Cet article du Nouvel Observateur ne précise pas que la personne qui me consulte ici n'est ni une détenue, ni une délinquante ni une enfant, mais Tiina Kaartama, la fameuse metteur en scène à qui l'on doit notamment La fabrique de violence et Déguisé en homme (que vous pourrez applaudir au Théatre Dunois puis féliciter à l'occasion d'une table ronde à laquelle j'aurai l'honneur de participer le samedi 14 juin 2008).






Sur le divan des philosophes Nº378_2271 SEMAINE DU JEUDI 15 Mai 2008

Dans le sillage des cafés philo, à Paris ou en banlieue, des «philosophes praticiens» proposent depuis quelque temps des consultations individuelles, à la manière des psys.

Sur le divan des philosophes

Thérapeutes de l'esprit

Dans son jardin d'Argenteuil, un cigare aux lèvres, Oscar Brénifier cite Marc Aurèle : «Devant le chaos du monde, réfugie-toi dans ton âme et trouve la paix.» Il n'a pourtant rien d'un sage retiré dans sa tour d'ivoire. Son credo : remettre la philosophie «au coeur de la cité». «Même si, dans notre pays, cette idée hérisse», regrette-t-il. Ce docteur de la Sorbonne a fui le giron universitaire. Autoproclamé philosophe «praticien», il préfère aller au contact du public : ateliers, séminaires, consultations... Sa spécialité : philosopher avec des enfants.




De longue date, Freud a conquis la capitale. Mais Socrate contre-attaque. Depuis quelques années, ses disciples exercent eux aussi en cabinet, à la manière des psychanalystes. Dans le sillage des cafés philo apparus à Paris dans les années 1990, se développe aujourd'hui l'activité de «philosophes praticiens» qui proposent à leurs clients de confronter leurs questions existentielles à la pensée d'Epicure, de Nietzsche ou de Sartre. Séduite, Lydie a délaissé son psy pour un «phi» : «Ca correspond mieux à mon tempérament : ce qui m'intéresse, c'est le dialogue. C'est une démarche qui permet de relier les grands thèmes de son existence à des problèmes universels», confesse cette journaliste de 60 ans. «Ca m'aide à mettre du sens et de l'ordre dans ma vie», témoigne quant à lui Jérémie, étudiant parisien de 26 ans, qui consulte occasionnellement.

Les philosophes se défendent néanmoins de jouer les thérapeutes. «On n'est pas là pour guérir quiconque. Notre travail s'apparente plutôt à une forme de gymnastique de l'esprit, pour prendre soin de soi», explique Oscar Brénifier, l'un de ces consultants qui exerce à Argenteuil (lire le portrait). La méthode varie selon les spécialistes. Mais elle s'inspire toujours de son illustre ancêtre : le dialogue socratique. Le client soumet une question, qui est ensuite décortiquée, pas à pas, au rythme d'une sorte de ping-pong intellectuel, rigoureux, parfois troublant... «Ce n'est pas un simple jeu : c'est un raccourci vers soi-même», estime Cyrille, 39 ans, l'un des «patients» d'Oscar Brénifier.

«D'ailleurs, certains clients sont déçus parce qu'ils viennent voir un philosophe en pensant consulter un sage. Mais le philosophe n'est pas un sage ! Au contraire, c'est quelqu'un qui bouscule les certitudes», prévient François Housset, un autre praticien.

A Paris, les philosophes freelance s'inscrivent dans la continuité du pionnier Marc Sautet, célèbre prof à Sciences-Po, initiateur des cafés philo. Depuis sa mort, en 1998, ils poursuivent son ambition : sortir la philo de son ghetto académique. Les consultations, importées de l'étranger, sont la dernière manifestation de ce mouvement. Mais difficile d'en introduire la pratique en France. L'activité n'est pas lucrative. François Housset, par exemple, a commencé à donner des consultations il y a cinq ans, en traversant Paris à tandem avec ses clients. Son concept audacieux, «la vélosophie», a fait long feu. «Aujourd'hui, je n'ai que deux clients, que je reçois en tête à tête. Je vis surtout de mes interventions en entreprises. Je philosophe aussi avec des détenus, des délinquants ou des enfants...», explique-t-il. Même prudence chez un autre praticien : «On n'en est qu'aux balbutiements, à la différence de certains pays comme les Etats-Unis ou l'Espagne. Sans doute à cause du poids de la psychanalyse en France. Mais selon moi c'est une pratique d'avenir parce qu'elle ne s'adresse pas seulement aux personnes névrosées ou souffrantes mais à toutes celles qui ressentent le besoin d'apprendre à mieux raisonner», affirme Bruno Magret, philosophe praticien à Bois-Colombes (Hauts-de-Seine).




Luc Ihaddaddène
Paris Obs