PhiloVIVE ! La philosophie orale et vivante

 

“ON TROUVE, ON NE CHERCHE PAS”

Une mouche et une abeille se retrouvent dans une bouteille. La mouche vole dans tous les sens, trouve le goulot par hasard, et s’échappe, tandis que l’abeille reste enfermée. L’abeille est pourtant “plus intelligente” que la mouche : elle cherche laborieusement l’issue, et c’est pourquoi elle n’adopte pas la même attitude hasardeuse. Elle cherche à retrouver, par le moyen de son intelligence, un chemin qu’elle se souvient avoir emprunté pour arriver... mais elle n’y réussit pas. Disons que l’abeille est une platonicienne ratée : elle cherche à retrouver ce qu’elle sait, mais n’y parvient pas. Et la mouche est plutôt une nietzschéenne pressée : elle va, vole, et trouve “au pif”.

Au choix : l’intelligence, ou le tâtonnement. La méthode rationnelle, ou la confiance en un flair instinctif hasardeux. Les deux méthodes se rejoignent et s’enchevêtrent : nous n’avons pu les distinguer, et ce n’est pas faute d’avoir cherché que nous n’avons pu résoudre le problème.

Comment expliquer qu’on puisse découvrir quelque chose quand la découverte paraît se révéler toute seule ?

On crie “Eurêka!”, on sait que la découverte est faite ; mais qui a fait la trouvaille ? Il semble que son auteur constate la trouvaille, sans pouvoir dire comment il y est parvenu. “Quelque chose trouve en moi”, dit-on, comme si le chercheur était l’inconscient. Si c’est le cas, nous disposons tous d’un chercheur caché, auquel il suffit de faire des demandes, et d’attendre qu’il trouve les réponses “tout seul”! Il nous suffit de penser qu’il y a un problème à résoudre, puis... de n’y plus penser, jusqu’à ce que la solution nous apparaisse “d’elle-même”. Ce n’est pas une personne qui trouve, c’est son inconscient qui travaille efficacement en rassemblant méthodiquement toutes les pièces d’un puzzle que l’ignorant a ramassé sans savoir précisément à quoi elles allaient pouvoir servir.

Soudain, l’inconscient tire un signal d’alarme, il avertit que la solution est toute prête à être comprise, aux deux sens du terme : tout est là, il suffit à présent que la conscience daigne s’intéresser à la solution qu’on lui présente sur un plateau (service compris !). Nous disposons dès lors de tous les éléments nécessaires pour résoudre l’énigme. Ces éléments semblent s’être assemblés d’eux-mêmes pour être tous compris dans un même ensemble cohérent. Il est même inutile de faire un travail de synthèse : elle s’accomplit instantanément, sous nos yeux étonnés.

Eurêka.



De là à tomber à genoux pour remercier Dieu de ce qui a tout l’air d’une révélation, il n’y a qu’un pas : celui qui trouve est effectivement comme illuminé, et il observe sa propre découverte comme si elle n’était pas sienne. Une intelligence créatrice vient de montrer sa valeur et son auteur s’en étonne car il n’y reconnaît pas l’œuvre de son propre esprit.

Les psychologues évitent le mysticisme devant cette étrangeté, en rappelant que celui qui découvre a tout fait pour : sa découverte ne lui vient pas d’une conscience extérieure, elle est le résultat de son propre effort. Il a désiré trouver, il a transformé ce désir en besoin, le plus souvent à force de se questionner d’une façon obsessionnelle. Son désir est devenu un problème. Une inquiétude est née en lui, qui l’oblige à considérer que tout indice importe. Cette inquiétude est à la base de l’intérêt du chercheur pour tout ce qui se rapproche, de près ou de loin, à son objet d’étude. Il va patiemment assembler un à un tous les éléments nécessaires à son enquête. Même si ensuite il se désintéresse du problème et si la solution lui apparaît bien plus tard, comme par hasard, il y est pour quelque chose : il a fait des efforts adéquats pour y parvenir. Rien ne sort de rien.

Celui qui fait une découverte s’est imprégné de toute une série d’indices, d’informations diverses, qu’il n’a pas vraiment digérées tant qu’il ne sait pas quel sens leur donner : ça ne passe pas encore. Il ne suffit donc pas de vouloir pour pouvoir, mais il faut encore attendre : le chercheur devra dégurgiter et régurgiter son savoir, jusqu’à ce qu’il en ait bien ruminé la substantifique moelle qui seule lui donne accès au sens.

Il faut avoir voulu trouver pour trouver. Il faut avoir travaillé, même si le travail a semblé vain, tant qu’on ne voyait pas en quoi il pouvait permettre de comprendre quelque chose de nouveau.

Après un travail très profond du désir (le chercheur devient obsédé par une contradiction, un obstacle, un problème), une solution surgit, littéralement. Si la maturation fut longue, la découverte est brutale, explosive. Comme des sauts gigantesques instantanés, les trouvailles sont fulgurantes : elles nous précipitent dans une nouvelle conception des choses ; le monde s’en trouve soudain changé. C’est pourquoi la découverte paraît involontaire : notre esprit travaille “tout seul” à la synthèse d’éléments disparates. On ne cherche pas vraiment exprès. L’intuition est comme une synthèse inconsciente, dont on ne découvre réellement que l’aboutissemnet, la conclusion.

Qu’en conclure ? Une morale qui est une méthode : l’effort à fournir pour découvrir quelque chose consiste à sortir de son cadre habituel pour s’ouvrir les yeux tout grands. Changer d’esprit, élargir les horizons, désapprendre pour apprendre, permuter sa façon de voir. C’est là qu’on voit tout le génie de Copernic, Galilée, Newton, qui ne sont pas restés sur les rails déjà tracés par leurs prédécesseurs, et se sont laissés surprendre par la trouvaille. Il se trouve que le chercheur fait le plus souvent une découverte en changeant de point de vue, en discutant, en se regardant lui-même. Il est donc nécessaire de sortir de sa coquille, d’aller vers les autres : la solution est souvent détenue par un tiers -qui l’ignore le plus souvent, faute de posséder la clef du problème, et qui ne sait qu’en faire. Les dialogues de Platon l’illustrent : c’est le plus souvent grâce au dialogue qu’on constate un progrès des idées. Les débats philosophiques en sont également un bon exemple.

On est toujours en recherche : les débats les plus philosophiques terminent le plus souvent sur une aporie. Celui-ci fut à ce propos remarquable : plus on cherche, plus la vérité parait réellement mystérieuse, car on ne sait ni ce qu’elle est, ni comment la dévoiler.

François Housset

www.philovive.fr



Citations

“... En y pensant toujours!”
(Réponse attribuée à Newton quand on lui demandait : “Comment avez-vous découvert la théorie de l’attraction universelle ?”)

De même qu’on ne peut juger un individu sur l’idée qu’il a de lui-même, on ne peut juger une semblable époque de bouleversement sur sa conscience ; mais il faut expliquer cette conscience par les contradictions de la vie matérielle, par le conflit qui oppose les forces productives de la société et les rapports de production.
Une formation sociale ne meurt jamais avant que soient développées toutes les forces productives auxquelles elle peut donner libre cours ; de nouveaux rapports de production, supérieurs aux anciens, n’apparaissent jamais avant que leurs conditions matérielles d’existence n’aient mûri au sein de la vieille société.
C’est pourquoi l’humanité ne se pose jamais que des problèmes qu’elle peut résoudre ; car, à mieux considérer les choses, il s’avérera toujours que le problème lui-même ne surgit que lorsque les conditions matérielles de sa solution existent déjà ou tout au moins sont en formation.
Staline, Le matérialisme dialectique et le matérialisme historique

“Lorsqu’un enfant crie et ne veut pas être consolé, la nourrice fait souvent les plus ingénieuses suppositions (...) jusqu’à ce qu’elle ait découvert l’épingle, cause réelle de tout. (...) Ne dites jamais que les hommes sont méchants; ne dites jamais qu’ils ont tel caractère. Cherchez l’épingle.”
Alain, Propos sur le bonheur.

“...Personne n’imagine qu’on ait jamais pu découvrir l’explosion de la poudre... par des arguments a priori”
Hume. Enquête sur l’entendement humain, Section IV (GF 1983)

“Ce ne sont pas les boissons, la jouissance ni les tables somptueuses qui font la vie agréable, c’est la pensée sobre qui découvre les causes de tout désir et de toute aversion et qui chasse les opinions qui troublent les âmes.”
Epicure, Usener 64, 12, sq

C’est proprement avoir les yeux fermés, sans tâcher jamais de les ouvrir, que de vivre sans philosopher; et le plaisir de voir toutes les choses que notre vue découvre n’est point comparable à la satisfaction que donne la connaissance de celles qu’on trouve par la philosophie; et, enfin, cette étude est plus nécessaire pour régler nos mœurs et nous conduire en cette vie, que ne l’est l’usage de nos yeux pour guider nos pas.
Descartes. Principes. Préface.

Personne ne niera que l'originalité ne soit un élément précieux dans les affaires humaines. On a toujours besoin de personnes non seulement pour découvrir de nouvelles vérités et pour montrer à quel moment ce qui a été vrai ne l'est plus, mais aussi pour commencer de nouvelles pratiques, pour donner l'exemple d'une conduite plus éclairée et établir le modèle d'un goût et d'un bon sens plus parfaits dans la vie humaine. Ceci peut difficilement être contredit par quiconque ne croit pas que le monde ait déjà atteint la perfection dans toutes ses coutumes et pratiques. Il est vrai que tout le monde ne peut pas rendre également ce service: ils sont peu nombreux, par rapport à toute l'humanité, ceux dont les expériences pourraient constituer un progrès relativement à l'usage établi, si les autres les adoptaient. Mais ces quelques personnes sont le sel de la terre. Sans elles la vie humaine deviendrait une mare stagnante.
Mill, De la libertéi, trad. G. Boss, Zurich, Éditions de grand Midi, 1987, pp. 95-99




Liens internes

Commentaires

a propos de chercher ou ne pas chercher il m'arrive plusieurs fois de trouver pour autrui leur objets perdus pour cela j'ai un pendule( un fil à coudre et un petit écrou suffit) je fais tourner le pendule( ce n'est qu'un support)jusqu'à son arrêt. Dès lors je désire me vider de mon "moi" en quelque sorte, je deviens poreux et la faculté de l'intelligence, le rationnel, on va dire n'a plus prise.C' est à ce moment que la Force actionne le corps et tire mon bras et ma main vers l'objet perdu ,voir même enfoui.je trouve également les sources et les puits perdus pour ceux qui en ont besoin. Comme le suggère le philosophe René Girard le désir et les forces qui régissent , sous les vernis institutionnels sont bien plus puissantes et "mystérieuses"12 qu'on ne le crois.

Ajouter un commentaire

Nouveau commentaire