PhiloVIVE ! La philosophie orale et vivante

 

Pourquoi y’a la guerre ? (Débat philosophique, SEGPA Collège Jean Moulin, Montreuil)

“Pourquoi y’a la guerre?”
Réponse immédiate, énoncée comme une évidence : y’a la guerre parce qu’on se cause pas.
“Quand on parle pu, on se tape”.
Tout simplement.


DR


Mais creusons : cherchons à rendre cet argument plus explicite.
Les “élèves” rechignent. Prise de tête ! Ils espéraient visiblement qu’il leur suffisait de soutenir que faute de parler on s’entretue, pour que j’approuve et fasse une leçon édifiante en leur demandant simplement de m’écouter et d’acquiescer. Raté : je les invite à penser par eux-mêmes, je leur demande de me faire la leçon qu’ils attendaient : est-ce faute de pouvoir se parler qu’on se fait la guerre ? La guerre n’est-elle qu’une forme de communication écrite avec du sang ?

Peu à peu surgit au grand jour leur perplexité, et moi je tombe de haut : personne ne trouve en quoi le manque de parole déterminerait le recours à la violence, mais les arguments pleuvent pour révéler que c’est la communication elle-même qui mène à la violence. “Dès qu’on se parle, on se traite ; dès qu’on se traite on se tape, alors on évite de se parler pour pas se taper.”

La voilà l’évidence : parler revient à se mettre en danger, toute agression commence par des paroles, qui sont comme un prélude, au mieux un avertissement, précédant l’acte. Cette évidence est manifeste à tout moment du débat : tout participant ose se mettre en péril devant tous ; prendre la parole c’est faire preuve d’héroïsme. Parler ce n’est pas rien : les autres le montrent du doigt, se moquent, tentent de l’interrompre pour lui donner tort, l’écoutent peu -sauf s’il élève vraiment haut la voix et devient menaçant... Comme s’il fallait être craint pour n’être pas méprisé. Certains, prudents, ne diront pas un mot : trop risqué ! Combat perdu d’avance pour les “faibles”. Qu’il en faut de l’audace, pour oser exprimer sa pensée ! J’ai beau prôner le respect et l’imposer dans le cadre de ce débat, je sais bien que mon exigence est purement formelle : je ne suis là que pour un temps fort limité, ce n’est pas moi qui pourrai lutter contre leurs rapports de force.

ô dominants !

Un courageux révèle sa fascination pour l’uniforme et l’armement des soldats: “ils font peur, personne n’ose les embêter”. Voilà le modèle à imiter, et l’alternative énoncée : fais toi craindre plutôt que de craindre les autres. Sois le plus fort, ou bien donnes t’en l’air, et personne n’osera plus te nuire. On en est là : le simple fait de s’affirmer devant les autres est une épreuve cuisante, jugée trop périlleuse pour être accomplie à la légère. L’existence même est un problème pour tous ces élèves dits justement “en difficulté” et rassemblés comme pour se renvoyer les uns aux autres leur mal-être.

L’âpre lucidité qui est à présent de mise déglingue toutes les belles valeurs. L’amitié ? Un pacte de non agression. Seul l’intérêt compte. Pas de place pour la sympathie véritable ; on ne se soutient les uns les autres que pour relever la tête face à l’inévitable adversité, et pour mieux la vaincre. La belle authenticité aussi en prend un coup : les vainqueurs sont des traîtres admirés ; traîtres parce qu’il faut seulement faire comme si on était frères quand une alliance devient nécessaire pour... vaincre encore et encore, s’affirmer en dépit des autres plutôt que les subir. Voilà. Y’a la guerre parce que y’a les autres, et parce qu’ils sont terribles. J’ai pris ce que j’étais venu chercher: une bonne leçon.

François Housset
www.philovive.fr







“La raison du plus fort est toujours la meilleure”.
La Fontaine. Le loup et l’agneau

"Œil pour œil» finira par rendre le monde aveugle."
Gandhi Tous les hommes sont frères

Être bon patriote, c'est souhaiter que sa ville s'enrichisse par le commerce et soit puissante par les armes. Il est clair qu'un pays ne peut gagner sans qu'un autre perde, et qu'il ne peut vaincre sans faire des malheureux. Telle est donc la société humaine, que souhaiter la grandeur de son pays c'est souhaiter du mal à ses voisins. Celui qui voudrait que sa patrie ne fût jamais ni plus grande ni plus petite, ni plus riche ni plus pauvre serait le citoyen du monde.
Voltaire, Dictionnaire philosophique, "Patrie".

"La guerre est une chose trop grave pour la confier à des militaires".
Clemenceau

"La guerre justifie l'existence des militaires tout en les supprimant."
Henri Jeanson

Mais les chevaux à qui l’on fait du mal deviennent-ils meilleurs ou pires? Pires. Relativement à la vertu des chiens ou à celle des chevaux ? A celle des chevaux. Et les chiens à qui l’on fait du mal, ne deviennent-ils pas pires, relativement à la vertu des chiens et non à celle des chevaux ? Il y a nécessité. Mais les hommes, camarade, à qui l’on fait du mal, ne dirons-nous pas de même qu’ils deviennent pires, relativement à la vertu humaine ?Absolument. Or la justice n’est-elle pas vertu humaine ? A cela aussi il y a nécessité. Donc, mon ami, ceux d’entre les hommes à qui l’on fait du mal deviennent nécessairement pires.”
Platon. La République Livre I/335c

Vous savez ce que c’est que l’Irak? C’est un pays entre deux fleuves. Au milieu du Tigre et de l’Euphrate il y a un endroit qui s’appelle l’Eden et c’est là où les juifs, les musulmans, les chrétiens et même les athées reconnaissent l’origine du monde. C’est le Paradis. Dix mille, vingt mille, cinquante mille tonnes de bombes sur le paradis : quel symbole extraordinaire!”
Michel Serres

Les peuples et les États n’ont trouvé jusqu’à ce jour aucune raison forte ni concrète de s’associer, pour instaurer entre eux une trêve longue, sauf l’idée formelle d’une paix perpétuelle, abstraite et dérisoire parce que les nations pouvaient se considérer, prises ensemble, comme seules au monde. Rien ni personne ni aucun collectif ne se trouvait au-dessus d’elles, et donc aucune raison. Depuis que Dieu est mort, ne nous reste que la guerre. Mais dès lors que le monde même entre avec leur assemblée, même conflictuelle, dans un contrat naturel, il donne la raison de la paix, en même temps que la transcendance recherchée. Nous devons décider la paix entre nous pour sauvegarder le monde et la paix avec le monde afin de nous sauvegarder.”
Michel Serres, Le contrat naturel, 1990, Champs Flammarion p. 47

Commentaires

Merci pour cette leçon . Je cherchais des idées à l'approche de la journée de la paix, avec ma classe de Ce1Ce2 .je pense en avoir trouvé. merci

Juste Super!merci.

Ajouter un commentaire

Nouveau commentaire