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"Pourquoi on fait des bêtises?"

Débat philo, 26 mars 98, SEGPA Collège Jean Moulin à Montreuil

Question toute bête: on sait ce qu'il ne faut pas faire, on sait que c'est mal, on sait qu'on sera puni, on sait. Alors pourquoi on fait quand même des bêtises? Mentir, tirer les cheveux, casser un verre, une vitre, violer, désobéir, insulter, tuer. Les exemples sont légions. Tous les élèves se bousculent joyeusement, pour en donner encore et encore des illustrations. C'est fou le nombre de bêtises auxquelles ils pensent présentement. "Travailler" sur le concept de bêtise les fait jubiler. Tous savent évidemment ce qu'est une bêtise, et l'intérêt d'en faire: se venger, s'amuser, passer sa nervosité, se défouler, s'affirmer!

Le plaisir de transgresser, de sortir des cadres, d'oublier les interdits, ne semble pas gâché par la peur d'être puni : "y'a des fois où on m'engueule pas". Toujours l'espoir d'y échapper ajoute au plaisir de faire une bêtise celui du pari : c'est jouer avec la répression, qui perd si souvent qu'elle fait pitié.

Et la morale dans tout ça ? Se dire "c'est ma faute", éprouver quelque culpabilité... Non merci : on n'est jamais vraiment fautif, toujours revient l'argument au fondement de toute légitimité ; il vient spontanément, naturellement : "c'est lui qu'a commencé". "J'ai bien le droit de taper puisqu'on m'a tapé"... On n'est jamais absolument coupable. Une "bêtise" se fait donc dans une relative insouciance : on ne pense pas à après, on est soudain dans une sorte d'inconscience qui rend "un peu fou". Ainsi des "petits citoyens" de 12 ans disent agir comme des ivrognes. Inconséquents, ils ne mesureraient plus la portée de leurs actes.

Et le respect ? "Il est pas là" : toute discussion se termine en baston -à cause de l'autre, qui veut se défouler, ne reconnaît pas sa faute, ne comprend pas. Peur et respect s'enchevêtrent au point de se confondre. La raison du plus fort est nécessairement la meilleure : c'est le plus fort qui annonce quelles sont les bêtises à ne pas faire -notamment: lui manquer de respect. Le plus petit n'a droit au respect qu'en tant que le plus grand daigne y consentir. Dès lors aucun droit ne peut être revendiqué : "Les grandes personnes, on peut pas discuter avec elles, parce qu'elles se croient plus fortes". Elles comprennent rien au monde, mais jugent et condamnent parce qu'elles en ont le pouvoir. Les adultes, trop souvent héberlués par les actions des «bandes de petits voyous», jettent l'éponge, se vengent plus qu'ils ne punissent, et au hasard, sans considérer l'humanité de ceux qui leur font face... Ces derniers prennent ce mépris comme un encouragement à déchoir : "Dès qu'on me manque de respect, moi je respecte pu." Et vlan!

Qu'est-ce qui est respectable?

C'est parti pour un petit voyage dans la perversion. Saïd raconte que c'est parce qu'il respecte qu'on ne le respecte pas. On s'est foutu de sa gueule parce qu'il a été vu ramassant un papier par terre pour le mettre dans une poubelle. Sale propre ! Tu fais le travail des femmes de ménage !?

Dans le cadre du projet "carré de culture, carré de nature", toute la classe fait une belle maquette représentant une ville coupée en deux par un fleuve. D'un coté, tout est sale, cassé et violent, de l'autre, tout est propre, net et calme. Tous affirment qu'ils préfèrent le coté propre, où ils n'oseraient pas jeter un papier en-dehors d'une poubelle. Mais aucun ne veut pour autant respecter le coté sale, où l'usage réclame le non-respect : OK pour quitter la cité, mais pas pour y devenir vertueux en vue de l'améliorer. "On est pas des bouffons".

La force morale n'est qu'un idéal: elle ne sert pas à grand chose quand tout se détériore. On a beau jeu de vanter les mérites d'un héros des temps modernes qui forcerait le respect en restant dans une conduite impeccable quoi qu'il arrive... tu parles ! "C'est plus fort que moi : même quand je veux pas je suis violent quand même !" Au dégoût de l'environnement malsain s'ajoute le dégoût de soi-même. Même l'envie d'être vertueux vient pourrir encore une situation déplorable.

De quoi baisser les bras. Et pourtant personne ne les baisse vraiment. Un petit espoir persiste, on attend encore et encore un petit miracle, un rêve peut-être : la confiance retrouvée.

Trouver juste un petit moment de sécurité, du calme, et, pourquoi pas, de la sérénité ! Quand on a confiance en soi on est moins violent, tout simplement parce qu'on se contrôle mieux. La confiance, voilà un grand rêve pour des gamins torturés jours et nuits par la peur, l'ennui, la haine, la solitude, le mépris, les menaces, et le manque évident d'affection.


François Housset

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CITATIONS

"Je vois ce qui est le mieux et je l'approuve; mais j'accomplis le pire."
Ovide, Métamorphoses.

"Désirer, c'est subir l'empire des choses."
Goblot, Vocabulaire philosophique.



«Ceux d'entre les hommes à qui l'on fait du mal deviennent nécessairement pires... Par conséquent, ce n'est pas l'effet du juste de nuire».
Platon, La République

«J'appelle servitude l'impuissance humaine à diriger et à réprimer les affects; soumis aux affects, en effet, l'homme ne relève pas de lui-même mais de la fortune, et il est au pouvoir de celle-ci à un point tel qu'il est souvent contraint, voyant le meilleur, de faire le pire.»
Spinoza, Éthique IV Préface, trad Misrahi

"Les modes de vie inspirent des façons de penser, les modes de pensée créent des façons de vivre... Au lieu de l'unité d'une vie active et d'une pensée affirmative, on voit la pensée se donner pour tâche de juger la vie, de lui opposer des valeurs prétendues supérieures, de la mesurer à ces valeurs et de la limiter, la condamner." Gilles Deleuze, Nietzsche

Si les gens sont si méchants, c’est peut-être seulement parce qu’ils souffrent, mais le temps est long qui sépare le moment où ils ont cessé de souffrir de celui où ils deviennent un peu meilleurs.
Céline. Voyage au bout de la nuit

Commentaires

je n arrive pas à me contrôler et ne pas fais des bêtises depuis que je suis petite (j etté des boulettes de terre casser le vélo à ma maman crever le vélo à mon frère) je viens dans faire hume

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