La foi
Par François HOUSSET | Les Textes #113 | 2 commentaires | |
Avoir la foi, ça n’est pas seulement croire. Ce serait trop facile ! À la croyance religieuse (ou morale) s’ajoute un engagement de l’individu se mettant au service d’un idéal auquel il croit. Il ne suffit pas de proclamer l’existence de Dieu pour prétendre "avoir la foi" (et d'ailleurs la foi est connue des athées) : il y faut ajouter une véritable loyauté.
Dire aujourd’hui “j’ai la foi” ne veut plus rien dire. On imagine la foi comme quelque chose que l’on a ou pas. Eh bien non !
La foi est relationnelle. La foi engage dans une relation de confiance: deux personnes (voire une personne et un dieu) s’estiment assez réciproquement pour se considérer comme fiables. Le mot vient de fides, vertu morale conditionnant la solidarité sociale dans le total respect.
On l’oublie pour se vanter d’avoir des convictions : erreur ! Tenir une chose pour vraie implique la possibilité de l’erreur ou de la tromperie, car une croyance peut se révéler vraie ou fausse. S’il ne s’agit que d’idéologie, que d’opinion, on est bien loin du fidèle : la foi religieuse implique une relation avec Dieu qui va dans les deux sens ; il faut une fidélité à la parole donnée à Dieu (profession de foi) et une fidélité de Dieu à sa parole (promesse de salut). C’est une alliance céleste, rien que cela ! L’alliance de Dieu avec son peuple dépasse de loin la simple croyance pour laquelle on se contente de témoigner. La parole donnée par Dieu, la promesse divine, appelle en retour la fidélité de l’homme aux commandements divins.
Il en va exactement de même pour la foi de l’Homme en l’Homme : parole donnée, promesse, serment, contrat, traité, alliance et conventions diverses n’existeraient pas sans la foi. La foi exige une rectitude d’esprit qui conditionne l’existence de tout engagement réciproque, réclamant une sincérité qui conditionne moralement toute crédibilité !
Sans foi, le croyant peut n’être qu’un prétentieux : croire, c’est prétendre savoir (si tel dogme paraît acceptable, si un énoncé théologique a un contenu compréhensible) : en acceptant ou en rejetant des croyances, nous ne pouvons pas savoir pertinemment ce que nous approuvons ou désapprouvons. C’est pourquoi le croyant sera un superstitieux aux yeux de l’incroyant.
La foi rend fiable, parce qu’elle implique un engagement durable de la confiance. L’Homme est capable de promettre. On accordera crédit à la déclaration sous la foi d’un serment. Le témoin “digne de foi” n’est pas un simple croyant (au sens où il serait seulement crédule, ne ferait qu’avoir une idée), et même les athées regretteront que les membres d’une communauté religieuse soient appelés aujourd’hui des croyants, alors que la tradition les désignait comme des fidèles.
Notre monde laïc nous laisse libre de nos fois : chacun “choisit” sa croyance religieuse ou morale. Mais, plus qu’une simple affaire de croyance, la foi est l’engagement d’un individu au service d’un idéal auquel il croit : il est nécessairement de bonne foi car cet engagement réclame sa sincérité. La foi que j’accorde ou que j’obtiens est un crédit moral révélateur de ma dignité même. Comme un pacte que je fais avec moi-même ou avec autrui, la foi implique la loyauté dans les conventions et la fidélité aux engagements pris.
L’intelligence de la foi religieuse dépend du rapport de la créature à son créateur, dans un rapport analogue aux rapports des hommes entre eux. La représentation de Dieu est inséparable d’une action accomplie en faveur de l’Homme (ou d’un groupe d’hommes), et c’est l’adhésion profonde d’un être à un autre être : que l'on croie en Dieu ou en l'Homme, on peut parler d’amour et chanter sa joie d’être considéré comme fiable.
François Housset
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CITATIONS
“Ce n'est pas seulement pour le posséder que l'homme rêve d'un Autre, mais aussi pour être confirmé par lui; se faire confirmer par des hommes, qui sont ses semblables, réclame de lui une tension constante: c'est pourquoi il souhaite qu'un regard venu du dehors confère à sa vie, à ses entreprises, à lui-même une valeur absolue. Le regard de Dieu est caché, étranger, inquiétant: même aux époques de foi, seuls quelques mystiques en étaient brûlés. Ce rôle divin, c'est à la femme qu'on l'a souvent dévolu.”
Simone de Beauvoir, Le Deuxième sexe
“Étant Souverain Seigneur, Dieu apporte avec lui la liberté, et d'autre part, étant plein d'amour pour nous, il a fait à notre mesure. ...C'est ce pouvoir qu'a Dieu, d'élargir le palais de notre âme, qui nous fait dire qu'il porte avec lui la liberté. Ainsi le point capital est de lui faire un abandon complet, et de la vider absolument de tout ce qu'elle contient, afin qu'il y puisse mettre et ôter à son gré, comme en une demeure qui lui appartient toute."
Thérèse D’Avila (1515-1582), Le Chemin de la perfection, ch. 28.
“La foi ne consiste plus qu’en crédulité, en préjugés; et quels préjugés, vraiment! De ceux qui réduisent des hommes raisonnables à l’état des bêtes, puisqu’ils empêchent, avec l’exercice libre du jugement, la distinction du vrai et du faux, puisqu’ils semblent inventés tout exprès afin d’éteindre la lumière de l’intelligence.”
Spinoza. Traité des autorités théologiques et politiques. Préface.
"... Je vis honnêtement, j'obéis à la loi religieuse, quand elle ne me gêne pas trop, et avec d'autant plus de zèle que j'ai grand peur d'aller rôtir dans les flammes éternelles, j'obéis aussi à la loi humaine, quand il n'y a pas moyen de faire autrement, et parce que j'ai la frousse du gendarme."
Clément Vaulet, dit Clément Vautel / 1876-1954 / Mon curé chez les riches
“Articles de foi politique, des articles consacrés, qu’il faut recevoir avec soumission, qu’il n’est plus permis d’examiner.
Philosophe ! Voilà ton premier pas. Abjurer l’emploi de la raison !”
Bentham, Sophismes anarchiques, commentaire du Préambule
“La plupart attrapent une opinion comme on attrape la rougeole, par contagion.”
Jules Payot, La faillite de l’enseignement.
“ Personne n’ignore qu’il y a deux entrées par où les opinions sont reçues dans l’âme, qui sont ses deux principales puissances, l’entendement et la volonté. La plus naturelle est celle de l’entendement, car on ne devrait jamais consentir qu’aux vérités démontrées ; mais la plus ordinaire, quoique contre la nature, est celle de la volonté. Car tout ce qu’il y a d’hommes sont presque toujours emportés à croire non par la preuve, mais par l’agrément. Cette voie est basse, indigne, et étrangère ; aussi tout le monde la désavoue. Chacun fait profession de ne croire et même de n’aimer que ce qu’il sait le mériter. ”
Pascal , De l’esprit géométrique et de l’art de persuader
"Quand un homme me vient dire qu'il ne croit rien et que la religion est une chimère, il me fait là une fort mauvaise confidence, car je dois avoir sans doute beaucoup de jalousie d'un avantage terrible qu'il a sur moi. Comment ! il peut corrompre ma femme et ma fille sans remords, pendant que j'en serais détourné par la crainte de l'enfer ! La partie n'est pas égale. Qu'il ne croie rien, j'y consens, mais qu'il s'en aille vivre dans un autre pays, avec ceux qui lui ressemblent, ou, tout au moins, qu'il se cache et qu'il ne vienne point insulter à ma crédulité."
Montesquieu / Spicilège
Charlie Hebdo N°1060
BIBLIOGRAPHIE
DESCARTES, Méditations métaphysique. Descartes raconte dans ce livre une expérience à conseiller si vous avez quelques jours devant vous et un poêle : le premier jour, rejetez méthodiquement tout ce qui ne vous paraît pas absolument certain, ne vous fiez qu’à votre jugement droit... vous saurez ce qui est véritablement digne de votre foi !
MALEBRANCHE Conversations chrétiennes : préfère la foi à la raison humaine : “Jésus-Christ n’est pas venu nous apprendre les mathématiques, la philosophie, et les autre vérités qui par elles mêmes sont assez inutiles pour le salut” (Conversations chrétiennes, 1687, VII). Son principe : l’adhésion plutôt que l’attention “à la Vérité intérieure, qui préside à tous les esprits, à demander et à recevoir les réponses de notre maître commun” (Premier entretien). Car “la voie de l’examen est tout à fait insuffisante. Maintenant que la raison de l’homme est affaiblie, il faut le conduire par la voie de l’autorité” (13° entretien, §11)
Richard LAHAUTIÈRE Petit catéchisme de la réforme sociale Catéchisme irreligieux “Qu’est-ce que la religion ? - Une croyance commune qui lie les hommes et les pousse par un effort commun vers un but commun. Jusqu’à présent a-t-il véritablement existé une religion sur la terre ? - Non. La terre a été tyrannisée, divisée, ensanglantée par cent cultes différents ; aucun lien commun n’a rassemblé les hommes : il n’a donc pas existé de religion. Jupiter a été détrôné par Jésus ; le croissant a combattu la croix ; Luther a convaincu le pape de mensonge. Toutes ces superstitions ont déchiré les entrailles de l’humanité. Si Dieu existe, il doit maudire et damner tous ces prétendus représentants qui prêchent le ciel et pillent la terre.”
ALAIN, Les Dieux, Propos sur la religion. “Penser c’est dire non. Remarquez comme le signe du oui est d’un homme qui s’endort. Au contraire le réveil secoue la tête et dit non. Réfléchir c’est nier ce que l’on croit.”
MARX La question juive Analyse le statut nouveau de la religion dans le monde moderne quand on proclame le libre exercice des cultes et la liberté religieuse pour laquelle “nul ne doit être inquiété” : la religion a perdu sa fonction sociale et son autorité politique. Elle est devenue un des aspects de la vie bourgeoise, c’est-à-dire de la vie d’un individu séparé de la communauté, replié sur lui-même, uniquement préoccupé de son intérêt personnel et obéissant à son arbitraire privé.
SARTRE L’existentialisme est un humanisme : problème que pose la négation de l’existence de Dieu. “Dieu n’existe pas, et il faut en tirer jusqu’au bout les conséquences”. Tout est permis.
ONFRAY : Traité d’athéologie. Dénonce la religion comme antiphilosophique.
“Je ne méprise pas les croyants, je ne les trouve ni ridicules ni pitoyables, mais je désespère qu’ils préfèrent les fictions apaisantes des enfants aux certitudes cruelles des adultes. Plutôt la foi qui apaise que la raison qui soucie - même au prix d’un perpétuel infantilisme mental : voilà une opération de passe-passe métaphysique à un coût monstrueux !”
JOHN STUART MILL L’utilitarisme : morale sans dieu. Comme avec Sartre, la difficulté première est d’accorder foi à de simples valeurs morales, quand il semble plus facile d’être loyal devant Dieu.
Cugno, Au coeur de la raison : raison et foi.
Julia Kristeva, Au commencement était l'amour : psychanalyse et foi suivi de A propos de l'athéisme de Sartre.
Françoise Dolto éd. Gérard Sévérin Les Evangiles et la foi au risque de la psychanalyse
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RIONS DE LA MAUVAISE FOI
Récemment une célèbre animatrice radio des États-Unis fit remarquer que l'homosexualité est une perversion :
" C'est ce que dit la Bible dans le livre du Lévitique, chapitre 18, verset 22 :Tu ne coucheras pas avec un homme comme on couche avec une femme : ce serait une abomination. La Bible le dit. Un point c'est tout ", affirma-t-elle.
Quelques jours plus tard, un auditeur lui adressa une lettre ouverte qui disait :
" Merci de mettre autant de ferveur à éduquer les gens à la Loi de Dieu.
J'apprends beaucoup à l'écoute de votre programme et j'essaie d'en faire profiter tout le monde. Mais j'aurais besoin de conseils quant à d'autres lois bibliques :
• Par exemple, je souhaiterais vendre ma fille comme servante, tel que c'est indiqué dans le livre de l'Exode, chapitre 21, verset 7. A votre avis, quel serait le meilleur prix ?
• Le Lévitique aussi, chapitre 25, verset 44, enseigne que je peux posséder des esclaves, hommes ou femmes, à condition qu'ils soient achetés dans des nations voisines. Un ami affirme que ceci est applicable aux mexicains, mais pas aux canadiens. Pourriez-vous m'éclairer sur ce point ? Pourquoi est-ce que je ne peux pas posséder des esclaves canadiens ?
• J'ai un voisin qui tient à travailler le samedi. L'Exode, chapitre 35, verset 2, dit clairement qu'il doit être condamné à mort. Je suis obligé de le tuer moi-même ? Pourriez-vous me soulager de cette question gênante d'une quelconque manière ?
• Autre chose : le Lévitique, chapitre 21, verset 18, dit qu'on ne peut pas s'approcher de l'autel de Dieu si on a des problèmes de vue. J'ai besoin de lunettes pour lire. Mon acuité visuelle doit-elle être de 100% ? Serait-il possible de revoir cette exigence à la baisse ?
• Un dernier conseil. Mon oncle ne respecte pas ce que dit le Lévitique, chapitre 19, verset 19, en plantant deux types de cultures différents dans le même champ, de même que sa femme qui porte des vêtements faits de différents tissus : coton et polyester. De plus, il passe ses journées à médire et à blasphémer.
Est-il nécessaire d'aller jusqu'au bout de la procédure embarrassante de réunir tous les habitants du village pour lapider mon oncle et ma tante, comme le prescrit le Lévitique, chapitre 24, verset 10 à 16 ?
On ne pourrait pas plutôt les brûler vifs au cours d'une simple réunion familiale privée, comme ça se fait avec ceux qui dorment avec des parents proches, tel qu'il est indiqué dans le livre sacré, chapitre 20, verset 14 ?
Je me confie pleinement à votre aide."
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