôlé finalement. Dire publiquement sa faute permet un recul par rapport à ce que l’on fait. Il nous faut le regard d’autrui pour prendre conscience de nos actes.
La culpabilité est révoltante : chacun se révoltera contre la critique faite par un juge idéal, nous reprochant lourdement de n’avoir une conduite parfaite. Mais la perfection est un beau but. Une personne se sent coupable non seulement devant la société et/ou devant Dieu, mais devant elle-même : l’humiliation de l’ego contraint à être meilleur.
François Housset
www.philovive.fr
CITATIONS
“Quiconque rougit est déjà coupable ; la vraie innocence n’a honte de rien”
Rousseau, Contrat social livre IV
“Quiconque est parvenu à discerner le bien et le mal a déjà perdu son innocence.”
Charles Nodier, Lydie ou la Résurrection
“Rien ne ressemble plus à un innocent qu’un coupable qui ne risque rien.”
Tristant Bernard, L’Enfant prodige du Vesinet
“L’innocence elle-même a parfois besoin d’un masque”
Thomas Fuller, Gnomologia
“La pierre seule est innocente”
Friedriche Hegel, Phénoménologie de l’esprit
“Les hommes ont été considérés comme “libres” pour pouvoir être jugés et punis, -pour pouvoir être coupables ... Le christianisme est une métaphysique du bourreau.”
Nietzsche, Crépuscule des idoles (paragraphe 7 des “4 grandes erreurs”)
“(...) Ajoutez à cela cette liberté complète d’aller et de venir sans qu’âme qui vive s’occupe de vous, et sans que rien rappelle cette police dont les coupables sont le prétexte, et les innocents le but.”
Benjamin Constant, Le cahier rouge
“Les voleurs eurent leur revanche quand Marx prouva la bourgeoisie coupable de vol.”
G. B. SHAW, Bréviaire du Révolutionnaire
“Quand tu sauras mon crime et le sort qui m’accable je n’en mourrai pas moins; j’en mourrai plus coupable.”
Racine, Phèdre acte I, scène 3
“Quand je serais moins coupable, je vois des hommes qui, sans s’arrêter à ce que ma jeunesse peut mériter de pitié, voudront punir en moi et décourager à jamais cette classe de jeunes gens qui nés dans une classe inférieure et en quelque sorte opprimés par la pauvreté, ont le bonheur de se procurer une bonne éducation, et l’audace de se mêler à ce que l’orgueil des gens riches appelle la société.”
Stendhal, Le rouge et le noir livre II, chap 41
"Je vois ce qui est le mieux et je l'approuve; mais j'accomplis le pire."
Ovide, Métamorphoses.
Liens internes :
- La responsabilité
- L'invention de la faute POUR PUNIR
- La morale aujourd'hui
- Le bonheur est-il un devoir ?
- Nul n'est méchant volontairement
- Y'a-t-il un acte gratuit ?
- Pourquoi on fait des bêtises ?
- Peut-on se passer de maître ?
- Maîtrise de soi et des autres
- Peut-on se juger soi-même ?
- Science sans conscience n'est que ruine de l'âme
- La souffrance comme moteur de la vie
- Morale et religion
Liens externes :
- Plaisir et culpabilité
- Innocence et culpabilité
- La faute
- Responsabilité et culpabilité
- La culpabilité (topo assez complet)
- La culpabilté est une fuite
Commentaires
Aucun commentaire pour le moment.
Ajouter un commentaire