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LA MEILLEURE DES MACHINES NE VAUT PAS UNE POITRINE !

Le bébé prématuré, «malade», est encore trop souvent traité comme un paquet d’organes déterminables, comme un objet plutôt qu'une personne. Or cet être est conscient, sensible : le soigner peut consister à l’apaiser, à le soulager -comme tout être humain. La «méthode kangourou» suggère de donner aux bébés prématurés une chaleur humaine plutôt qu’artificielle. Elle se présente comme une alternative de l’incubateur pour prévenir les troubles liés à la prématurité. En recréant une véritable écologie relationnelle, elle propose autre chose que le monde agressif et hostile des soins intensifs au nouveau-né.


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Favoriser le contact

La «méthode kangourou» se réfère au contact particulier des marsupiaux avec leur progéniture au cours des premiers mois de leur vie. Cette méthode consiste à favoriser le contact peau à peau avec le bébé prématuré. Les parents peuvent tenir leur bébé dans leurs bras et lui donner la chaleur dont il a besoin. Le père ou la mère dénude temporairement sa poitrine, sur laquelle est déposé le prématuré en position verticale. Sans incubateur, la température cutanée du bébé demeure stable, et il poursuit son gain pondéral de façon satisfaisante (1,2,3). La satisfaction des parents est élevée, du fait qu’ils peuvent avoir des contacts plus intimes avec leur bébé. Ils apprennent ainsi à mieux le connaître et à interagir avec lui, ce qui favorise son épanouissement : porter les bébés dans une poche kangourou (qui permet un contact peau à peau plus intense et plus long que la simple prise au bras) conduit à une réduction significative des pleurs et à une augmentation de la vigilance. Adik Levin (4), chef du service des prématurés de l’hôpital de Tallin en Estonie, fait l’apologie de la proximité mère-enfant précoce dans un environnement le moins technique et médicalisé possible. Le plus important consiste à maintenir un cordon ombilical biologique et psychologique en évitant les soins médicaux non indispensables, en encourageant l’allaitement et le peau à peau le plus précoce possible. L’organisation de son service est conçue pour favoriser la proximité mère-enfant : le transport conjoint, la chambre commune personnalisable par la maman qui peut y "faire son nid", un soutien pluridisciplinaire (par exemple des massages procurant un visible bien-être), contribuent à faire de cette unité “a very truly baby-friendly unit”, selon l’expression de l’auteur.


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La relation d'abord !

Pour Stjernqvist (5), le meilleur incubateur, c’est la poitrine de sa mère. Cet argument est hélas irrecevable quand l’incubateur a coûté une fortune : une fois le choix de cet investissement fait, il reste peu à octroyer aux moyens à mettre en œuvre pour favoriser la proximité mère-enfant. Stjernqvist a mesuré, dans la situation du peau à peau, les variations thermiques, les rythmes physiologiques ; il a également observé la qualité des échanges sensoriels. Il soutient que la précocité du peau à peau est la base de la construction d’un attachement sécurisé. Il est dès lors tout à fait pertinent de raisonner en terme de relation et non de troubles individuels. Gene Cranston Anderson (6), après avoir passé en revue de nombreuses études réalisées sur la méthode kangourou, soutient que les enfants prématurés portés en “peau à peau" ont suffisamment chaud, un rythme cardio-respiratoire régulier, un sommeil plus profond, moins d’infections, moins de rejets digestifs. La mère, elle, a une lactation plus abondante, une meilleure confiance en elle et plus de plaisir dans la relation avec son bébé. C. Druon (7) offre, dans son ouvrage “à l’écoute du bébé prématuré”, son expérience du peau à peau dans le service de médecine néonatale à l’hôpital de Port-Royal : “la possibilité récente de mettre les bébés peau à peau contre leur mère, même s’ils sont intubés, a fondamentalement modifié pour tous la dynamique du service et le regard que l’on avait des enfants hospitalisés pour prématurité. (...) Le peau à peau calme aussitôt l’agitation, les pleurs, il émane du nouveau-né un sentiment de bien-être. Est-ce l’odeur du sein, la température, l’enveloppement, la qualité de la peau de la mère, ses battements cardiaques, ses mouvements ventilatoires, la communication sensorielle semble intense, l’enfant retrouve le doux humide odorant du sein. Tout cet ensemble sensoriel révèle à l’enfant le désir de sa mère d’être en contact avec lui ”. Ces études insistent toutes sur les conséquences médicales regrettables de la privation du toucher, alors même qu’en France c’est justement dans le milieu hospitalier que le toucher est le moins encouragé, détrôné par l’hygiène et l’hyper instrumentalisation. L’interaction est un besoin primaire vital, reconnu : l’homme est un être de relation et d’attachement qui se développe et satisfait ses besoins en interaction avec son environnement.



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L’ATTACHEMENT

L’importance de la relation n’est pas une révélation récente : en 1958 déjà, Bowlby (8) suppose que la nature primaire des liens entre la mère et son enfant n’est pas alimentaire. Il s’appuie notamment sur les travaux éthologiques et les expérimentations animales de Harlow, concernant les séparations de jeunes bébés singes Rhésus de leur mère. L’agrippement des bébés singes témoigne de l’existence d’un besoin primaire de proximité physique, de contact interpersonnel et social que Bowlby nomme attachement. Un concept qui va faire fureur.

De nombreux travaux viennent bientôt compléter ceux de Bowlby, montrant à quel point l’attachement est vital (notamment les travaux de Spitz sur l’hospitalisme, sur le marasme par dépression anaclitique liée à la déprivation maternelle précoce). Tous révèlent que les modifications biologiques les plus importantes sont celles induites par les relations humaines. Le comportement affectif de l’enfant n’est pas seulement «charmant» : il est vital. Le sourire lui-même est considéré comme indispensable. Montagner fait du sourire un comportement social indispensable à la survie de l’espèce (9). Rufo (10) insiste sur le fait que le sourire est décisif dans l’imaginaire des parents et détermine sans doute le pronostic du prématuré. C. Druon (11) ajoute que répondre aux premiers sourires du nouveau-né permet de les renforcer, sinon “l’enfant risque de se décourager dans son appel vers l’autre qu’est le sourire”. N’en déplaise à Freud, l’attachement est une pulsion non sexuelle et non alimentaire qui nous pousse vers l’autre et se résout dans l’étreinte. Il apporte du réconfort, il rassure le nouveau-né, il répond à ses besoins physiologiques et affectifs, il lui procure les stimulations sensorielles indispensables à sa maturation neurologique (le prématuré a besoin d’échanges intenses pour structurer ses milliers de milliards de neurones), il procure des gratifications à sa mère (ce qui renforce sa sollicitude à son égard), et il assure une base de sécurité qui favorise les comportements d’exploration (l’attachement sert donc aussi à se détacher).
Dès qu’ils ont reconnu le besoin primaire de proximité physique et de contact interpersonnel, de nombreux chercheurs dénoncent la répression sociale du toucher, qui a d’importantes conséquences médicales. Heylings (12), remarquant le manque de caresses échangées dans la société occidentale, avance l’hypothèse d’une carence en toucher. Il a tenté d’associer cette carence à des signes somatiques et psychiques. James Lynch, dans son ouvrage Le langage du coeur, insiste sur l’importance du pouvoir sédatif du toucher en mettant en évidence qu’il suffit à un patient stressé de caresser son chien pour normaliser sa tension. Ces propriétés du toucher sont peut-être une explication de l’engouement pour des thérapies qui l’utilisent : le toucher est réellement inducteur, réparateur et apaisant. Le bébé «sait» dès la naissance percevoir les caractéristiques des êtres humains, induire des comportements (compétences à piloter le regard de la mère, sourire,...) et décoder les états émotionnels de la personne qui s’occupe de lui. Ces compétences sont stimulables par le toucher (dans toutes ses modalités : caresses, massages, portage corps à corps...). Le nouveau-né est capable d’intériorisation précoce de schèmes interactifs et de comportements adaptatifs dans l’interaction, comme en témoigne le fait qu’il sollicite constamment sa mère à reproduire des attitudes antérieures, vérifiant sans doute que les mêmes causes entraînent les mêmes effets. L’environnement fiable et constant permet à l’enfant d’anticiper, de conventionnaliser, de se représenter : c’est le début de la symbolisation annonçant le langage et la conscience de soi.

L’aide maternelle est déterminante pour empêcher le stress néfaste, préserver les rythmes alimentaires, et organiser les états de vigilance. Sans cette aide, les capacités du bébé à s’auto-apaiser (par suçotement, fixation d’un objet...) sont limitées. Les futures mères semblent avoir un don pour apaiser : elles possèdent comme le nouveau-né des aptitudes innées pour la relation à leurs bébés. Papousek (13) emploie l’expression de “parentage intuitif” pour désigner ces comportements intuitifs, universels, qui assurent l’aptitude au maternage. À leur tour, les compétences du nourrisson stimulent de nouvelles performances maternelles. Ces compétences maternelles se réalisent donc dans la rencontre avec les conduites d’attachement de son bébé. On ne peut plus dès lors considérer isolément la mère et l’enfant : tous deux forment un système ; les étudier revient à étudier leurs relations. La mère possède des compétences didactiques d’initiatrice aux réalités du monde. Le visage de la mère est un miroir (ses signaux répondent à ceux du bébé) mais aussi un écran pédagogique qui va nourrir le bébé d’informations sur le monde : sur son visage défilent des manifestations d’émotions distinctes de celle du bébé, favorisant chez lui l’émergence d’un sens du soi. Le bébé constate que ses propres expériences ne sont pas uniques mais peuvent se partager par ce canal de communication qu’est la peau, qui permet de vivre un sentiment de communauté, d’appartenance, de compréhension mutuelle. Le phénomène d’accordage affectif explique en outre que les désirs, fantasmes et peurs des parents se transmettent à leur bébé. La qualité de l’attachement dérive de la synchronie des interactions précoces mère-enfant. Cette première relation entre la mère et l’enfant servira de modèle pour les relations d’attachement ultérieures de l’enfant. Il y a une véritable interaction entre les postures des partenaires et le tonus musculaire qui en est corrélatif. Là aussi la sensibilité maternelle est essentielle et se manifeste dans la manière dont la mère perçoit les manifestations d’inconfort du bébé et y répond. Le nouveau-né est un partenaire actif par ses comportements de blottissement où de raidissement perçus par sa mère comme autant d’invites ou de refus de la poursuite de l’échange.

Il est pour le moins étonnant qu'il ait fallu observer des kangourous et des singes pour se souvenir que le petit d’Homme est aussi une personne... Quand les kangourous viennent au secours des prématurés, l’Homme remet en question sa prétention à la supériorité : le progrès technique ne permet pas nécessairement un progrès moral, ni médical : science sans conscience... En négligeant l’importance de la relation, de l’attachement, du toucher, l’Homme néglige sa nature même.

François Housset

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(1) De Leeuw et coll (1991). Physiological Effects of Kangaroo Care in Very Small Preterm lnfants, Biologic Neonate, n° 59, p. 149-155.
(2). Mondlane et coll. (1989). A Skin-to-Skin Contact as a Method of Body Warmth for Infants of Low Birth Weight. Journal of Tropical Pediatrics, vol. 35, 1989, p. 321-326.
(3).Whitelaw A. (1986). Skin-to-Skin Contact in the Care of Very Low Birth Weight Babies. Maternal and Child Health, no 17, p. 242-246.
(4) .Adik Levin (1994). The mother-infant Unit at Tallinn Children’s Hospital, Estonia. A truly baby-friendly unit. Birth, 21. 1, 39-44.
(5). Stjernqvist K. (1993). The early mother-infant interaction in the highly technological care environment. Acta Poediatr 82. 981-2.
(6). Anderson G. C. (1991). Current Knowledge about skin-to-skin (Kangaroo) care for preterm infants. Journal of Perinatology, Vol. XI, n° 3, 216-226.
(7). Druon C (1996). A l’écoute du bébé prématuré, une vie aux portes de la vie. Paris, édition Aubier.
(8). Bowlby J. (1978). L’attachement. Vol.1, tr. Fr., Paris, PUF.
(9). Montagné H. (1988). L’attachement les débuts de la tendresse. Paris, Ed Odile Jacob.
(10).Crnic KA et Coll (1983). Social interaction and development competence of preterm and full-term infants during the first year of life. Child. Dev. ; 22 : 503-518.
(11).Druon C (1996). A l’écoute du bébé prématuré, une vie aux portes de la vie. Paris, édition Aubier.
(12). Heylings, P.N.K. (1973). The no touching epidemic. An english disease. British medical journal, 14 avril 1973, n° 5858, p. 111.
(13). Lebovici S., Lamour M. (1989). Les interactions du nourrisson avec ses partenaires. E.M.C., Paris, 37190 B 60.

Merci à François MAILLARD, interne des hôpitaux de Marseille, auteur du Mémoire pour l’obtention du diplôme d’études spécialisées complémentaires en psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent qui a inspiré cet article
Contact : François MAILLARD, Centre hospitalier de Martigues, CMPP, Montée Eugène Pottier, 13500 MARTIGUES.











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Commentaires

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il é trop maran se lui qui é alongé

Bonjour et merci à toi, François pour ce bel article qui valide ma propre histoire.Moi, enfant préma.j'ai vécue accrochée telle une moule à la peau de ma grand-mère jusqu'à l'âge de 3 ans.Je vivais en fusion avec elle dans son monde ouvert sur les autres.Elle m'a faite femme,sculptée par ses massages et construite par sa communication. Elle a su développer mon imaginaire par ses expériences et sa vie.Sa voix,son toucher,son écoute et son odeur demeurent en moi à tout jamais car c'est ça la véritable éternité de l'être!

Merci Loulou. Puissent ta mémoire et ces fusions se perpétuer toujours ! Ô VIVANTS ! La vie est courte : il est temps de s'y consacrer !

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